Pour une archéologie de la Seconde Guerre mondiale, Vincent CARPENTIER

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Vincent Carpentier, Pour une archéologie de la Seconde Guerre mondiale, Paris, La Découverte, 2022, 368 p.

Vincent Carpentier est archéologue, docteur en histoire, membre de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP) et du centre Michel de Boüard (CNRS-université de Caen). Son intérêt pour les vestiges de la Seconde Guerre mondiale s’exprime à travers son ouvrage, Pour une archéologie de la Seconde Guerre mondiale, paru aux éditions La Découverte, en octobre 2022. Celui-ci nous invite à découvrir les traces matérielles issues du second conflit mondial et à interroger les enjeux mémoriels ou idéologiques inhérents à ces vestiges. Ainsi, les objets archéologiques contribuent amplement à l’écriture d’une « histoire matérielle et anthropologique du fait de guerre ». L’archéologue se trouve confronté, tel l’historien, aux concepts de violence de guerre, de masse et à celui de guerre totale. L’ouvrage met en lumière le rôle essentiel de l’archéologie préventive, à la source d’une véritable réflexion autour des vestiges de la Seconde Guerre mondiale, et d’un enrichissement des connaissances sur la vie quotidienne des troupes au front et la gestion de la mort de masse.
Un ouvrage remarquable qui permet de saisir un nouvel objet d’étude au service de la mémoire matérielle du conflit, et un nouveau concept, celui de vestige de guerre. Analyser les différentes facettes du conflit à travers l’étude des traces matérielles, un défi relevé !

Le livre est composé de trois parties, explorant successivement les grands ouvrages militaires défensifs, les vestiges des champs de bataille, et l’archéologie des violences de masse.


I. Sur les traces matérielles de la Seconde Guerre mondiale

Vincent Carpentier introduit son ouvrage sur le récent intérêt porté par les archéologues du monde entier pour les vestiges du second conflit mondial. En effet, ce n’est qu’à partir des années 2000 que se développent les travaux sur l’archéologie des champs de bataille, des lieux d’internement et de crimes de masse de la Seconde Guerre mondiale. C’est la recherche anglo-saxonne qui définit les modalités et les démarches d’une archéologie du champ de bataille. Il cite, pour la France, des publications de premier ordre, celles d’Alain Schnapp Alain Schnapp, [1] et de Laurent Olivier Laurent Olivier, [2]. La mise au jour de corps apporte une dimension émotionnelle et morale aux travaux des archéologues. Il insiste sur le fait que l’objet archéologique, associé au conflit, permet de construire un nouveau récit historique, notamment à partir de la pluralité des traces comme les inscriptions des prisonniers et des déportés, en quelque sorte une « mémoire des murs ».

Dans une première partie, l’auteur offre une riche analyse des traces des grands ouvrages militaires défensifs des principaux théâtres de la guerre, apportant des informations sur le quotidien des occupants.
Il évoque la construction de lignes fortifiées comme le mur de l’Atlantique, dont la connaissance est affinée grâce aux fouilles archéologiques. De nombreuses recherches sont réalisées en Normandie, au niveau des grandes lignes fortifiées et sur les sites logistiques en forêt. Celles-ci ont permis de cartographier les installations de stockage des munitions et du système de ravitaillement de l’armée allemande. Par ailleurs, de nombreux vestiges des réseaux de défense construits dès 1940, ont été mis au jour, comme ceux des camps militaires alliés en Grande-Bretagne. Vincent Carpentier mentionne aussi les traces de vestiges défensifs dans les archipels du Pacifique Sud, notamment des bunkers bétonnés et des ouvrages défensifs sur les plages. Aussi, l’archéologue met en lumière l’enjeu des défenses passives dont le but est de protéger les populations et les cibles civiles. De nombreux bunkers et des abris antiaériens sont construits dans les villes soviétiques, britanniques et françaises. À ce titre, les archéologues soulignent la découverte de fresques peintes à la gloire des SS, du mobilier et des objets, dans les bunkers berlinois. La défense passive à Paris a sauvé plus de 40000 civils durant le second conflit mondial.

