La nouvelle question d’Orient (par Georges Corm) Compte rendu de lecture / Histoire contemporaine

- [Télécharger l'article au format PDF]

Par Jean-Marc Fevret. [1]

Georges CORM, La nouvelle question d’Orient, Paris, Editions La Découverte, Mars 2017, 319 pages.

La présentation de ce livre appelle une prévention et une annonce particulières. Il apparaît dans la littérature consacrée à l’histoire du Moyen-Orient comme un ouvrage cardinal, à mon sens l’opus de référence essentiel pour ce domaine, à ce jour. Á travers une œuvre riche de 27 ouvrages, Georges Corm a abordé depuis 1964 les différentes dimensions (géopolitique, économique, socioculturelle, géographique, développementale, de relations internationales, juridique) de l’histoire politique du Moyen-Orient. Cet abord pluri et transdisciplinaire, très complet, est la première spécificité de l’auteur. Il est aussi un acteur de cette histoire par son passé politique (comme ministre des finances du Liban de 1998 à 2000) et sa pratique, au plus haut niveau, de la gestion des questions développementales (dans le cadre de son cabinet de conseil sur les questions économiques et financières, depuis 1985). Son œuvre se démarque également par la liberté de ses analyses. Elles s’écartent des études académiques et médiatiques majoritairement citées, avec une rigueur intellectuelle et scientifique indiscutable. Il en fait la démonstration en mettant en valeur l’idée du « chaos mental » qui préside à la fois aux analyses politiques et à la violence proliférant au Moyen-Orient depuis la Guerre froide. Les chaînes causales qu’il met ici en évidence sont essentielles pour les professeurs d’histoire-géographie (qui traitent en France de la question du programme de Terminale sur « Le Proche et Moyen-Orient, foyer de conflit. »).

Georges Corm propose une « remise en ordre conceptuelle et historique » pour sortir des confusions sur cette question et du « chaos » qui en résulte. C’est ainsi qu’il suggère une relecture des origines historiques du terrorisme lié à cette région du monde. Il y privilégie l’analyse des imaginaires, donc des représentations collectives, qui sont orientés de façon complexe vers la violence (par le caractère répétitif des médias en boucle, par l’instrumentalisation du religieux). On notera au passage qu’il fait le parallèle entre notre période (ouverte par la chute du mur de Berlin en 1989) et celles qui ont précédé les deux guerres mondiales (par les formes de violence véhiculées et l’exacerbation des différents types de nationalisme). Le fil directeur du livre, annoncé par son titre, consiste en l’idée que les affrontements géopolitiques de la seconde partie du XXe siècle ont créé une « nouvelle question d’Orient ». Celle-ci doit être étudiée à travers les permanences et les ruptures qui la caractérisent par rapport à « l’ancienne question d’Orient ». Ce propos, typiquement historiographique, est conduit par l’idée que « la question d’Orient est d’abord ‘une question d’Occident’ » selon une analyse d’Arnold Toynbee, datant de 1922.

Le plan du livre est complexe, comme la question, mais il est très clairement présenté à la fin de l’introduction (pp. 19-23). En simplifiant, on peut dire que les cinq premiers chapitres traitent de l’évolution historique qui aboutit à cette « nouvelle question d’Orient » (chapitre 5). Le chapitre 6 traite de la question des chrétiens d’Orient. Á travers elle, l’enjeu, fondamental pour l’avenir, est celui du maintien du pluralisme religieux et plus généralement culturel dans la région. Le chapitre 7 correspond à une analyse socio-économique globale du Moyen-Orient et des effets de l’économie de rente sur celle-ci.

Georges Corm estime que le lien entre ce domaine et ses conséquences socio-politiques et géopolitiques est négligé alors qu’il dévoile les racines du désordre généralisé. La démonstration est convaincante et peut être complétée par les nombreux articles qu’il a écrits sur le sujet (cf. son site www.georgescorm.com, une source de renseignements et de textes sur l’ensemble de ces sujets). Le dernier chapitre est consacré à une réfutation de la thèse du « choc des civilisations », soit de la théorie développée par Samuel Huntington (ses premiers jalons ont été énoncés par Bernard Lewis dès 1957). L’auteur en fait aussi apparaître le « scénario autoréalisateur », analyse autant inquiétante qu’intéressante. La conclusion, très politique, propose plusieurs pistes pour sortir de cette conflictualité en évaluant les caractères endogènes et exogènes de celle-ci. On peut en retenir que Georges Corm privilégie le recours à la diplomatie et au droit internationaux ainsi qu’à des postures philosophiques humanistes.

[Ce livre est le troisième d’une trilogie comprenant : 1. L’Europe et le Mythe de l’Occident. La Construction d’une Histoire, La Découverte, 2009. 2. Pour une lecture profane des conflits, Sur le « retour du religieux » dans les conflits contemporains du Moyen-Orient, La Découverte, 2012. A noter également ce livre récent, complémentaire aux précédents et rare sur le sujet essentiel de la pensée politique arabe : Georges CORM, Pensée et politique dans le monde arabe, Contextes historiques et problématiques, XIXe-XXIe siècle, La Découverte, 2015.]

Voir la présentation en ligne sur le site de l’éditeur

© Jean-Marc Fevret pour Historiens & Géographes, 18/05/2018 - Tous droits réservés.

Notes

[1Professeur en classes préparatoires HEC à Aix-en-Provence et chargé de cours de Master de Géopolitique et de Science Politique à l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée. Membre du Conseil national de Gestion de l’APHG et du Bureau de la Régionale d’Aix-Marseille. Parmi ses ouvrages, citons notamment : 1948-1972 le Liban au tournant. L’anémone pourprée, Librairie Geuthner, 2011.