Les leçons d’histoire d’un jeu vidéo Au cœur de la Révolution

- [Télécharger l'article au format PDF]

Par Albert Montagne [1]

Jean-Clément Martin et Laurent Turcot, Au cœur de la Révolution, les leçons d’histoire d’un jeu vidéo, Editions Vendémiaire, Collection Chroniques, avril 2015, 144 p., 14,5 €.

Ce petit livre de Jean-Clément Martin, professeur émérite à l’Université Paris I et spécialiste de la Révolution française, et de Laurent Turcot, professeur d’histoire à l’Université du Québec à Trois-Rivières et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en Histoire des loisirs et des divertissements, répond à une polémique née avec Assassin’s Creed Unity, le 5° opus d’Assassin’s Creed, sur la Révolution française.

Les deux auteurs sont conseillers historiques d’Ubisoft et, à sa sortie en France en novembre 2014, Jean Luc Mélenchon, eurodéputé et leader du Front de Gauche, dénonce le jeu pour son image violente de la Révolution française. Antoine Vimal du Monteil, l’un des producteurs, rappelle qu’Assassin’s Creed est un jeu grand public et non une leçon d’histoire. Le jeu bénéficie d’une solide documentation historique mais repose sur un scénario fictif et fantastique.

Une autre critique est la véracité du Paris de la Révolution. Assassin’s Creed est décliné comme une série télévisée en saisons et épisodes : les Croisades, la Renaissance, la Révolution américaine, la Révolution industrielle. Assassin’s Creed Unity voit Arno Dorian, un jeune Assassin, exercer à Paris en pleine Révolution française, d’où la violence. Les auteurs disent qu’elle est limitée. Elle est omniprésente : jouer c’est tuer, survivre aux agressions de plus en plus nombreuses et rapides. Pour les auteurs, il y a auto-censure et les morts sont propres : « Mirabeau meurt discrètement sur un lit en ordre, une tâche de sang aux lèvres. Robespierre reçoit certes le coup de pistolet qui lui blesse la mâchoire mais la scène est minimaliste ». De fait, la violence est stylisée, la mort banalisée. Les auteurs ajoutent qu’elle existe dans le cinéma, l’autre média animé, qui est un pain béni pour l’enseignant : « cette approche, bientôt classique, est dépassée par un nouveau médium, le jeu vidéo, dont la portée est plus grande que les films en ce qu’ils impliquent le spectateur, qui n’est d’ailleurs plus spectateur, mais acteur, gamer ».

Si le livre défend l’enseignement de l’Histoire par les jeux vidéo, on regrette qu’il ne mentionne (même dans sa bibliographie de 8 pages) aucun ouvrage sur le thème (les notes 32 et 33 citant deux articles). Assassin’s Creed Unity est une prouesse technologique - il existe certes des erreurs que les enseignants d’Histoire feront découvrir à leurs élèves comme ils le font avec les livres - mais il est déconseillé aux moins de 18 ans et contient deux pictogrammes : Violence et Grossièreté de langage.

gamer-network.fr donne des précisions : on voit « des civils qui se font poignarder, brûler sur le bûcher et décapiter par guillotine. Les têtes coupées sont parfois placées sur des pointes. Le jeu comprend des thèmes sexuels : des missions dans des maisons closes (...). Sept nones amènent un curé dans la débauche (...) Les mots « fuck » et « shit » apparaissent régulièrement ». Contrairement au cinéma où l’interdiction aux moins de 18 ans est obligatoire, la double signalétique (âge et contenu) PEGI (Pan Européenne Game Information) des jeux vidéo est indicative.

Cette auto-censure professionnelle évite une censure étatique. La Révolution française étant au programme de 4e et 2de, un enseignant respectera l’âge conseillé et cherchera un jeu historique 12 ou 16 ans. Pour conclure, tel le cinéma (et sa longue reconnaissance universitaire), le jeu vidéo est une façon de faire l’histoire. Il faut convaincre les décideurs : proviseurs, inspecteurs, collègues et parents, de cette approche.

Albert Montagne

Les services de la Rédaction d’Historiens & Géographes, 21/06/2015. Tous droits réservés.

Notes

[1Membre de l’Institut Jean Vigo de Perpignan. Docteur en histoire contemporaine et maître en droit public. Professeur d’Histoire-Géographie dans l’enseignement secondaire. Formateur cinéma à l’Institut Jean Vigo, rédacteur aux Cahiers de la Cinémathèque, collaborateur à CinémAction et à Historiens & Géographes. Le numéro 430 d’Historiens & Géographes (mai-juin 2015) publie un article d’Albert Montagne sur le Festival de Perpignan, Confrontation 51. Vous pouvez également retrouver les chroniques cinéma d’Albert Montagne sur le blog de la Régionale APHG Languedoc-Roussillon, lien ici.