Les Routes de la soie. L’histoire du coeur du monde Compte rendu de lecture / Histoire monde

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Par Paul Stouder. [1]

Frankopan (Peter), LES ROUTES DE LA SOIE, L’histoire du cœur du monde, Editions Nevicata, 2017, 733 pages, 10 cartes, index, 27 €.

Chaque époque imprime sa marque à l’écriture de l’histoire. La mondialisation contemporaine n’est pas étrangère à la genèse d’une histoire connectée, aussi appelée histoire globale, dont l’un des grands apports a été de décentrer le regard historien vers des sociétés extra-européennes. A cet égard, les ouvrages emblématiques ne manquent pas. On citera ceux de Sanjay Soubrahmanyam, Explorations in Connected History : From the Tagus to the Ganges (2004), d’Olivier Pétré-Grenouilleau, Les Traites négrières. Essai d’histoire globale (2004) et de Romain Bertrand, L’histoire à parts égales. Récits d’une rencontre Orient-Occident, XVIe-XVIIe siècles (2011). Le livre de Peter Frankopan, Les routes de la soie, semble de prime abord s’inscrire dans cette lignée.

On rappellera d’abord que l’expression « route de la soie » a été forgée par le géographe allemand von Richthofen à la fin du XIXe siècle pour désigner, rétrospectivement, le réseau des voies d’échanges de tous ordres qui reliaient la Chine et l’Inde à l’Asie occidentale. Remontant aux origines des routes de la soie (les itinéraires étaient variés) sous la dynastie chinoise des Han, au IIe siècle avant notre ère, P. Frankopan parcourt ensuite l’histoire du monde en 25 chapitres, évoquant en conclusion la nouvelle Route de la Soie lancée par Xi Jinping en 2013. Chaque chapitre décline la notion de route. Ainsi, la christianisation de l’Orient devient « La Route vers un Orient chrétien », la naissance de l’islam et son expansion deviennent « La Route de la Concorde ». Le Moyen-âge est le temps de « La route du Ciel » et de « La Route de l’Enfer », respectivement les croisades et la conquête mongole. Toutes les grandes périodes historiques sont successivement évoquées : les grands voyages des Européens à l’époque moderne, les rivalités coloniales, le Grand Jeu anglo-russe en Asie centrale, les deux guerres mondiales (l’extermination des juifs devient « La Route du génocide »). Les cinq derniers chapitres sont consacrés à la période allant la Guerre froide aux guerres du Golfe, la lutte pour le contrôle des ressources pétrolières étant qualifiée de « Route de la Soie américaine ».

C’est donc une lecture très personnelle des Routes de la soie que l’auteur propose. On s’attendrait néanmoins à une description des caravanes et des itinéraires qu’elles empruntaient à travers les Pamir et les oasis du désert de Takla Makan. On s’attendrait aussi au rappel du rôle joué par l’empereur Wu des Han et son envoyé Zhang Qian dans l’ouverture de la Chine vers l’ouest à la fin du IIe siècle avant notre ère. Le cheminement du bouddhisme le long des Routes de la Soie et son expansion méritaient mieux que quelques paragraphes pages 51 à 54. Il ne s’agit pas là de détails qu’une vaste fresque pourrait négliger mais bien d’événements déterminants de l’histoire jusqu’à nos jours. Il est vrai que l’auteur nous avait averti dans sa préface que son propos était de « considérer le passé du monde et son présent » en étudiant ce qu’il appelle le « cœur du monde », en l’occurrence l’espace compris entre « les rivages orientaux de la Méditerranée et de la mer Noire et l’Himalaya ». Le Moyen-Orient, au sens où le Foreign Office l’a défini au XIXe siècle, est en effet l’objet de toute l’attention de l’auteur, par ailleurs spécialiste d’histoire byzantine. Les 130 pages qu’il consacre à la période allant de la rivalité anglo-russe en Iran, au cours de la Seconde guerre mondiale, aux guerres américaines du Golfe, sont les plus réussies.

Dans la veine ouverte par Richthofen les routes de la soie auraient pu constituer le paradigme d’une histoire connectée des échanges commerciaux, spirituels et intellectuels en Asie centrale. On regrettera l’absence d’une véritable conceptualisation au profit du seul récit déroulant une sorte de fresque de l’histoire du monde vue à travers les classiques rapports géostratégiques. Le livre ne trouvera pas nécessairement sa place dans la bibliothèque du professeur. Il semble davantage s’adresser à un public de non-spécialistes.

© Paul Stouder pour Historiens & Géographes - Tous droits réservés. 12/02/2018.

Notes

[1IA-IPR (honoraire) d’histoire et de géographie. Académie de Versailles. Les recherches de Paul Stouder portent sur l’histoire contemporaine, notamment la Première Guerre mondiale, l’histoire de l’enseignement, l’histoire de la Chine, l’épistémologie et la didactique de l’histoire. C’est un collaborateur régulier de la revue Historiens & Géographes.