Incarnée par ses casinos aux néons éblouissants, oasis de lumière au milieu du désert de Mojave, Las Vegas fascine autant qu’elle repousse. Cette dualité entre fascination et répulsion se retrouve dans la multitude d’œuvres cinématographiques qui lui ont été consacrées et qui sont l’objet du livre de Yohann Chanoir. En passant en revue les films qui ont mis en scène Las Vegas, des plus connus comme Casino ou Ocean’s Eleven à des références plus confidentielles, l’auteur nous laisse entrevoir les imaginaires qui façonnent Las Vegas dans l’opinion collective.
L’ouvrage fonctionne comme une sorte de story-board, composé de vignettes détaillant des films dont une partie ou la totalité de l’intrigue se déroule à Las Vegas. Entre les lignes de ce petit livre présentant de façon simple et accessible une connaissance érudite des œuvres végasiennes, se dessinent les caractéristiques principales des imaginaires qui ont fait la renommée de Las Vegas, aux États-Unis d’abord puis sur l’ensemble de la planète. Les premiers chapitres abordent les thèmes incontournables lorsqu’il est question de Las Vegas, à savoir le jeu, les casinos et les mafieux. L’auteur s’intéresse ensuite à des aspects moins connus de la cinématographie végasienne, comme les films à tendance apocalyptique ou les westerns tournés dans le désert du Nevada. L’ouvrage donne ainsi une vision synthétique de la prégnance de Las Vegas dans les productions cinématographiques majoritairement américaines, et dessine un portrait impressionniste de cette destination qui cristallise les fantasmes.
Les films sur Las Vegas jouent alors de la frontière ténue entre mythes et réalité, liés notamment à la présence mafieuse pendant un peu plus d’un demi-siècle. Les imaginaires végasiens sont en effet principalement façonnés par l’idée qu’il s’agit d’une ville où est autorisé ce qui est interdit ailleurs. Cette spécificité est réelle puisque le Nevada a été pendant 47 ans le seul État américain à autoriser les jeux d’argent. L’essor des casinos à Las Vegas attire ainsi dès les années 1930 des groupes mafieux qui ont fait leurs armes dans les cercles de jeux illégaux dans le reste du pays, mais tout à fait légaux au Nevada. Les mafieux, et parmi eux des figures du crime organisé comme Bugsy Siegel ou Frank « Lefty » Rosenthal, ont ainsi investi tout à fait légalement à Las Vegas, ce qui ne veut bien sûr pas dire qu’ils n’étaient pas impliqués dans des activités répréhensibles, même selon les canons législatifs du Nevada.
La présence assumée de la mafia pendant plusieurs décennies n’est néanmoins pas la seule source d’inspiration pour le cinéma. Comment expliquer une telle attirance des réalisateurs pour Las Vegas ? Tout d’abord, la ville présente un décor à ciel ouvert, avec une force esthétique qui n’a que peu d’égal. Les architectures flamboyantes et démesurées, pour certains kitch, des hôtels-casinos qui bordent le Strip constituent un paysage urbain hors norme qui habille de façon incomparable les scènes qui y sont tournées, notamment de nuit avec la multitude de néons. Ce sont d’ailleurs les lumières de la ville qui ont participé à la renommée de la course poursuite devenue culte de James Bond dans Les Diamants sont éternels. La beauté des paysages du désert de Mojave, dans lequel se situe Las Vegas, explique de même l’attirance de réalisateurs à la recherche des vastes espaces de l’Ouest américain, marqués par la rugosité de sols rocheux, le contraste avec un ciel uniformément bleu, le tout embelli par la luminosité particulière du désert.
Mais Las Vegas n’est pas seulement utilisée comme simple décor, elle s’affirme souvent comme un personnage à part entière. La ville incarne en effet un lieu où tout est permis, où tout est possible, de la licence et de la débauche festive (voir Very Bad Trip ou Les Infidèles) au retournement du cours d’une vie grâce à un coup de dés (voir Rain Man ou Jackpot). Las Vegas incarne dès lors l’échappatoire et la réinvention, des motifs qui transcendent l’ensemble des films qui sont analysés dans cet ouvrage.
Il est intéressant de confronter ces représentations cinématographiques avec la réalité de l’aire urbaine végasienne, qui compte un peu plus de 2 millions d’habitants en 2016. Les films qui mettent en scène Las Vegas se concentrent sur les quartiers touristiques du Strip et de Fremont Street, et tendent à laisser hors champ les quartiers résidentiels. Ces derniers, incarnation banale de l’urbanisation du sud-ouest américain, sont le réel décor de la vie quotidienne des habitants, bien éloignée des frasques et des rebondissements au cœur des intrigues racontées dans l’intéressant ouvrage de Yohann Chanoir.
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© Pascale Nedelec pour Historiens & Géographes - Tous droits réservés. 15/10/2017.