Mémoires européennes des camps nazis un web-documentaire remarquable

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Par Yohann Chanoir [1]

Ce web-documentaire, en accès libre, réalisé par Bernard Obermosser et Jean-Louis Roussel en 2015, [2] s’inscrit dans la lignée des nombreux produits forgés par Canopé sur la Shoah et l’univers des camps, toujours originaux et souvent remarquables comme Le Cahier de Susi, [3] chroniqué dans notre revue. [4]

Quatre grandes thématiques, déclinées ensuite en rubriques, sont proposées : poser les enjeux, découvrir les sites, commémorer, aborder le témoignage. On le voit, ce documentaire, en offrant des éléments factuels et de réflexion, ne délaisse pas les aspects concrets de nos pratiques en classe. À ce titre, sa vision s’avèrera fort profitable pour nos collègues, désireux de mener des activités dans le cadre des programmes, d’accompagner des élèves sur un des sites, de parfaire ses connaissances ou de monter un projet pluridisciplinaire.

Enseigner le processus d’extermination n’est pas une chose simple. Le web-documentaire en rappelle la complexité : ne pas se contenter des faits, contextualiser, se méfier de l’émotion, toujours nécessaire mais jamais suffisante, bien baliser ce qui relève des mémoires de ce qui appartient à l’histoire, rappeler l’extension continentale du phénomène génocidaire. Notre amie Aleth Briat, qui anime pour l’APHG depuis de nombreuses années le Concours National de la Résistance et de la Déportation (CNRD), rappelle à cette occasion que si un déporté ou un enfant de déporté a un devoir de mémoire, le professeur, lui, a un devoir d’histoire. Cet impératif est d’autant plus prégnant que l’enseignant se heurte à la complexité de réincarner l’extermination. 80% des personnes assassinées à Auschwitz-Birkenau ne sont jamais entrées dans le camp. Elles n’ont pas été enregistrées, ni tatouées, exterminées quelques temps après leur arrivée, sitôt achevé le processus de sélection. Le visiteur est donc confronté à des tombes invisibles. Buchenwald offre un autre exemple de la difficulté à rendre concret le délire nazi. Il ne subsiste, en effet, que quelques îlots emblématiques (dont l’Effektenkammer, le crématoire...), car le camp a été effacé par les autorités de la RDA. Pourtant, comme le souligne le documentaire, être sur la place d’appel de Buchenwald, espace de deux hectares balayé par les vents d’est et du nord, permet d’évoquer le désert d’humanité que le camp fut. Elle conduit également à évoquer la perversité des tortionnaires nazis qui ont pensé, conçu et animé ce dernier comme un lieu de déshumanisation. Le documentaire, avec force exemples, sait donc montrer comment on peut extirper le visible d’un invisible.

Pour aider les collègues, le documentaire propose de multiples pistes, associant dans une démarche, fort peu usitée, la théorie avec la pratique. On y trouvera, par exemple, des éléments pour aborder le témoignage, pour décrypter les commémorations ou pour lire les monuments. Le Struthof est ainsi replacé dans son contexte d’édification, celui de la présidence du général de Gaulle. D’ampleur monumentale, l’artefact rend hommage à la Résistance et incarne l’élan collectif dans la pierre. Mais dans le même temps, il rend hommage à l’Être humain, celui là-même que le nazisme voulait éradiquer au nom d’une idéologie. Il existe à cette aune toujours des lectures plurielles de ces lieux de mémoire(s). Le collègue trouvera aussi des exemples filmés de séances en classe (comme penser la commémoration, préparer puis réaliser une « déambulation » à Mauthausen etc.).

À de multiples occasions, le documentaire souligne que l’étude du processus d’extermination n’est pas figée. Elle entre, en effet, en résonance, avec l’histoire depuis 1945 (tentatives de génocide dans l’ex-Yougoslavie...) et avec l’histoire immédiate et les récents attentats. Enseigner les camps nazis, comme le souligne Joëlle Dusseau, présidente du jury du CNRD, c’est aussi initier nos élèves à l’ardente obligation d’une « veille citoyenne », pilier de notre République et vecteur de nos valeurs. En cela, et ainsi s’explique aussi la présence du terme « européennes » dans le titre du documentaire, cet enseignement possède une dimension internationale évidente. Qui a déjà arpenté les sites de Mauthausen ou d’Auschwitz sait que seule la fréquentation des peuples européens pourra contrarier les tentatives négationnistes et enrayer la reproduction de tels phénomènes. Jean Gavart, avec sa force coutumière sertie dans des mots simples, énonce les implications actuelles de la pensée génocidaire. Refuser l’autre et récuser la confrontation sont consubstantielles aux pratiques totalitaires non seulement d’hier mais aussi d’aujourd’hui.

D’une incroyable richesse conceptuelle et factuelle, doté d’une interface conviviale, offrant une navigation aisée, ce web-documentaire est un outil remarquable, qui devra être indexé dans l’ensemble de nos CDI et vu par tous nos collègues. Pour le découvrir, cliquez sur le lien suivant : https://www.reseau-canope.fr/memoires-europeennes-camps-nazis/

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© Yohann Chanoir pour Historiens & Géographes - Tous droits réservés. 29/02/2016.