En cette dernière ligne droite avant le Bac, une tribune coup-de-gueule contre ces sites payants et ces éditeurs d’annales qui jouent sur le stress de nos élèves de Terminale et ruinent notre travail de fond !
Cela fait déjà plusieurs semaines que j’ai devant moi un certain nombre de mes élèves de Terminale qui, ouvertement, après avoir « stabiloté » en jaune la totalité de leurs petits fascicules, les recopient en classe de manière microscopique pour se faire des fiches ! Ils n’écoutent plus rien !
Pourquoi, à ce stade de l’année, avoir perdu son cahier (si on en avait eu un) ou égaré ses notes de l’année (si on en prenait) ?
Pourquoi ne pas utiliser pour réviser le cours du professeur avec lequel l’on a pourtant passé plus de 140 heures en Terminale ES, plus de 70 h en TS ?
Pourquoi ne pas travailler avec son manuel ?
Pourquoi faire des fiches microscopiques ? De la taille d’antisèches ?
Pourquoi « bachoter » ne consisterait-il pas simplement à relire son cahier de l’année, le compléter, l’annoter avec l’aide du manuel… faire les liens entre les chapitres qu’on n’a pas pu faire en début d’année, relire ses copies, les appréciations du professeur, les corrigés, puis se faire quelques petites fiches personnelles et grâce à cela bien maîtriser l’architecture du programme ?
Alors qu’est-ce que ces fascicules ont donc de si attractifs ?
Nos élèves les ont payés !
Ils ont déboursé 7, 8, 15 Euros pour un bouquin ou pour une inscription sur un site Internet qui promet monts et merveille. Et par exemple des quizz ! Comme pour le code de la route ! Comme si le quizz avait quelque chose à voir avec nos exercices et nos ambitions ! Le Bac serait-il devenu une annexe du jeu des 1 000 Euros ?
Mais nous, les professeurs d’Histoire-Géographie de l’Education Nationale, personne ne nous paie ? Nous sommes une espèce curieuse qui s’épanouit « gratuitement » dans la France de 2016, dans ce monde mondialisé qu’analysent nos programmes où tout s’achète, se vend, se négocie ?
Si nous donnons l’impression d’être « gratuits » c’est juste parce que dans ce grand pays industrialisé et développé qu’est la France, un effort considérable est consenti par le contribuable pour financer ce service public de l’Éducation Nationale. Ainsi dans mon (gros) lycée de province, le coût du salaire des professeurs pour le contribuable français est juste d’un million d’euros par mois ! Une broutille quoi…
Nos élèves les ont choisis ces fascicules !
Mais nous, ils ne nous choisissent pas. Ils doivent nous subir ! Comment est-ce encore possible dans ce monde où l’on a sans cesse l’embarras du choix et où le consommateur est roi ?
Sauf que le service public ne fonctionne pas selon ce paradigme d’un « client-roi » et d’un « commerçant obséquieux ».
Nous sommes donc très agaçants nous les profs à imposer nos manières de faire en arguant de notre « liberté pédagogique » : pour qui nous prenons-nous enfin ? De quel droit imposerait-on dans l’année nos exercices, nos exigences, l’ordre dans lequel nous traitons les programmes ? Notre notation n’est-elle pas « à la tête du client » ? Parce qu’effectivement, dans le monde du commerce, le prix d’un bien ou d’un service dépend du marché et donc de la tête du client…
Mais si nous sommes rigides dans nos approches pendant l’année, c’est juste que nous avons été recrutés pour une mission dans l’intérêt général du pays. Nous sommes des fonctionnaires, c’est-à-dire le bras actif du pouvoir exécutif. Nous sommes sous la tutelle de notre ministère : le Ministère de l’Éducation Nationale, de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, ce très grand ministère qui est chargé d’assurer la formation de notre jeunesse et de préparer l’avenir et qui compte plus d’un million de fonctionnaires.
La très grande majorité d’entre-nous ont choisi ce métier parce qu’ils croyaient que préparer l’avenir de leur pays et, au-delà, de l’Europe et de la planète était une belle mission.
Alors oui nous sommes au service de l’intérêt général et pas de l’envie égoïste de l’élève lambda (et de ses parents) à choisir ce qu’il veut ou ne veut pas étudier : notre pays a besoin d’une jeunesse instruite, qui ait à la fois :
- la rigueur et l’esprit rationnel et scientifique propres à faire fonctionner le système complexe qui est celui d’un pays industrialisé développé où les différentes activités sont si interdépendantes les unes et des autres.
- la culture générale et l’esprit critique qui lui permettent de comprendre le monde dans lequel elle vit et d’avoir ainsi des éléments d’ancrage pour réfléchir à l’avenir.
- en plus, une sensibilité littéraire et artistique.
Quelle mission ! Quel programme !
