Le crime de lèse-nation. Histoire d’une invention juridique et politique (1789-1791) Compte-rendu de lecture / Révolution française

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Jean-Christophe GAVEN, Le crime de lèse-nation. Histoire d’une invention juridique et politique (1789-1791), Sciences Po-Les Presses, 2016, 559 p., 28 euros.

L’expression de « crime de lèse-nation » répond et s’oppose au »crime de lèse-majesté » existant en France et s’appliquant au roi souverain. Cette nouvelle expression apparaît le 23 juillet 1789 comme découlant directement de la victoire de l’Assemblée Nationale sur le pouvoir royal au cours des mois de juin et de juillet 1789. Elle consacre ce transfert de souveraineté. La brève histoire de cette « invention juridique et politique » (p. 9) n’a été marquée que par une seule condamnation à mort, celle du ci-devant marquis de Favras pendu le 19 février 1790 place de Grève à Paris. Cette « première expérience de justice politique de la Révolution française » nous permet de pénétrer dans les débats de l’histoire de la justice politique révolutionnaire.

Tout commence le 17 juin 1789 lorsque les États-généraux se transforment en Assemblée Nationale. Malgré la solennité de la proclamation, la nouvelle assemblée est en danger car elle est fortement divisée en tendances et les partisans de la prééminence royale sont encore puissants non seulement au sein de l’assemblée mais aussi dans le pays. En effet, le roi n’a pas dit son dernier mot et il dispose d’importantes forces armées. Ne va-t-il pas dissoudre les États généraux ? Les grands orateurs de l’Assemblée, Mirabeau, Le Chapelier, craignent un coup de force royal. C’est la peur de la dissolution qui pousse les députés à jouer leur va-tout en substituant aux États-généraux une Assemblée Nationale le 17 juin et en confortant cette position par le serment du Jeu de Paume qui affirme l’inviolabilité des députés. Implicitement, ceux qui porteraient atteinte aux députés seraient traîtres envers la nation. Mais, très vite les députés constatent la difficulté de définir la « lèse-nation » et, pendant des jours et des jours ils débattent de la question tandis que le peuple parisien s’inquiète des troupes qui stationnent autour de Paris. C’est le 14 juillet qui sauve l’Assemblée et abaisse l’autorité du roi, lequel, dès le lendemain 15 juillet, demande l’aide de l’Assemblée. Ainsi, l’arme de la lèse-nation est-elle utilisée contre le « complot aristocratique ». Mais, peu de jours après elle l’est aussi contre la « vengeance populaire » qui s’exprime à travers la Grande Peur. Pourtant la lèse-nation est exclue de la Déclaration des droits de l’homme et également de la nouvelle organisation judicaire du royaume tandis que l’assemblée refuse toute définition exhaustive des crimes de lèse-nation.

Il n’empêche, cette loi donne lieu à une importante activité judiciaire dont l’ouvrage nous fournit de très nombreux exemples d’où il ressort que la loi est surtout utilisée à l’encontre des contre-révolutionnaires, contre la presse, contre les accaparements et même contre les ministres. Quasiment toutes les affaires instruites dans le cadre de ce crime le sont au nord d’une ligne allant de Brest à Grenoble. Marat lui-même est inquiété mais la protection du club des Cordeliers lui évite d’être jugé pour cela.

Finalement, l’assemblée crée une Haute cour nationale provisoire en mars 1791 supprimée dès septembre de la même année. Ainsi prend fin cette tentative de créer « une protection pénale de la nation souveraine » (p. 467). Cet ouvrage d’un juriste qui a obtenu pour cela le prix de thèse 2005 de l’Assemblée Nationale, apporte incontestablement du nouveau sur l’histoire des assemblées révolutionnaires. Il surprend au premier abord l’historien mais, grâce à de réelles qualités de clarté et d’érudition - on n’ose pas dire pédagogiques - il est accessible pour des non spécialistes.

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© Jean SAGNES pour Historiens & Géographes, 14/05/2017. Tous droits réservés.