Pour le retrait du décret sur l’évaluation Texte commun de la Conférence des associations des professeurs

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La Conférence des associations de professeurs spécialistes, dont l’APHG est membre, a pris connaissance du décret n°2015-1929 relatif à l’évaluation des acquis scolaires des élèves, publié le 3 janvier dernier au Journal Officiel. [1] Ce décret concerne les élèves de l’école primaire et du collège. Il entrera en vigueur à la rentrée 2016.

L’objectif affiché est de « faire évoluer » et de « diversifier les modalités de notation et d’évaluation des élèves (…) pour éviter une « notation-sanction ». Le décret prévoit une évaluation, à la fin de chaque cycle, des cinq domaines définis par le socle commun selon quatre échelons : « maîtrise insuffisante », « maîtrise fragile », « maîtrise satisfaisante », « très bonne maîtrise ». Si les professeurs définissent encore les « modalités d’évaluation des apprentissages », ils sont incités à le faire collectivement, dans le cadre de « l’équipe pédagogique du cycle ».

Ce décret se situe dans un ensemble comprenant, en amont, le « Socle commun de connaissances, de compétences et de culture » et, en aval, les nouveaux programmes du collège. La « philosophie » qui l’inspire repose sur deux principes : 1. La baisse des horaires consacrés eux enseignements disciplinaires obligatoires au profit d’un enseignement « interdisciplinaire » qui, sous couvert de « décloisonner les apprentissages » dissout les savoirs dans des domaines extrêmement vastes, aux contours indéterminés. 2. La mise en cause du caractère national des programmes et des examens par l’accroissement de la part de décision laissée aux arbitrages locaux dans la détermination des enseignements et celle du contrôle continu dans les examens.

La Conférence considère que ce nouveau décret relatif à l’évaluation s’inscrit dans la droite ligne de cet ensemble de réformes, qui, au nom de la « refondation de l’école républicaine », en sape systématiquement les principes. Les bonnes intentions affichées par le ministère ne sont en effet qu’un prétexte : le véritable objectif de ce décret est d’imposer une évaluation non chiffrée par compétences au détriment d’une notation chiffrée par disciplines.

Mais le ministère trompe les élèves et leurs parents. Il les trompent en leur faisant croire que la notation chiffrée se réduit à une note sèche qui sanctionne l’élève. Or, au contraire, celle-ci est toujours accompagnée d’un commentaire et d’annotations qui l’explicitent, attirent l’attention de l’élève sur les points précis de son travail réussis ou à améliorer et sont l’occasion d’un échange avec le professeur, permettant ainsi de faire progresser l’élève.

Mais il les trompe aussi lorsqu’il affirme que le nouveau mode d’évaluation sera moins anxiogène pour les élèves. En effet :

1) Alors que la notation chiffrée par disciplines est ponctuelle, l’évaluation par compétences soumet l’élève à un contrôle permanent et d’autant plus anxiogène pour l’élève qu’il porte autant sur sa « maîtrise des champs d’apprentissage » que sur ses comportements. Il s’agit moins d’évaluer les travaux de l’élève que l’élève lui-même, déplacement préjudiciable à sa liberté. Il faut ajouter à cela le fait que, paradoxalement, l’évaluation par compétences, en raison de sa lourdeur, ne permet pas de vérifier de manière régulière les progrès des élèves.

2) La notation disciplinaire porte sur des objets déterminés, inscrits dans un domaine du savoir qui a sa cohérence propre et qui est clairement identifiable. Le nouveau mode d’évaluation ne portera pas sur des connaissances consistantes et organisées, mais sur des domaines très imprécis. Par exemple, comment évaluer si « l’élève identifie (…) les grandes questions et les principaux enjeux du développement humain », s ’« il est capable d’appréhender les causes et les conséquences des inégalités, les sources de conflits et les solidarités, ou encore les problématiques mondiales concernant l’environnement, les ressources, les échanges, l’énergie, la démographie et le climat » (Domaine 5 du socle : « les représentations du monde et l’activité humaine ») ? Une évaluation portant sur des compétences aussi vagues et aussi ambitieuses est bien moins rassurante pour l’élève qu’une évaluation portant sur des savoirs précis.

