Les langues scientifiques dans la mondialisation - Géographie Rapport du Comité National Français de Géographie

- [Télécharger l'article au format PDF]

Par Nathalie Lemarchand et Antoine le Blanc [1]

Ce rapport est issu des débats qui se sont tenus lors du Forum francophone Langue, production et diffusion scientifiques dans la mondialisation : une question pour les géographies et les géographes, organisé par le Comité National Français de Géographie.

Le forum s’est tenu les 3 et 4 juillet 2014 à Paris, dans les locaux de la Maison de la Recherche de la Sorbonne, et a réuni enseignants-chercheurs et chercheurs, directeurs de revue, doctorants, personnel institutionnel. Plusieurs nationalités étaient représentées (Belgique, Canada, Royaume-Uni, Allemagne, Russie…), les personnes présentes ayant toutes des expériences internationales variées. Le Président de l’UGI, Vladimir Kolossov, ainsi que Dieter Soyez du bureau exécutif ont pris part aux différents ateliers du forum.

Introduction

Le Comité National Français de Géographie a organisé un forum sur le rapport entre la langue et les contextes sociétaux de production de la connaissance et, plus largement, les langues de l’échange scientifique international, en particulier l’anglais. Étaient invités les géographes francophones et francophiles, de contextes nationaux et linguistiques variés, mais aussi tous les géographes intéressés à partager leur expérience de la production et de la diffusion du savoir dans la mondialisation.

De ce forum est issu ce rapport, qui a vocation à être diffusé largement auprès de l’ensemble des géographes francophones, des instances institutionnelles françaises et francophones de la recherche et de l’enseignement supérieur, des instances institutionnelles européennes de la recherche et de l’enseignement supérieur, de l’UGI et de toutes les associations de géographes en faisant la demande. Il s’agit de rappeler l’importance du multilinguisme et de prendre en compte les spécificités de la science géographique dans la mondialisation.

Origine du questionnement

De plus en plus de communautés scientifiques se questionnent sur les effets que la
« globalisation » a sur la production et la diffusion du savoir. La communauté des géographes ne fait pas exception. Comme c’est le cas dans de très nombreux pays, les géographes français sont plus que jamais soumis à la pression de publier en anglais, et cette pression se répercute sur les revues scientifiques voire sur les manifestations scientifiques. Cette situation est souvent appréhendée avec fatalisme, sinon comme une nécessité afin de faire connaître ses travaux à l’échelle internationale. Mais n’y a-t-il pas quelque chose qui se perd avec la traduction ? Plus important peut-être, y a-t-il quelque chose qui se perd avec une production scientifique en sciences sociales réduite à une seule langue globale d’expression ?

Ce questionnement va plus loin que la problématique du déclin du français comme langue internationale ; il s’agit plutôt de se pencher sur la production du savoir telle qu’elle se réalise par le processus en cours de normalisation par l’anglais scientifique. Que devient la diversité des démarches dans une science globale ? Qu’en est-il de la valeur des études locales et régionales, etc. ?

Quelques réflexions sur la mesure de la recherche géographique francophone et son évolution au sein de la recherche mondiale

Le forum avait pour ambition notamment de questionner l’apparente perte de vitesse de la recherche géographique francophone à l’international. Certains chiffres semblent en attester : nombre de revues francophones mentionnées dans le Web of Science, Impact Factor faible en moyenne pour les publications francophones, autres bibliométries…Même s’il faut analyser avec précaution ces chiffrages, comment interpréter cette évolution ? S’agit-il d’un « déclin » ? Que perd-on, que gagne-t-on ?

Les indicateurs chiffrés ne représentent qu’une partie de la production scientifique mondiale. D’autre part, comme le montre Christian Vandermotten, il est très difficile de rattacher une revue à une langue spécifique ou à une nationalité, les pratiques étant nuancées et très diverses d’une revue à l’autre, et les comptabilités étant soumises à de nombreux biais : par exemple, les décomptes de la Bibliographie Géographique Internationale et du HCERES (Haut Conseil de l’Evaluation et de la Recherche en Enseignement Supérieur) prennent très peu en considération les revues du
monde asiatique, ce qui fausse complètement les pourcentages de production et de diffusion des recherches francophones. [2]
On ne peut donc en tirer des conséquences trop hâtives sur le rayonnement global de la recherche francophone.