C’est principalement à la formation de cette culture générale et de cet esprit critique que nous contribuons, nous les professeurs d’Histoire-Géographie, et tout particulièrement lors de cette année de Terminale qui marque la fin de la scolarité secondaire. Les titres de nos deux programmes d’Histoire « Regards historiques sur le monde actuel » et de Géographie « Mondialisation et dynamiques géographiques des territoires » le rappellent.
Et dans cette mission nos approches au cours de l’année varient évidemment en fonction de notre public, de son niveau, de son intérêt, de ses difficultés. Bref nous avons tous des progressions adaptées au niveau de nos élèves, qui permettent aux plus forts d’exceller, aux plus en difficulté d’éviter le découragement, aux autres de progresser.
Et un petit bouquin à 7 Euros qu’on « stabilote », le même pour tous, ferait mieux ? Alors qu’il s’adresse indifféremment à tout élève de Terminale lambda sans savoir si cet élève est encore au stade où il identifie mal les protagonistes de la Première et de la Seconde Guerre mondiale et mélange allègrement Japonais et Chinois ou s’il se demande déjà avec perspicacité comment vont évoluer les rapports géopolitiques entre la République Populaire de Chine et Taïwan ?
Or qui sont-ils ces auteurs des annales ou des sites payants ? N’avons-nous pas l’habitude chaque fois que nous sommes confrontés à un document de nous interroger sur sa provenance : nature, auteur, date, contexte historique, thème. Or là-dessus les éditeurs d’annales ne brillent pas leur transparence : les noms des auteurs sont rarement mentionnés.
En quoi leurs cours, corrigés et conseils seraient-ils plus pertinents que les nôtres dans nos classes ?
Parce qu’ils sont imprimés ?
Cela ne rappellerait-il pas un peu trop Le petit livre rouge ?
Les annales seraient ainsi la Vérité ? Leur croquis de Bac : le croquis à apprendre par cœur et recracher tel quel le jour de l’examen ?
Cette situation me met en colère !
Elle ruine notre métier en discréditant le travail que nous avons tenté de faire au fil des années dans nos classes avec l’idée qu’un vadémécum à assimiler d’urgence suffirait à s’en sortir pour le Bac et que tout le reste n’aurait servi à rien.
Le monde d’aujourd’hui dans notre pays ne se caractérise pas par l’absence d’informations mais au contraire par leur trop grand nombre et donc la difficulté qu’il y a à les trier, les confronter, mettre en relief les choses importantes pour dégager des cohérences, des causalités, rendre plus intelligible un monde si complexe. Il faut du temps pour cela.
C’est là que réside notre principal savoir-faire de professeurs d’Histoire-Géographie : avoir une connaissance disciplinaire suffisamment solide pour être capable de dégager l’armature d’une culture générale dans ce fatras d’informations qui noie un jeune englué en permanence dans l’immédiateté. Et transmettre cette aptitude à trier.
Alors évidemment ce n’est pas spectaculaire comme savoir-faire ! On épate moins la galerie en apprenant cela à des élèves qu’à se gargariser d’érudition. Mais notre objectif au lycée n’est pas de former des spécialistes. Nous sommes d’ailleurs une des seules matières qu’on ne peut pas prendre en « spécialité » au Bac. Nous ne travaillons pas pour notre « chapelle » disciplinaire mais pour tous : pour essayer de leur rendre le monde qui les entoure un peu moins inintelligible… et donc moins effrayant.
Nous serions peut-être davantage pris au sérieux si nous exigions de nos élèves qu’ils apprennent par cœur des tartines de dates, de faits, de statistiques, de personnages… Notre discipline a renoncé à cela depuis au moins deux générations. A cette époque elle passait pour une matière rébarbative et barbante demandant un effort de mémoire considérable. Mais elle était redoutée !
Aujourd’hui elle est devenue plus intelligente, mettant l’accent sur des compétences nécessaires à tout adulte de pays industrialisé :
- savoir construire un texte argumenté mais pas forcément très long dans sa langue maternelle (correctement maîtrisée) en mettant en relief les points importants sur un thème général concernant l’histoire du XXe siècle et la géographie des grandes puissances.
- avoir le réflexe de ne pas prélever une information dans un document avant d’avoir vérifié sa provenance et ne pas prendre tout document au pied de la lettre.
- être capable d’utiliser et de construire une carte ou un schéma pour enrichir son propos.
Mais en acceptant de remplir cette mission essentielle pendant que nos collègues des autres disciplines continuaient souvent à faire leur « spécialité », notre matière scolaire s’est dévalorisée socialement.
Elle ne vaut plus que 7 euros dans la tête de nos élèves de Terminale et de leurs parents !
Pourtant je reste convaincue que nous avons raison, nous professeurs d’Histoire-Géographie en collège et en lycée, de nous entêter à croire que ce que nous faisons est important pour l’avenir !
© Chantal Le Guillou-Porquet
Agrégée de Géographie
Présidente de l’APHG Poitou-Charentes
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