II. Une archéologie des théâtres d’opération et du quotidien des soldats.

Il ouvre la seconde partie avec l’étude des vestiges des champs de bataille, en tant que témoins matériels de l’évènement. Vincent Carpentier insiste sur l’importance de l’interdisciplinarité qui est nécessaire pour aborder la guerre totale. En effet, l’objectif est d’approfondir les connaissances sur le sujet et de confronter les sources historiques aux sources archéologiques. Les fouilles dans les théâtres d’opération nous renseignent sur le déploiement des armées, les types d’installations et munitions utilisées. Il prend l’exemple de la zone Pacifique Sud, dans laquelle les travaux de prospection archéologique ont mis au jour de nombreux objets en lien avec les combats, tels que des éléments d’uniformes et des ustensiles. Sur le front Ouest, le théâtre d’opération lié au débarquement de Normandie, a laissé des traces matérielles des combats, des restes de véhicules et des zones de parachutage. Par ailleurs, il met l’accent sur l’archéologie du quotidien des soldats. Comment vivre et survivre au front ? Les aménagements creusés dans le sol, servant d’abri aux combattants, révèlent la présence de divers matériaux et d’objets du quotidien comme des ustensiles de cuisine. L’exemple des contenants, surtout des bouteilles d’alcool, est significatif quant aux habitudes alimentaires en temps de guerre. Cette partie se termine sur la question de la découverte de corps et de leur identification. L’objectif est de rendre une sépulture aux soldats morts durant les combats. Le gouvernement soviétique a fait le choix de construire des monuments sur les principaux lieux de mémoire associés au conflit, comme la statue de l’Appel de la Mère Patrie érigée sur l’ancien champ de bataille de Stalingrad.

II. Une archéologie de la violence paroxystique et des crimes de masse

La troisième partie est axée sur la violence et les crimes de masse, analysés à la lumière des résultats des fouilles archéologiques. Les matériaux inédits enrichissent les connaissances sur la violence de masse qui a laissé des traces, visibles dans les grandes villes comme Léningrad ou Tokyo. La mise en perspective des archives militaires, des photographies aériennes, et des vestiges de munitions explosées, permettent de construire la chronologie des opérations de bombardements. Aussi, les recherches archéologiques depuis les années 1950 nous éclairent sur la dimension spatiale de la guerre et l’impact matériel des destructions et du processus de reconstruction. L’auteur mentionne des vides béants liés à la violence de guerre comme à Hiroshima et Nagasaki, causant la mort de 320000 civils. L’archéologue questionne également les lieux d’internement des prisonniers de guerre, en lien avec les concepts d’altérité et d’aliénation raciale, ethnique, politique et sociale. Des études archéologiques des fronts intérieurs en Grande -Bretagne (îles Anglo-Normandes) et en Allemagne ont été réalisées afin de comprendre le fonctionnement des travaux forcés dans les ensembles concentrationnaires allemands, et des chantiers de construction du mur de l’Atlantique. L’internement des civils est un objet d’étude important pour les archéologues. En croisant l’archéologie du bâti, les archives et les témoignages oraux, la connaissance du quotidien des prisonniers et de leurs géôliers est enrichie. En France, les recherches dans le patrimoine bâti lié à l’internement des civils par les troupes d’occupation ou le gouvernement de Vichy, dans la zone libre, ont conduit à la création de mémoriaux comme le camp des Milles et le Mémorial de Rivesaltes. Enfin, l’auteur rappelle que la Seconde Guerre mondiale a été le théâtre d’assassinats collectifs. Il mentionne les enquêtes menées par l’association Yahad-In Unum, pour localiser les sites de massacres et les fosses communes. Les fouilles dans le camp d’Auschwitz-Birkenau ont exhumé des centaines d’objets, de lettres et de photographies, contribuant à restituer une « mémoire des camps », et à lutter contre l’oubli et le négationnisme.

Il conclut cet ouvrage en rappelant que l’archéologue est « un témoin de son actualité », se référant au paléoanthropologue Yves Coppens. Néanmoins, Vincent Carpentier établit plusieurs constats. Pour lui, l’archéologie de la Seconde Guerre mondiale s’est développée d’elle-même car les traces sont visibles dans le paysage actuel, mais il reste encore des questions sans réponse. Ensuite, il convient de protéger les sites et de poursuivre la transmission des savoirs, grâce aux sites érigés en mémoriaux ou aux initiatives prises par les musées. Enfin, l’archéologue se questionne sur le devenir du patrimoine de guerre, en alertant sur le manque d’intérêt à l’égard du matériel guerrier encore présent. Il souligne la nécessité de dresser un inventaire des traces archéologiques de la Seconde Guerre mondiale en raison de la disparition des témoins et des traces matérielles. Un ouvrage qui constitue donc un véritable outil de réflexion et de travail pour aborder les théâtres d’opération, les violences de guerre et crimes de masse, en classe de Troisième et de Terminale.

©Dalila Chalabi - Tous droits réservés. 03/03/2022.

Notes

[1Une archéologie du passé récent ? FMSH, Paris, 1997

[2 Le Sombre Abîme du temps, Seuil, Paris, 2008.