"Les Boys d’Alabama" - Nimrod Frazer Présentation et interview inédite "Historiens & Géographes"

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Par Vincent Bervas. [1]

La ferme de la Croix-Rouge se situe entre Château-Thierry et Fère-en-Tardenois, deux villes entre la Marne et l’Ourcq, bien avant qu’ils ne baignent Paris. La ferme de la Croix-Rouge a disparu il y a près de cent ans et il ne reste d’elle qu’un solide pan de mur. Ce lieu, entre bois et champs a une importance particulière dans la mémoire américaine. Tombé en désuétude, son souvenir fut revitalisé le 12 novembre 2012 avec l’inauguration d’un mémorial, mais il restait à publier son histoire. C’est de cette tâche dont s’acquitte Les boys d’Alabama de Nimrod Frazer paru en 2014 aux éditions de l’Université d’Alabama sous le titre Send the Alabamians et traduit en français, paru le 15 septembre 2016, aux éditions du CNRS.
Croix-Rouge Farm. Avec l’aimable autorisation des © Archives Nationales américaines, photo n°111-SC-160048E » ou NARA:111-SC-160048E

Les 25 et 26 juillet 1918, lors de la Seconde Bataille de Champagne, c’est ici, autour de cette ferme, aux confins de l’Aisne et de la Champagne que la Rainbow division, composée de soldats de l’Alabama et de l’Iowa, livre un combat d’une âpreté inimaginable contre les soldats allemands. L’équipement et les munitions manquent. Les soldats en ont abandonné la majeure partie afin de poursuivre plus promptement les troupes allemandes. Ces hommes chargent à la baïonnette, un anachronisme en 1918, face à cette ferme fortifiée et particulièrement bien défendue. A partir de cet endroit du front, les troupes allemandes reculent pour ne plus jamais gagner de terrain, comme l’indique l’auteur, dont le père participa aux combats. Mais cette victoire eut un prix, celui de la mort de 1785 soldats d’Alabama, soit 55% des effectifs de son régiment. Pour cet état américain, de toutes les guerres auquel il participa en dehors de son territoire, cette bataille fut la plus éprouvante, la plus meurtrière. Toute comparaison gardée, la bataille de la ferme de la Croix-Rouge fut, pour l’Alabama, ce que la bataille de la Somme fut pour l’Empire britannique.

L’ouvrage de Nimrod Frazer n’a pas seulement une visée mémorielle, le mémorial de la Ferme de la Croix-Rouge y pourvoit déjà. Il va bien au-delà. Documenté avec précision et patience comme les presque cent pages d’annexes en témoignent, cet ouvrage, que chacun peut lire, retrace le parcours de ces soldats. Parcours géographique mais surtout parcours d’hommes devenus des citoyens. Comme le dit Monique Brouiller-Seefried, Commissaire de la WW1CC qui a coordonné la traduction en français de cet ouvrage, lorsqu’ils sont revenus aux Etats-Unis, ils étaient devenus des américains. On évoque souvent le mythe un peu suranné du creuset américain et l’actualité outre-Atlantique nous invite à interroger une fois de plus ce concept, brassant les origines des hommes et des femmes qui composent les Etats-Unis. On a peut être un peu laissé de côté, quand on parle du peuple américain, l’importance de ce premier conflit mondial comme un lieu de solidarités qui joue un rôle important dans la construction de cette identité commune. Dès les premières pages de cet ouvrage, cette dimension est prise en compte à travers leur entrainement et leurs premières missions en Arizona, à la frontière avec le Mexique.

C’est au-delà de cette précision des déplacements successifs de chaque unité de soldats sur le front qu’il faut chercher l’intérêt de cet ouvrage, dans l’évolution de ces hommes qui pour la première fois sortaient de leur comté, de leur état, de leur pays. Ils allèrent à la rencontre de l’autre, s’étonnèrent de voir des soldats de toutes origines combattre et souffrir ensemble. Les boys d’Alabama, c’est une pierre supplémentaire dans la compréhension de la constitution d’une identité américaine au début du XXème siècle.

Oubliés en France, oubliés aussi en Alabama, un bronze similaire à celui du Mémorial de la Ferme de la Croix-Rouge y sera dévoilé en août 2018 rappelant l’histoire de ces hommes. Les boys d’Alabama n’y sont pas étrangers.

Pour la première fois dans Historiens & Géographes, cet article s’accompagne de l’interview exclusive de Mme Monique Brouillet-Seefried, Commissaire de la WW1CC, administratrice de la Croix Rouge farm Memorial Foundation et de M. Bert Caloud, Surintendant du Aisne-Oise Cemetery en français et en anglais visible à l’adresse suivante : https://www.youtube.com/playlist?list=PLi4DO6_rqjlimlvEUihv8A3H7Z5iKOY7G

Traduction en anglais assurée par M. Jonathan Ortiz.

Photographie du mémorial © Vincent Bervas

Liens :

© Vincent BERVAS pour la revue Historiens & Géographes - Tous droits réservés. 13/12/2016 puis 12/03/2017.

Notes

[1Professeur au Lycée Jean de La Fontaine de Château-Thierry (02), Comité départemental du Centenaire de la Grande Guerre, Responsable national de la web TV de l’APHG.