Le pari du livre de Bruno Dumézil, comme celui de la collection dans lequel il est publié, est d’inscrire le baptême de Clovis parmi ces journées particulières qui ont pu participer, d’une façon ou d’une autre, à la construction de la France.
L’auteur, qui part des commémorations de 1996, nous projette ensuite au tournant du VIe siècle. Il se place dans la continuité et l’utilisation des travaux précédemment rédigés autour de cet événement, ceux de Georges Tessier, Michel Rouche, Laurent Theis ou encore Stéphane Lebecq par exemple.
Bruno Dumézil commence par présenter tout ce que l’on peut savoir de ce baptême en le comparant à ceux de cette époque, analysant pour cela la source principale de cette information, tant dans sa forme que dans son contenu : la lettre d’Avit de Vienne dont il montre aussi les limites.
Afin de tenter de comprendre ce baptême, ce sont les sociétés de l’Antiquité tardive que l’auteur fait revivre : l’ethnogenèse franque, les Francs, et leur rapport à l’Empire romain, l’apparition de la « dynastie » mérovingienne : tout est évoqué, analysé, mis en question.
Cette approche montrant ses limites, dans un second temps, Bruno Dumézil replace le baptême dans le contexte religieux des Ve- VIe s. : il nous présente le christianisme de la fin de l’Empire romain, son expansion progressive, mais aussi ses divisions et querelles nombreuses. Il distingue ainsi classiquement les tendances religieuses ariennes et nicéennes, mais aussi la croyance homéenne qui domine un temps largement l’Occident européen, jusqu’à la bataille d’Andrinople en août 378. La question des schismes est fondamentale. Le schisme d’Acace d’abord qui divise profondément la communauté chrétienne entre Orient et Occident de 484 à 519 et contraint chaque chrétien à prendre position. Mais aussi le schisme de 498 au sein de l’Eglise de Rome, issu de la double élection pontificale de Symmaque et Laurent. Dans ces querelles : quelles positions Clovis a-t-il tenu ? L’enquête va jusqu’à scruter les cadeaux envoyés par Clovis au Saint Siège pour tenter de cerner ses fidélités. Bruno Dumézil replace ainsi la religion chrétienne, son expansion et son imprégnation dans toute l’épaisseur de la société gallo-romaine de ce tournant du VIe siècle. Cependant, et malgré certaines hypothèses convaincantes, la question du choix religieux de Clovis demeure irrésolue.
Face à cette nouvelle impasse, Bruno Dumézil tente alors de reconsidérer la place de ce baptême dans le règne du Franc. Il montre alors ce que les sources nous permettent de comprendre du règne de Clovis, ainsi que sa portée pour les générations suivantes. Il met à jour la quasi amnésie mérovingienne concernant Clovis… et, a fortiori, son baptême. Là encore les sources, comme l’œuvre de Grégoire de Tours, sont finement analysées et critiquées, montrant bien leur peu de fiabilité quant à l’évènement considéré, ce qui n’enlève rien à leur intérêt.
On découvre rapidement comment jusqu’au début du règne des Carolingiens, Clovis ne resurgit que de façon très opportune dans la mémoire : comme modèle ou anti-modèle, afin de montrer les défauts des rois régnants sans s’en attirer les foudres. La figure de Clovis est utilisée, modifiée, transformée selon les besoins politiques du temps.
S’ensuit alors une tentative de datation du baptême elle-même conçue tel un jeu : l’auteur scrute chaque possibilité de date, la critique, avant de se risquer à en proposer une, dont il ne manque pas non plus de montrer les limites. C’est au travail de fond de l’historien, à sa démarche réflexive, qu’on est alors confronté, même si, avec une grande honnêteté intellectuelle, aucune réponse nette et définitive n’est apportée.
Enfin, il remonte le cours du temps jusqu’à nos jours pour mesurer la portée et surtout l’utilisation (ou non) de cet événement au fil du temps : s’attardant autant sur les périodes de construction et d’utilisation du mythe que sur celles de sa disparition tout aussi édifiantes. Il nous montre les querelles suscitées autour de Clovis et de son baptême, contribuant au passage à la réhabilitation de certains historiens tels Aimoin de Fleury ou l’abbé Dubos.
Bruno Dumézil, face à cet exercice particulièrement périlleux d’évocation d’un sujet largement traité et dont la sensibilité resurgit périodiquement, s’en tire donc avec brio et humour, redonnant de l’épaisseur à la période traitée, envisagée sous tous ses aspects, mettant au jour l’essentiel de la démarche historique et ses éventuelles limites. Il fait véritablement œuvre ici d’historien mesurant la place d’un évènement (on pourrait presque dire d’un « non-événement » au VIe s.) dans la construction de la France, à partir d’une analyse précise et même impitoyable de notre maître absolu : les sources.
Il nous livre ainsi tout au long de cet ouvrage la riche histoire d’un « détournement de fonts » (sic).
© Yveline Prouvost pour Historiens & Géographes 449 - Tous droits réservés. 20/02/2020.