Le Nouveau Cinéma Argentin (compte-rendu) Chronique cinéma

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Par Albert Montagne [1]

Pietsie Feenstra et Maria Luisa Ortega (dir), Le Nouveau du Cinéma Argentin, CinémAction n° 156, Ed. Charles Corlet, septembre 2015, 186 p., 24 euros.

D’entrée, il faut souligner la sortie de ce livre sur un cinéma dynamique mais méconnu, car latino-américain et tiers-mondiste, et 2015 est l’année où le cinéma argentin a enfin en France un livre spécialisé. Il faut aussi noter la pluralité des collaborateurs internationaux : Français, Belges, Britanniques, Canadiens, Brésiliens, et surtout Espagnols et Argentins. Comme le précise Monique Martineau, l’ouvrage généraliste et toujours de référence est Les cinémas de l’Amérique latine de Guy Hennebelle et Alfonso Gumucio-Dagron (dir.) (avant-propos d’Edouard Bailby et de Louis Marcorelles, préface de Manuel Scorza, Ed. Lherminier) de septembre 1981. 34 ans séparent ces deux ouvrages. Entre-temps, CinémAction a publié Dix ans après mai 68. Aspects du cinéma de contestation de Guy Hennebelle et Robert Prot (dir.) (n° 1, mai 1978) et Fernando Solanas ou la rage de transformer le monde de René Prédal (dir.) (préface de Gillo Pontecorvo, préambule de Guy Hennebelle, n° 101, octobre 2001). 100 numéros séparent ces deux titres : tout un symbole !

Le Nouveau du Cinéma Argentin est un panorama du cinéma argentin contemporain. A la fin des années 90 apparaît le Nouveau cinéma argentin (NCA) proposant des histoires intenses avec une créativité visuelle novatrice, en rupture avec la période de la dictature militaire. Ce cinéma crée de nouveaux mondes en termes d’esthétique, de production, de diffusion et de formation. Dans la première partie, Contextes et enjeux du Nouveau cinéma, Gonzalo Aguilar définit le NCA (Le nouveau cinéma argentin, comment le décrire aujourd’hui ?) et le cinéma en marge qui apporte une diversité dans les festivals, musées et salles de cinéma (La seconde phase du NCA : le cinéma anomal). Jens Andermann, Faux-monnayeurs : échanges et confrontations entre cinéma d’auteur et cinéma commercial, étudie, d’une part, les conséquences économiques de la nouvelle loi du cinéma de 1994 taxant la télédiffusion et les locations de vidéo qui modifie la diffusion et la production du cinéma, d’autre part, Les neuf reines de Fabián Bielinski (2000), l’un des plus gros blockbusters, représentatif du NCA. Pablo Piedras et María Valdez, A la recherche du public, décrivent les relations entre le cinéma des années 90 et ses publics nouveaux et perdus, avec ses réalisateurs, producteurs, conglomérats, stars et genres. Clara Garavelli, Le XXI° siècle et les défis de la numérisation, analyse les mutations de la vidéo qui joue un rôle important en Argentine, notamment avec le vidéo-activisme et la vidéo expérimentale. Eduardo A. Russo, Politiques et poétiques de la mémoire dans le documentaire contemporain, aborde les questions cruciales sur les mémoires, tensions et constructions, les récits, performativités et archives, les témoignages, mémoires et post-mémoires, qui représentent le réel dans le NCA et hantent le public et le privé.

Dans la deuxième partie, Production, diffusion et réception, Jorge La Ferla, Arrête ton cinéma, les études cinématographiques en Argentine, examine les institutions et écoles de cinéma argentines et le rôle des revues spécialisées. Nadia Lie, Une question transnationale : les conditions de production du NCA, situe le NCA dans son contexte de production et dans un phénomène latino-américain spécifiquement argentin. Alberto Elena (†, à qui est dédié ce CinémAction) et Minerva Campos, Pour une poignée de festivals : stratégie du NCA, soulignent la force du NCA misant sur les festivals internationaux. David Oubiña, Légitimation du renouveau dans le cinéma argentin, montre les mutations inattendues du NCA, professionnelles et économiques, alternatives, conventionnelles et « rétro ». Maria Pitaro, Cahiers du Cinéma, Positif et Cinémas d’Amérique latine..., décortique les revues françaises intéressées par le NCA.

Dans la troisième partie, Auteurs : la génération et la création, sont vus les cinéastes argentins : Fernando Solanas, Leonardo Favio, Adolfo Aristarain et Carlos Sorín par Françoise Heitz ; Pablo Trapero, Martin Rejtman, Adrián Caetano et Bruno Stagnaro par Pietsie Feenstra ; Lucrecia Martel, Lisandro Alonso, Mariano Llinás par Ana Martín Morán ; Santiago Loza, Celina Murga, Santiago Mitre par Wolfgang Bongers ; Lita Stantic, Maria Luisa Bemberg, Albertina Carri, Daniela Seggario, Natalia Smirnoff par Laurence H. Mullaly.

Dans la quatrième partie, Regards transversaux : corps et performativité, Lorena Verzero, Les dispositifs du corps dans le jeu d’acteur, compare les relations entre le théâtre et le cinéma. James Cisneros, La peau de Buenos Aires, dresse une cartographie urbaine du cinéma argentin contemporain. María Luisa Ortega, Corps, matière et affects dans le documentaire, montre que le documentaire est un genre anomal qui se partage les circuits et dynamiques de visibilité et de légitimité du cinéma de fiction. Sophie Dufays, L’enfant : corps-témoin de l’histoire, contextualise l’image de l’enfant témoin de l’histoire nationale dans Enfance clandestine (2011) de Benjamin Avila.

Enfin, une bibliographie sélective (5 pages essentiellement en castillan) clôt le tout. Un ouvrage qui comble une longue lacune.

© Albert Montagne.

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© Les services de la Rédaction de l’APHG - Tous droits réservés. 11/05/2016.

Notes

[1Docteur en Histoire contemporaine et juriste (maître en droit), Professeur d’Histoire-Géographie. Membre de la cinémathèque euro-régionale Institut Jean Vigo (IJV) et de la Société Pour l’Histoire des Médias (SPHM). Rédacteur aux Cahiers de la Cinémathèque, collaborateur à CinémAction, Historiens & Géographes et Historia… Auteur de chroniques pour l’APHG-Languedoc-Roussillon.