Le Journal d’Hélène Hoppenot, "Hitler sait attendre. Et nous ?" Annonce de publication

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Hélène HOPPENOT, Journal 1936-1940, « Hitler sait attendre. Et nous ? », tome 2, Édition établie, introduite et annotée par Marie France Mousli. Éditions Claire Paulhan. Coll. « Pour Mémoire », 2015.

Par Corinne Amar
© in Florilettres, décembre 2015

Elle écrivait comme elle respirait, elle alla ainsi, aux quatre coins du monde, intellectuelle et artiste engagée, soucieuse d’exotisme - au sens noble du terme -, sensible à la grâce des autres, à l’enchantement, à la poésie de l’existence, à l’amour, aux amitiés vives, écrivain qui laissera une correspondance importante (avec son époux, ses amis), musicienne qui aurait pu consacrer sa carrière au piano, si elle n’avait rencontré son mari, diariste cultivée, émouvante à tant d’égards, qui commentait, dans son Journal [1] tous ses voyages, saisissait dans l’instant les événements pour qu’ils se représentent à elle dans l’avenir ; photographe - entre 1946 et 1955, elle éditera (dans différentes maisons d’éditions) six albums de voyages ; Chine, Extrême-Orient, Tunisie, Rome, Mexique, Guatemala, avec des préfaces rédigées par des amis écrivains. Ami intime, Paul Claudel préfacera Chine.

Hélène Hoppenot à Pékin (détail) © Lettre des éditions Claire Paulhan

Née en 1894 (elle mourra en 1990), Hélène Delacour a vingt-trois ans lorsqu’elle épouse le diplomate Henri Hoppenot, son aîné de trois ans, qu’elle accompagnera alors à l’étranger, servant avec constance, ingéniosité, la carrière de son mari dans le monde diplomatique, quarante années durant. Ils ont pour amis Saint-John Perse, Paul Claudel (camarades de promotion de Henri au Ministère des Affaires Étrangères, et amitié qui perdurera à travers toutes les années, les éloignements). Dès l’année qui suit son mariage, Hélène entreprend un Journal. Le premier tome publié (en 2012) allait de 1918 à 1933 et nous emmenait de Paris à Rio de Janeiro, Téhéran, Santiago du Chili, Berlin, Beyrouth, Damas, jusqu’à Berne. Son rêve ? La Chine, un jour. En 1933, Henri Hoppenot est nommé Ambassadeur à Pékin. La Chine, où ils séjourneront près de quatre ans, sera, pour Hélène, un éblouissement. « Nous avons été comblés. Nous n’avons pas été un jour sans nous dire « nous sommes heureux d’y être » (...) on était dans le quartier diplomatique comme dans une espèce d’oasis... », venait confirmer Henri (cf. Introduction p.11). Le Journal (qui fait suite au tome précédent qui s’arrête le 5 octobre 1933) reprend le 24 décembre 1936, trois ans après leur arrivée, et proches déjà du retour. « (...) Ces derniers jours, malgré tant de tâches, j’ai flâné dans la ville violette, perdue dans la contemplation de détails que je voulais fixer dans mon souvenir : la courbe d’un toit, la silhouette de pierre d’un gardien de tombe, le cercle de la porte du bonheur (...).En pleine mer ? Bientôt ? Comment est-ce possible ? Je crois que c’est la raison qui me pousse à reprendre cette conversation avec moi-même, ce Journal interrompu depuis trois ans par cette surcharge de bonheur. ». Portraits doux d’enfants chinois, ou volontiers féroces pour dessiner les diplomates à Pékin, bonheur devant les petits riens de la vie quotidienne, déchirement à se savoir quitter la Chine bientôt. 7 janvier 1937 : jour du départ. « (...) Le train s’arrête à de petites stations où les paysans apportent des plateaux de fruits, des poulets laqués de rouge vif, des cacahuètes, des graines de pastèques, de ces choses étranges que mangent, sucent et crachent les Chinois. Patiemment, sans paroles ni cris, ils attendent le client. » Ils s’apprêtent à embarquer sur le Chenonceaux, ce vieux bâtiment des Messageries Maritimes qui accomplit son dernier voyage en Extrême-Orient. Arrivée à Canton, « ville fermée et xénophobe » où les enfants ont des visages « farouches » ; alternance entre les descriptions de la rue et des Chinois, et des personnalités qui gravitent autour du monde diplomatique ; Consuls ou diplomates de carrière ; comtes de passage, passagers étrangers, fonctionnaires coloniaux, missionnaires venus évangéliser les âmes et vivant dans des conditions extrêmes, presque dangereuses pour eux... Conditions inégales, mondes inégaux... « 22 janvier [1937] (...) nous déjeunons chez le résident Judicelli, un Corse à visage de vieil acteur qui bonapartiste couvre sa table de violettes envoyées de Hanoï pour le 15 août et dîne en grande tenue devant le buste de Napoléon. Le matin, il expédie les affaires courantes puis monte au premier étage du consulat, transformé en fumerie d’opium et ne reparaît ni dans l’après-midi ni le soir... ».

