Le devoir de mémoire. Histoire des politiques mémorielles Compte rendu de lecture / Histoire contemporaine

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Par Gilles Vergnon. [1]

Sophie Hasquenoph (en collaboration avec Serge Barcellini), Le devoir de mémoire. Histoire des politiques mémorielles, Paris, Soteca, coll. « Histoire de la mémoire », 2017, 280 p., 22 euros.

L’ouvrage de notre collègue Sophie Hasquenoph, de l’Université de Lille, associée à Serge Barcellini, aujourd’hui Président du Souvenir Français et l’un des grands protagonistes des politiques mémorielles au sein des cabinets ministériels dans lesquels il siégea longtemps, entend conduire une histoire des politiques mémorielles en France, de leurs acteurs et de leur évolution. A cet égard, le titre choisi peut induire en erreur : il s’agit moins d’une histoire du « devoir de mémoire », une catégorie très récente, hautement discutable et ressassée jusqu’à plus soif depuis trois décennies, que d’une histoire des dispositifs qui organisent et pérennisent le souvenir collectif.

Comme l’annonce Serge Barcellini dans sa préface, le livre suit un fil conducteur : le passage d’une politique de mémoire « identitaire », centrée sur la nation, faite de héros et de deuil, à une politique mémorielle « des droits de l’Homme », mondialisée et centrée sur les victimes. Si chacune d’entre elles met en relations quatre éléments (des héros, combattants ou « Justes », des victimes, elles-mêmes « héroïsées » ou « victimisées », des acteurs, pouvoirs publics et monde associatif, et des outils, cérémonies commémoratives, monuments patrimoniaux, musées et « petite monnaie » triviale des timbres ou des chansons), la bascule tendancielle des « morts pour la France » aux « morts à cause de la France » est évidemment lourde de sens…

L’ouvrage, complet et très (trop ?) didactique, après avoir défini les paramètres de son sujet (souvenir, mémoire, devoir de mémoire, travail de mémoire…), aborde successivement la phase de construction d’une mémoire combattante, de 1870 à 1945, puis le passage, avec les guerres coloniales puis les « OPEX » actuelles, à une « nouvelle mémoire de guerre », plus doloriste et, enfin, la « mémoire victimaire » contemporaine et les controverses qui l’accompagnent. La dernière partie se confronte avec des questions très actuelles, que tous nos collègues connaissent bien : le « révisionnisme mémoriel » et ses dangers, les rapports entre mémoire et justice avec les questions bien différenciées du « pardon », de la « repentance » et de la « reconnaissance », les difficultés présentes de la transmission des mémoires avec l’affaiblissement, voire la disparition progressive des associations, au moins celles liées aux deux guerres mondiales, qui passent le témoin aux Fondations qui naissent dans les années 1990 (Fondation de la Résistance en 1993, Fondation de la France libre en 1994, Fondation pour la Mémoire de la Shoah en 2000…).

Sans surprise, mais sans doute avec raison, les deux auteurs plaident pour un rôle renouvelé du « Souvenir Français », qu’ils voient comme « la grande association mémorielle du XXIe siècle », qui prendra le relais de l’ancien monde associatif.

Ajoutons que le travail de Sophie Hasquenoth, complété d’une riche bibliographie et d’une liste de romans conseillés pour chaque conflit depuis la guerre de 1870, est ponctué de tableaux récapitulatifs avec filmographies, agenda des commémorations, liste des cimetières nationaux… et d’encarts citant des extraits de lois, rapports (le très important rapport d’André Kaspi en 2008) et « grands textes » historiographiques (Pierre Nora, Jean-Pierre Rioux) ou politiques (discours de Lionel Jospin, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy…).

On ne peut que le conseiller à tous nos collègues, où qu’ils enseignent, du collège au lycée… et au-delà, de la métropole à la France d’outre-mer.

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© Gilles Vergnon pour Historiens & Géographes - Tous droits réservés. 11/02/2018.

Notes

[1Maître de conférence habilité en histoire contemporaine à l’Institut d’études politiques de Lyon. Il est spécialiste de l’histoire des gauches en Europe et de la Seconde Guerre mondiale. Gilles Vergnon est membre du Conseil national de Gestion de l’APHG et chargé de mission auprès du Bureau national pour la Mémoire et les politiques mémorielles.