Ce livre rappellera à beaucoup Le monde retrouvé de Louis-François Pinagot : sur les traces d’un inconnu (1798-1896). Car comme Alain Corbin, Stéphanie Trouillard s’est lancée sur les traces d’un presque inconnu, son grand-oncle, dont la présence se réduisait à un nom sur un monument aux morts et à une photographie exposée dans la chambre de son grand-père. Assassiné le 12 juillet 1944, André Gondet n’a pas eu la chance de connaître sa petite nièce. Plus qu’à un devoir de mémoire, l’ouvrage de Stéphanie Trouillard s’apparente davantage à un travail d’histoire.
À la recherche d’André Gondet
La journaliste s’est lancée sur les traces de son grand oncle. Adoptant une démarche indiciaire chère à Carlo Ginzburg, elle mobilise l’ensemble des sources disponibles : fonds d’archives, écrits historiques, photographies, témoignages oraux. Elle n’hésite pas à utiliser internet pour retrouver des témoins, interroger des sources, confronter des informations. Enfin, elle lance dans la presse un appel à témoignage qui lui permettra de reconstituer in fine le puzzle d’une vie brisée. Sa quête, car le mot s’impose, la mène du Morbihan, à Vincennes en passant par Karlsruhe. Autant l’écrire tout de suite, cette recherche se lit comme un roman.
Une page bretonne de la Résistance
Le livre offre de précieuses informations sur la Résistance en Bretagne. Dès le 6 juin 1944, les commandants FFI y déclenchent un plan d’action destiné à fixer l’armée allemande afin de contrarier l’acheminement des renforts vers la Normandie. Encadrée par des parachutistes de la France libre, les maquisards quittent la clandestinité. Des maquis se constituent. À La Nouette, c’est un morceau de France libre et libérée qui sort de l’ombre, avec des centaines d’hommes et de femmes, une boulangerie, un abattoir, une boucherie, des services administratifs. André Gondet rejoint ce maquis le 9 juin 1944. Les résistants harcèlent alors la Wehrmacht et gênent ses communications, l’obligeant à mobiliser tous les effectifs disponibles, qu’il s’agisse d’unités d’élite comme les parachutistes de la division Kreta, de Géorgiens ramenés du front est ou de sordides supplétifs français.
Des maquisards contre des « collabos »
Le jeune maquisard croise hélas la route d’un de ceux-ci : Maurice Zeller. Cet ancien militaire français réformé en 1925 pour raison disciplinaire illustre la « dérive fasciste », qui a entraîné de nombreuses personnes dans le sillage des Nazis. Membre des Croix-de-feu puis du PSF, cet ancien soldat de la Grande Guerre quitte les rangs de cette droite référendaire et populaire pour rejoindre la Légion des Volontaires Français en août 1941. La rupture avec la République est désormais consommée. Rapidement retiré du front russe pour raisons médicales, il adhère au PPF de Doriot et entre dans le service de renseignement de la SS. Il y traque les résistants sans remords. Beaucoup de ses victimes ne reviendront jamais des camps de concentration. Il rejoint ensuite l’Abwehr de Quimper puis est versé dans une unité de lutte mobile contre les maquis. Se déguisant en parachutiste, n’hésitant pas à torturer, il parvient à surprendre à Kérihuel un groupe de SAS et de maquisards, dont André Gondet. Le 12 juillet 1944, 17 personnes sont exécutées avec le grand-oncle de l’auteure dans ce village. Quelques heures plus tard, l’armée allemande revient sur les lieux, pille les habitations et incendie les fermes. Le souvenir refoulé de cette exaction explique aussi le peu d’informations disponibles à l’origine sur le jeune FFI.
Du STO au maquis
Stéphanie Trouillard s’interroge alors sur les raisons de l’engagement en Résistance d’un jeune homme, de condition modeste, au sourire facile. Elle découvre qu’André a été un de ces nombreux travailleurs forcés de partir en Allemagne. Parti de Paris le 17 novembre 1942, affecté dans des usines à Karlsruhe, logé dans un camp dans des conditions précaires, André Gondet profite d’une permission en France pour s’enfuir. Se cachant sous un faux nom, ce qui a compliqué les recherches, il est d’abord domestique agricole puis aide dans une forge-maréchalerie. Il illustre ainsi la décision de ces jeunes hommes refusant d’abord de servir l’effort de guerre nazi puis décidés, avec un enthousiasme que l’on devine souriant, à chasser l’ennemi hors de France. Malgré sa jeunesse, André Gondet était loin d’ignorer ce que le mot engagement signifiait.
Mon oncle de l’ombre est donc un livre passionnant, souvent émouvant, où l’histoire d’une famille du Morbihan éclaire par le bas l’Histoire des « années noires ».
© Yohann Chanoir pour Historiens & Géographes - Tous droits réservés. 29/12/2018.