Conscience aiguë de ces mondes parallèles, de ces existences de certains consuls, vice-consuls, bien moins réjouissantes qu’on ne pourrait le croire, parce qu’aliénées à un ministère imprévisible, et quant à eux sans racines, sans avenir... Le monde des ambassades, les ministres, les épouses de ministres : « Ces collègues, nous sommes destinés à les revoir sans cesse, comme les passagers sur le pont d’un bateau. » disait-elle déjà lors de ses premiers voyages de femme d’ambassadeur... Parce qu’à chaque nouveau poste, il faut réapprendre les noms, les visages, respecter les protocoles, rendre les invitations, les visites, fuir la sottise, le snobisme, les ennuyeux... Le Journal, tel une compagnie dans la vraie solitude. Hélène a, du reste, peu de goût pour l’introspection ; elle parle peu d’elle ou de ses ennuis de santé, nomme son mari par son initiale « H », dans son Journal. On les sent proches, liés par une affection, une complicité évidente, unis par leurs passions communes : la curiosité intellectuelle, les voyages, la passion des antiquités et des bibelots, l’amour de la peinture, la photographie... Elle mentionne très peu sa fille, Violaine, n’ayant jamais eu l’instinct maternel. Les jours passent, brumes, soleil par intermittence, l’eau au loin, pâle ; touches picturales délicates, prégnantes, tels certains ciels bleus de Boudin, scènes bouleversantes d’une Chine qui bouleversa tout autant un Victor Segalen, arrivé à Pékin un peu moins d’une trentaine d’années plus tôt... Images de la vie quotidienne des Chinois dans les campagnes, dans les villes, à Pékin, mais aussi des Français. Description des bâtiments, des employés... Témoignage d’une époque ; littéraire, artistique mais aussi politique, bien sûr. La guerre approche. « 10 mai [1939] De nouveau à Paris. Comme chaque fois un sentiment d’angoisse en revoyant la banlieue. L’Allemagne marque un temps d’arrêt dans ses conquêtes sans guerre et l’atmosphère politique est un peu détendue. Combien de temps sa digestion durera-t-elle avant d’avaler une nouvelle proie ? Hitler sait attendre. Et nous ? (p. 283) ». Autoportrait en filigrane d’un caractère courageux, résistant, qui n’a certes pas froid aux yeux. Le 10 juin 1940, elle cherche à joindre son mari, à Paris, mais une voix lointaine de femme lui dit que « Paris ne répond plus ». (...) « La voici, cette défaite redoutée. Paris ne répond plus ?... Cette voix de femme va résonner dans mes souvenirs et je ne pourrai l’oublier... Mais, un jour, Paris répondra. Ressuscitera. » Elle prendra avec son mari et sa fille le chemin de l’exil, via Bordeaux, Madrid, Lisbonne, pour rallier en bateau le lointain poste diplomatique de Montevideo. « Je ne me sens pas heureuse et dois appeler à la rescousse tout ce qui me reste de courage. (p.513) »...

© http://www.clairepaulhan.com/

Pour lire l’ensemble du dossier, cliquez sur ce lien : http://www.fondationlaposte.org/index.php). [2]

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Notes

[1Journal 1918-1933 « J’ai le plus grand désir d’aller au bout du monde - mais non de m’arrêter en chemin. »,Édition établie, introduite et annotée par Marie France Mousli. Éditions Claire Paulhan. Coll. « Pour Mémoire », 2012

[2La Rédaction remercie vivement Madame Claire Paulhan pour nous avoir transmis ces documents et cette annonce.