L’ouvrage de J. P. Augustin et J. Dumas « La ville kaléidoscopique » est ambitieux dans sa conception. C’est une trajectoire qui analyse la géographie urbaine pendant un demi siècle. C’est parallèlement un éphéméride qui s’attache à retracer le parcours des auteurs tant dans leur posture d’enseignant/chercheur que dans leurs expertises et leurs engagements au sein du milieu Bordelais et au niveau national. C’est aussi un essai qui s’attache à circonscrire l’existence d’un espace de recherche urbaine francophone.
Le champ scientifique est orienté sur la ville plurielle en mettant en valeur la question du regard et surtout des changements de regards. Il est d’ailleurs ciblé de façon percutante dans l’énoncé du titre qui entrouvre une vision annonçant des chemins de traverse pour qualifier l’élaboration des divers moments qui ont marqué l’évolution de cet objet de connaissance.
Les auteurs s’appuient en effet sur des déclinaisons évocatrices : interactions, entrecroisements, jeu d’échanges d’images, effets de glissements, de translations de regards Ainsi c’est bien la question où va la géographie et dans quelles directions qui est posée, d’où la démarche convoquant successivement l’émergence, la sédimentation et le renouvellement de la discipline qui est engagée.
Sur la base de la géographie classique, la pratique du regard met en phase le paysage urbain par le biais de monographies, ce qui érige Raoul Blanchard en tant que père fondateur de la discipline. Mais l’inféodation du descriptif urbain dans l’inventaire régional reste cependant la règle. Aussi le mouvement d’affranchissement vis-à-vis de la région va-t-il constituer un moment capital pour inscrire la géographie dans la « science des villes » comme en témoignent les manuels et traités publiés à partir des années 1950.
Les auteurs élargissent ensuite le débat sur ce savoir géographique spécifique qui se sédimente en plaçant résolument leur balayage dans une dimension pluridisciplinaire en prise sur les sciences sociales : l’histoire, l’économie, la sociologie et l’urbanisme. Puis ils revisitent la discipline dans le contexte du foisonnement intellectuel nourrissant des débats plus contemporains. Ils montrent alors comment la géographie urbaine a été fécondée par la diffusion de théories, de modèles (les lieux centraux, la structure interne des villes) mais aussi de systèmes de pensée : (marxisme, phénoménologie, linguistique, sémiologie et communication). Le raccourci saisissant : la ville est davantage faite d’idées que de briques et de pierres énoncé par S. Rimbert et repris par J.B. Racine prend ainsi tout son sens, d’où l’importance que jouent les passeurs dans l’élaboration de ces savoirs urbains. A partir de cette ouverture, les auteurs réajustent l’idée de ville dans une dimension historique plus globale. Ils proposent alors trois visions métaphoriques s’articulant sur des récits urbanistiques : la ville machine, la troisième ville (référée au projet urbain) et la ville durable. Ils envisagent enfin un recadrage sur la politique urbaine et la gouvernance, ce qui permet de fonder la géographie comme discipline de l’« action urbaine ».
L’exposé de la dernière partie recentre d’ailleurs son développement sur le jeu auteur / acteur. Les auteurs repositionnent leurs parcours personnels de géographes fécondés par des ouvertures différenciées : l’économie pour J. Dumas et la culture pour J.P. Augustin. En s’appuyant sur leurs compétences scientifiques mises au service de la recherche et leurs expertises, ils réactualisent le débat entre géographie savante et appliquée. Ces engagements confortent leurs positionnements de représentants d’une « Géographie humaniste » questionnant la ville et l’urbanité.
Conçu comme essai panoramique et synthétique sur la ville et la pensée urbaine dans une perspective géographique, cet ouvrage bien présenté et agréable à lire peut prétendre au statut de manuel. Chacun y trouvera matière à information et formation.
© Suzanne Paré (Professeur à l’ Ecole d’Architecture Paris - Malaquais) pour les services de la Rédaction d’Historiens & Géographes - Tous droits réservés. 21/06/2016.