« Le cafard » de Jan Bultheel Film - sortie en salles novembre 2015

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Par Violeta Martinez-Auriol [1]

L’APHG s’intéresse depuis longtemps au cinéma, comme en témoignent la revue Historiens & Géographes et les comptes-rendus de films et documentaires paraissant sur son site. Le cinéma d’animation est un genre adapté au public du Collège et du Lycée, même si aujourd’hui la catégorie « adulte » est largement concernée. Qu’en est-il pour ce dernier film, visionné par l’APHG, qui s’inscrit dans « la nouvelle vague de films d’animation d’auteurs intéressants pour les adultes .. » (présentation du dossier de presse ) ?

Synopsis

1914. Jean Mordant, lutteur belge, triomphe à Buenos Aires au championnat du Monde. Au même moment, de l’autre coté de l’Atlantique, dans un rue sombre d’Ostende en proie à l’occupation, sa fille, Mimi, se fait abuser par une patrouille de soldats allemands. De retour chez lui, Jean fait le serment de venger cette ignominie et s’engage avec son entraîneur et son cousin au sein du mythique bataillon belge ACM. 

À son grand dam, les voilà embarqués pour quatre années dans une odyssée surréaliste autour du monde. Au bout du compte, malgré l’horreur de la guerre, les déchirures et les peines, Jean finira par retrouver à Ostende une raison d’aimer la vie.

Inspiré d’une histoire vraie, ce long métrage animé en forme de road movie montre toute l’absurdité de la Grande Guerre.

Compte-rendu de visionnage

Deux remarques : d’abord, la difficulté à entrer dans une histoire particulière, imbriquée dans l’Histoire, faute de références assez précises pour la resituer. L’histoire est vue par la « périphérie » (par rapport à des élèves français), c’est-à-dire par la Belgique et la méconnaissance de la situation, du statut de ce pays, de son histoire dans les relations avec l’Allemagne et les alliés de chaque camp doit être prise en compte. La deuxième remarque concerne la technique utilisée : ce n’est pas un film d’animation (« …l’approche technique est inédite ; elle repose sur la capture du mouvement tant du corps que du visage .. » dit le dossier de presse), ainsi que sa transcription en images animées. Dans un premier temps, on est surpris – tant la confrontation avec les films d’images de synthèse, hyperréalistes, qui dominent le cinéma d’animation est forte.

Alors quel est l’intérêt de ce film ? Il est multiple, nous semble-t-il.

Il souligne d’abord que la Première guerre est une Guerre mondiale ; autour des grands protagonistes, une myriade de pays petits et moyens est entraînée de force ou par conviction dans le conflit. L’épopée de Jean Mordant, champion du monde de lutte, de son entraîneur et de son neveu, va de la Belgique à la France, se poursuit en Europe centrale sur les champs de bataille de l’Autriche-Hongrie, puis en Russie et par le Transsibérien débouche à Vladivostock - sans incidents semble-t-il ! Qu’est devenue la guerre civile qui déchire la Russie ? Qu’en est-il du combat du Bolchevisme en Sibérie centrale et orientale ? De là, la marine américaine prend le relais et nos héros débarquent à San Francisco.

Il rappelle que l’Histoire est faite de millions d’histoires individuelles : ici, celle de J. Mordant entraîné dans le conflit comme volontaire à la suite du viol de sa fille à Ostende, en Belgique occupée par les Allemands. A ce titre seulement, la Guerre peut paraître « absurde » (dit le dossier de presse) puisque le héros n’a pas de vision politique et idéologique du conflit ; ce qu’il faut bien préciser. D’ailleurs l‘histoire, tirée d’un livre « Reizigers door » de Grote Oorlog, soit « Voyageurs dans la Grande Guerre », met l’accent sur cet aspect « individuel » de l’aventure contée.

Il illustre une des multiples tentatives d’actions militaires, souvent ignorées, qui accompagnent les grandes opérations menées sur tous les fronts. Beaucoup découvriront ainsi les 342 Belges du mythique bataillon de Blindés ACM (autos-canons-mitrailleuses) dans leur odyssée de 4 ans à travers le monde « qui n’a pratiquement servi à rien du point de vue militaire .. »

Il met l’accent sur l’idéologie – la Révolution en Russie allant jusqu’à la lutte à mort entre Kérensky et les Bolchéviques –, mais sans quelques explications pour dire la complexité d’une situation mêlant Guerre internationale et Guerre civile. Jean Mordant, héritier d’un idéalisme du XIXème siècle, n’arrive pas à comprendre non plus. La figure du compagnon de J. Mordant, Julien Lahaut, futur député communiste (dans le livre) est à peine esquissée...

Il esquisse la profonde transformation des hommes au cours de cette guerre, sans le démontrer vraiment, ou bien d’une façon ambiguë. Un homme nouveau ? Certes, la Première Guerre mondiale peut être considérée comme un coupure sur certains plans. Mais le film est si décontextualisé qu’il est difficile d’en cerner les contours. Est-ce une référence au Pacifisme de l’entre deux-guerres qui a aussi sa part d’ombre et de responsabilité dans le déclenchement du Second conflit mondial ?

La technique utilisée par ce film est efficace : elle donne des images saisissantes de mouvement, composées parfois comme des tableaux rappelant un nouveau courant de la peinture d’histoire né vers la fin du XIXème siècle, en opposition avec la peinture héroïque traditionnelle. Le travail sur la couleur aidant, on entre peu à peu dans cette histoire rocambolesque.

La tendance actuelle des films de guerre met l’accent sur l’homme, l’individu, et ce film se range dans ce créneau. Mais faute d’éléments de compréhension pour suivre le parcours de ce groupe courageux ballotté par les hasards de l’Histoire, nous le recommanderions plutôt pour des adultes ou dans le cadre d’un Ciné-Club en Lycée. Ajoutons qu’on peut être dubitatif devant cette affirmation du dossier de presse qui souligne la volonté du metteur en scène d’illustrer les « racines de la culture européenne ». A moins que « les racines » ne se résument à une religion, le christianisme, comme semble le suggérer l’image de la religieuse remettant à Jean Mordant son petit-fils désormais orphelin ?

Les services de la Rédaction - Tous droits réservés. 12/10/2015.

Notes

[1Co-secrétaire de la Régionale APHG Île-de-France, Professeur-relais concours scolaire EUSTORY et Commission "Europe" de l’APHG.