Les revues de sciences sociales en danger Tribune par un collectif de chercheurs

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La Rédaction du site internet national et de la revue Historiens & Géographes publie une série de tribunes libres afin d’ouvrir le débat dans le cadre des réflexions de la communauté éducative. Ces textes proposent des points de vue, des analyses qui appellent à la discussion. Ils n’engagent ni l’association ni la Rédaction.

Cher(e)s collègues,

Vous trouverez ci-après - pour prolonger les débats sur la loi concernant le numérique, et ses implications - une tribune publiée dans Libération le 17 mars 2016, signée notamment par Michelle Perrot et Daniel Roche. Elle fait part de la vive inquiétude des chercheurs et des responsables de périodiques en Sciences humaines et sociales.

http://www.liberation.fr/debats/2016/03/17/les-revues-de-sciences-sociales-en-danger_1440203

Les revues de sciences sociales en danger

Nous appartenons à différentes générations de la recherche française en sciences humaines et sociales  ; les revues font partie de nos parcours scientifiques   ; nous y publions des articles et des comptes rendus   ; certains en ont fondé jusqu’aux récentes en ligne. Nous aimons nos revues, elles sont aux fondements du rayonnement de la recherche française dans l’espace scientifique international et aussi, faut-il le rappeler, de l’évaluation scientifique de nos travaux. Ces revues existent en France grâce à une économie le plus souvent hybride, association entre le secteur public et l’édition privée. Cette association a une longue histoire qui ne résulte pas d’une logique de profit pour les éditeurs comme pour les auteurs, mais d’un souci partagé de produire par un travail commun des objets de savoir les plus exigeants et rigoureux. Editer une revue est un long processus, qui mobilise des lecteurs, des évaluateurs, des correcteurs, des éditeurs, des graphistes, des imprimeurs, des libraires, des bibliothécaires…

Ensemble, nous vivons et continuons à travailler dans l’ère numérique. Nous le faisons en dialogue avec les maisons d’édition de nos revues  ; nous développons des portails thématiques, des espaces de dialogue, utilisons quotidiennement le Web et ses ressources.

Or, l’article 17 de la « loi pour une République numérique » qui, après avoir été adoptée en janvier par l’Assemblée nationale sera soumise au Sénat début avril, menace de mettre fin à cette économie de production, même si ce n’est pas son intention affichée. Il souhaite que, désormais, nous, chercheurs nous publiions nos articles en libre accès douze mois après leur publication dans les revues. Nous sommes contre cet article qui fragilisera, puis anéantira la pratique de l’édition scientifique telle que nous la défendons. Nous sommes, bien sûr, favorables à l’accès le plus large possible à nos travaux, mais nous sommes plus attachés encore à la défense des lieux de savoir que sont nos revues aujourd’hui, produits de compétences diverses et complémentaires.

Nous ne sommes pas naïfs pour autant sur ce que l’« open access » véhicule et le type d’économie qu’il peut promouvoir s’il est mal pensé. Nous avons été les témoins de la manière dont les bibliothèques publiques ont été progressivement pillées comme ressources des grandes compagnies ultralibé­rales comme Google. Sous couvert de gratuité, il s’agit bien pour certains des actuels promoteurs de l’« open access » d’uniformiser le paysage des revues en sciences humaines et sociales françaises, de les lisser, d’en gommer l’extraordinaire diversité pour ne conserver que les plus « liked ».

Aussi, nous demandons à mesdames et messieurs les sénateurs de remanier l’article 17 afin d’étendre le délai de mise en accès libre de nos travaux à une plus longue durée. ­Laquelle   ? Celle qui permet à cette économie hybride des revues de se maintenir et à nos organismes de recherches publiques d’être en mesure économiquement de porter des plateformes d’accès de qualité avec des indexations fiables et indépendantes. Car là est sans doute la question majeure et paradoxale   : en voulant mettre fin à une collaboration réussie entre le secteur privé et la recherche publique, n’est-on pas en train de mettre à mal la spécificité et la force de la recherche française en sciences humaines à travers le monde  ?

Premiers signataires :

  • Philippe Artières, CNRS-EHESS
  • Sophie Cœuré, université Paris-VII, membre de la revue Matériaux pour l’histoire de notre temps et de la Revue d’études slaves
  • Quentin Deluermoz, université Paris-XIII
  • Patrice Flichy, université Paris-Est, responsable de la revue Réseaux
  • Dominique Kalifa, université Paris-I, Institut universitaire de France
  • Margaret Maruani, CNRS, responsable de la revue Travail, genre et sociétés
  • Philippe Minard, université Paris-VIII et EHESS, responsable de la Revue d’histoire moderne et contemporaine
  • Michelle Perrot, université Paris-VII, cofondatrice de la revue le Mouvement social
  • Daniel Roche, Collège de France, directeur de la Revue d’histoire moderne et contemporaine (avec l’ensemble de la rédaction de la RHMC)
  • Martine Segalen, université Paris-Ouest, responsable de la revue Ethnographie française
  • Valérie Tesnière, EHESS
  • Françoise Thébaud, université d’Avignon, codirectrice de la revue Clio, Femmes Genre Histoire
  • Michelle Zancarini-Fournel, université Lyon-I, membre de la revue Clio, Femmes Genre Histoire
  • Le comité éditorial de la Revue Historique
  • Le comité de rédaction de la Revue philosophique de la France et de l’étranger
  • Le comité de rédaction de la revue Ecrire l’histoire
  • Le comité de rédaction de la Revue d’histoire du XIXe siècle

via l’AFHMT et le Bureau de la Régionale de l’APHG Île-de-France.

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