Les constats de l’UGI

De son côté l’Union Géographique Internationale a établi ses constats et tente de trouver des solutions pour accompagner les évolutions de la géographie vers une internationalisation plus poussée et une accélération des processus de diffusion, tout en affirmant le plurilinguisme.
Les définitions de ces concepts [3], des processus qui y sont liés, ou des modalités de mise en œuvre de mesures d’accompagnement ou de soutien, par exemple, à des productions ou événements dans des langues locales, font largement débat. En témoigne, entre autres, la difficulté de maintenir le français comme langue officielle, dans la pratique des congrès de l’UGI.

D’autres disciplines se confrontent également à cette problématique, comme la sociologie, au sein de laquelle une réflexion a été menée, et des rapports rédigés, concernant l’effacement de la production scientifique francophone dans la recherche internationale et la prééminence croissante de l’anglais. D’autres encore s’interrogent déjà de longue date tels les anthropologues au Québec ou au Mexique (colloque 1998 - Diversité, mondialisation, langues et pensée scientifique / Diversidad, mundialisación, lenguas y pensamientocientifico). Ces rapports visent le plus souvent à accompagner la tendance (répondre à la demande croissante de production en anglais) tout en affirmant le plurilinguisme.

Un rapport qui constitue une première réflexion

Ainsi ce rapport constitue une première réflexion générale sur ces aspects concernant la géographie, en particulier francophone, face à la mondialisation. Il ne vise pas à l’exhaustivité des réflexions et des préconisations. Il constitue plutôt un travail d’analyse initial, destiné à être poursuivi et approfondi, et, proposant des pratiques visant à favoriser le plurilinguisme scientifique. Issu d’un forum et de débats contradictoires, il restitue ces réflexions de manière volontairement ouverte, évitant la formalité habituelle de démonstrations sans aspérités, considérée comme moins pertinente compte tenu de la variété des idées et des débats du forum (...)

Lire la suite en pièce jointe.

Plan du rapport

Introduction
o Origine du questionnement
o Quelques réflexions sur la mesure de la recherche géographique francophone et son
évolution au sein de la recherche mondiale
o Les constats de l’UGI
o Un rapport qui constitue une première réflexion

Partie 1. Rapport du forum
o Présentation des journées
o Synthèses des conférences introductives
o Synthèses par atelier : constats, débats, pistes proposées
o Synthèse des débats conclusifs

Partie 2. Synthèse des recommandations et pistes proposées
o Valorisation du multilinguisme dans la recherche
o Valorisation du multilinguisme dans l’enseignement
o Valorisation de la traduction
o Mobilisation des institutions et des financeurs
o Renforcement de l’internationalisation
o Valorisation des alternatives à la tendance à l’évaluation quantitative
o Renforcement des spécificités de la géographie
o Valorisation de la francophonie et des recherches françaises

Remarques conclusives
Annexes

Télécharger la pièce jointe en PDF.

Les services de la Rédaction via le Comité National Français de Géographie - Tous droits réservés. 12/04/2015.

Notes

[1Rapport dirigé par Nathalie Lemarchand et Antoine le Blanc, vice-présidents du Comité National Français de Géographie en charge des manifestations et des relations internationales, co-écrit par l’ensemble des présents lors du forum.

[2http://belgeo.revues.org/6275 et http://belgeo.revues.org/7131. Nous choisissons ici de ne pas citer de chiffres à cause de ces très importants biais. Si l’on veut des chiffres précis, on les trouvera dans les références et notamment dans le numéro 7131 de Belgeo, ces chiffrages ne pouvant être lus qu’à la lumière d’analyses détaillées et nuancées.

[3Par exemple, l’internationalisation est un mot-valise qui pour certains constitue une sorte de cheval de Troie de l’hégémonie anglophone, tandis que pour d’autres il est plus transversal et représente une opportunité majeure pour la diversification des langues de la recherche scientifique.