3) L’enseignement par compétences dissout les connaissances disciplinaires au lieu de les présenter sous une forme articulée et progressive. Or, la progressivité des connaissances est la condition du progrès des élèves dans l’acquisition des connaissances. En évaluant les élèves à partir de programmes qui juxtaposent et accumulent des compétences, on ne leur donne pas les moyens de comprendre ce qu’on attend précisément d’eux et encore moins de progresser. Le ministère souhaite « privilégier une notation positive, simple et lisible, valorisant les progrès (…) et compréhensible par les familles ». Mais le mode d’évaluation que le décret impose produira les effets exactement inverses.

4) La notation disciplinaire engage la responsabilité individuelle du professeur qui exerce son jugement à partir de critères précis qu’il peut expliquer et justifier. Elle protège les élèves de l’arbitraire. Tel n’est pas le cas d’une évaluation qui porte sur des compétences indéterminées et qui se fait dans le cadre de « l’équipe pédagogique ».

En substituant à une notation chiffrée par discipline une évaluation non chiffrée par compétences, le ministère masque les problèmes au lieu de se donner les moyens de les résoudre. Pour que les élèves puissent progresser, il faut que l’évaluation porte sur des attendus précis et des connaissances déterminées, qu’elle permette aux élèves d’identifier leurs difficultés, et qu’elle soit l’occasion pour eux de rectifier ce qu’ils n’ont pas compris ou ce qu’ils ont mal fait. En conséquence, la Conférence demande le retrait de ce décret, le maintien des horaires d’enseignement disciplinaire et des programmes clairs et méthodiques.

Associations signataires :

AFPE (Association Française des Professeurs d’Espagnol)
ANPBSE (Association Nationale de Professeurs de Biotechnologies Santé et Environnement)
APFLA-CPL (Association des Professeurs de Français et de Langues Anciennes en Classes Préparatoires Littéraires)
APHG (Association des Professeurs d’Histoire et de Géographie)
APLettres (Association des Professeurs de Lettres)
APPEP (Association des Professeurs de Philosophie de l’Enseignement Public)
APSMS (Association des Professeurs de Sciences médico-sociales)
CNARELA (Coordination Nationale des Associations Régionales des Enseignants de Langues Anciennes)
SLNL (Société des langues néo-latines)

La Conférence des associations des Professeurs spécialistes [2]

Le communiqué de presse

© Les services de la Rédaction d’Historiens & Géographes, 29/03/2016. Tous droits réservés.

Notes

[2La Conférence des associations de professeurs spécialistes, ou conférence des présidents est le regroupement volontaire de la plupart des associations de professeurs en une structure souple de discussion et d’action. La participation des associations est entièrement libre : la plupart des associations en font partie, très rares sont celles qui refusent d’y participer. Il n’y a pas de critère particulier (par exemple numérique) pour en faire partie, et l’égalité des membres va de soi.

C’est donc une instance unique en son genre, qui représente la très large majorité des disciplines, et un lieu rare où dialoguent aussi bien les disciplines techniques et professionnelles que les disciplines dites d’enseignement général, les disciplines littéraires que les disciplines scientifiques, les disciplines enseignées en classes préparatoires que les disciplines enseignées dans le premier et le second degré.

Relativement informelle, ses réunions n’ont pas de périodicité propre : la Conférence se réunit en fonction des besoins de l’actualité et de l’urgence, mais aussi pour traiter des questions de fond, comme la formation continuée.

Elle est un lieu de dialogue, au sein duquel les différentes disciplines peuvent faire entendre leurs voix et parvenir à un accord elle permet aux différentes associations de mieux se comprendre, par exemple en termes de vocabulaire et de notions (ainsi de compétence) qui varient parfois selon les différentes disciplines, et d’aboutir à des constats et des analyses partagées par tous.

Elle est aussi un lieu d’action. Ces discussions débouchent sur des perspectives concrètes, et donnent lieu à des actions concertées ou communes comme le communiqué ci-dessus.

L’APHG est membre de la Conférence. Elle y est représentée par Hubert Tison et Nicolas Lemas.