Le premier chapitre plante le décor d’un continent encore vide d’hommes, peuplé progressivement par des populations venant de Sibérie et du Kamtchaka. Fort mobiles, suivant les animaux qu’ils chassent, ces peuples se répandent peu à peu vers le Sud, le Nord-Ouest, le littoral pacifique etc. Les premières formes de sédentarisation sont perceptibles vers le VIIe millénaire mais s’intensifient au IIIe. Avant que le continent ne soit colonisé par les Espagnols, 7 à 8 millions d’Indiens vivent sur l’actuel territoire nord-américain. Sans idyllisme, Jacques Portes évoque la vie de ces populations indiennes avant la confrontation avec les Européens. Ces derniers dès le début manifestent un comportement prédateur, qui sera d’ailleurs un trait récurrent. Les Indiens sont capturés et ramenés en Europe « comme trophées » (p. 24) dès les premières expéditions. Christophe Colomb dès son second voyage emmène ainsi avec lui 200 Indiens qui seront vendus comme esclaves. Le mythe de l’Eldorado, les promesses de « cités d’or » accentuent la violence exercée à l’encontre des populations indiennes, qui sont également victimes du choc épidémiologique. Un autre impact est l’arrivée du cheval sur le continent. En 1800, ce dernier est devenu l’animal domestique de tous les Indiens. Or, cette maîtrise impacte le mode de vie. Un cheval peut en effet traîner 150 kilos de charge sur un travois, soit 4 fois plus qu’un gros chien, sur deux fois plus de distance. Ainsi se trouvent renforcées les capacités commerciales et militaires des Indiens, dont les Comanches profiteront pour établir un véritable empire, comme l’a rappelé Pekka Hämäläinen dans son ouvrage phare. Bref, l’homme blanc a joué aussi un rôle moteur dans ce continuum évolutionniste qui caractérise les sociétés indiennes.
L’auteur s’intéresse ensuite à l’Ouest qui très tôt devient un mythe au sens barthien du terme, « une image motrice ». Coureurs des bois, explorateurs comme Lewis et Clark, Mormons, pionniers, chercheurs d’or etc. parcourent cet espace, l’occupent, le peuplent et l’arriment peu à peu au reste du territoire. L’Ouest est à même, selon certains, d’offrir un refuge propice à l’émergence de sociétés nouvelles et idéales. Phalanstères et icaries se multiplient mais ne résistent guère aux rudes réalités de l’Ouest. Jacques Portes rappelle que la pénétration dans l’Ouest est une histoire rendue possible par des institutions (Pony Express créé en 1860), des moyens techniques (télégraphe, chemin de fer...) et incarnée par des hommes et des femmes, comme Buffalo Bill, qui a su faire de sa propre vie une légende habilement mise en scène.
Ce développement transforme peu à peu la physionomie de l’Ouest. En 1900, 40% de la population y est urbaine, % similaire à celui de l’ensemble des États-Unis. Les cow-boys connaissent ainsi leur âge d’or entre 1867 et 1887, date de l’arrivée du chemin de fer dans le Sud qui rend inutile la migration des bovins. Deux millions d’entre-eux avaient été conduits du Texas à Abilène en vingt ans ! Les cow-boys, à leur tour, entrent dans la légende et deviendront des personnages du cinéma, tout en restant un idéal vécu par certains. Il suffit d’assister à un concert de George Strait, même dans une métropole comme Las Vegas, pour l’observer de visu. Si Jacques Portes évoque Turner qui voyait dans la Frontière à la fois le creuset de l’américanisation et la zone de contact entre sauvagerie et civilisation, il sait en souligner les exagérations et les limites (p. 135), montrant ainsi sa large connaissance de l’historiographie américaine.
L’auteur pourfend de nombreuses idées reçues. Il rappelle ainsi, contrairement à l’image donnée par tant de westerns, que les guerres indiennes ont causé de 20 à 25 000 morts environ dans chacun des deux camps durant le XIXe siècle (p. 172). Le chapitre, Les Indiens face à l’abîme , est l’un des plus réussis du livre. De manière synthétique, Jacques Portes évoque la triste destinée des populations indiennes : massacres, expulsion, mépris des traités et de la parole donnée, politique versatile du gouvernement fédéral. Ces derniers, après un activisme souvent spectaculaire (occupation d’Alcatraz entre novembre 1969 et juin 1971), disposent des leviers d’un juste retour des choses. Les terres indiennes qui ne représentent que 2,4% de la surface des États-Unis, abritent près de 25% des ressources minérales du pays.
La partie consacrée au cinéma (Un siècle de westerns), dont il est aussi un spécialiste, si elle donnera des informations utiles au néophyte, décevra quelque peu l’amateur. On notera toutefois que le « genre » du western, qui n’en finit pas de mourir et de ressusciter, n’est plus filmé aujourd’hui au Texas ou en Californie, mais en Alberta, Saskatchewan et au Nouveau-Mexique, car les paysages sont désormais perturbés, souillés par les « fils électriques et les systèmes d’irrigation » (p. 226). Car l’Ouest s’est transformé et se transforme encore sous l’effet du développement d’une agriculture innovante (spécialisation dans les agrumes dès 1907), d’un tissu industriel qui profite du chemin de fer. Les villes se densifient, à l’image de Los Angeles, peuplée de 12 000 habitants en 1800 pour atteindre les 100 000 en 1914. L’automobile se développe, façonnant les villes comme LA : autoroutes urbaines, maisons individuelles avec garages, larges avenues rectilignes etc. Attention toutefois à ne pas voir l’Ouest avec un prisme métropolitain. Car il s’agit d’un espace « vide d’hommes ». Le Nevada, hormis les pôles urbains, est un désert. La densité est souvent faible : le Wyoming par exemple recense 560 000 personnes pour un peu plus de 250 000 km2. D’où l’attrait pour les descendants de Kerouac pour ces routes étendues sur des centaines de kilomètres où l’on ne croise presque personne et que le cinéma a magnifiées (Point limite zéro, Richard C. Sarafian, 1971).
Mais si l’Ouest apparaît comme la terre de tous les possibles, c’est aussi un espace marqué par la xénophobie ou le racisme, dont eurent à souffrir les Afro-Américains, les Chinois et les Japonais après Pearl Harbor, Indiens... « Laboratoire social » (p. 292), l’Ouest est aussi un espace de crispation : construction de murs pour lutter contre l’immigration clandestine, formation de milices citoyennes, crimes perpétrés par les gangs mexicains... Bref, l’Ouest est un espace de paradoxes, voire de contradictions, comme l’illustrent encore les débats sur le développement économique (20% du pétrole américain est désormais non-conventionnel) et la préservation de l’environnement. En définitive, l’ouvrage de notre ancien président offre à la fois une leçon d’histoire, un vrai dépaysement et un instrument de réflexion. C’est dire sa richesse et sa portée.
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© Yohann Chanoir pour Historiens & Géographes - Tous droits réservés. 10/08/2017.