Dans un format de poche permettant de conjuguer maniabilité et accessibilité à toutes les bourses, la récente synthèse de Michel Kaplan, fidèle membre de l’APHG, va rendre bien des services à qui veut s’initier à l’histoire byzantine, malheureusement réduite à la portion congrue dans l’enseignement secondaire, voire supérieur, 120 ans après que la première chaire d’histoire byzantine eut été créée à la Sorbonne (1899). Pourtant nul ne peut comprendre l’Europe balkanique ni le monde russe, ni la Turquie moderne sans inscrire ces espaces dans la profondeur historique byzantine, ainsi que le montre la pénétrante introduction sur « l’actualité de Byzance ».
Voilà pourquoi, en premier lieu, Byzance est à connaître. Avec la hauteur de vue et la puissance de synthèse que lui assurent des décennies d’enseignement et de recherche, Michel Kaplan offre une étude posant d’une deuxième manière la question qui donne son titre à l’ouvrage : pourquoi cette entité politique disparue en 1453 a-t-elle pu advenir, prospérer, et durer si longtemps puis trépasser non sans se survivre à travers des empires héritiers, la Russie (proclamée troisième Rome par le « tsar » ou césar, Ivan III, 1462-1505) et, l’empire ottoman qui conserva le nom de « Constantinople » à sa capitale-trophée, nom que l’autre héritière de Byzance, la Grèce, continue d’ailleurs significativement d’employer de préférence à Istanboul.
L’auteur répond à ces questions et son propos explique aussi pourquoi il a consacré sa carrière à une aire de civilisation injustement méprisée depuis les Lumières, alors qu’elle fut un horizon de légitimité prestigieux pour l’Occident barbare, le conservatoire de la culture hellénique (grâce à la renaissance du Xe s.) et l’inspiratrice de la monarchie absolue, de même qu’un gisement de richesses et de reliques à piller. L’auteur rappelle à cet égard combien le sac de Byzance en 1204 par les guerriers de la IVe croisade a nourri la haine de Byzantins contre les Latins, auxquels les Turcs finirent par sembler préférables.
Au fil du livre agencé en six chapitres chronologiques, fruits de la « byzantinologie » occidentale fondée au XIXe s., Michel Kaplan retrace les origines de l’empire byzantin, prolongement de Rome par les mêmes moyens, refondateur d’une romanité chrétienne de langue grecque, dès le VIe s., avec pour capitale une autre cité aux sept collines. Il définit fort clairement la nature du régime où l’équilibre entre temporel et spirituel s’est établi à l’avantage de l’empereur, certes non sans heurts, notamment avec le monde monastique. Il examine les structures sociales et politiques capables d’évoluer et de rebondir, au VIIe puis à partir du XIe s., malgré de nombreux aléas dynastiques, malgré la menace des forces centrifuges à la fois régionales et religieuses, et malgré les dangers d’un voisinage agressif, le califat dès la seconde moitié du VIIe s. (il se substitue à l’empire perse) puis l’Occident. La profusion des événements (innombrables intrigues de palais) et la complexité de certaines querelles dogmatiques comme l’iconoclasme n’empêchent pas Michel Kaplan de brosser un tableau fluide de l’histoire byzantine, en dégageant ses lignes de force (un empire chrétien fondé sur un état de droit et une administration serrée, progressivement ruralisé et militarisé ; une identité intégratrice propre aux empires universels), et ses lignes de crête : Constantin, Justinien, les Isauriens à partir de 717, les Macédoniens (867-1057), les Comnènes qui accusent le caractère dynastique et aristocratique du système, et après qui, passé 1180, l’empire s’affaiblit non sans sursauts (les Paléologues le rétablissent en 1261) ni capacités d’adaptation, mais en décrochement avec l’expansionnisme islamique et latin qui prend en étau et en otage une puissance sur la défensive, économiquement aliénés aux marchands d’Occident et se complaisant dans le repli passéiste sur soiainsi que dans la guerre civile dont profitent les voisins au XIVe s. Un ultime sursaut avec Manuel II, vers 1400, permet de repousser l’échéance d’un demi-siècle. Mais l’empire universel, tributaire des Turcs, se réduit alors à sa capitale et ses alentours. A quelques exceptions comme le cardinal Bessarion, le clergé préfère sa disparition à la soumission à Rome, prônée par les derniers empereurs « unionistes » qui affaiblissent ainsi leur crédit. De même que c’est avec un homonyme du fondateur mythique de Rome que finit l’empire d’Occident, c’est avec un autre Constantin que disparut Byzance, en un siècle de floraison culturelle remarquable et féconde.
Au terme de cette synthèse réussie, le lecteur est bien convaincu de la nécessité de sauvegarder les études byzantines. Puissent les décideurs de l’enseignement supérieur, des programmes du secondaire et des questions aux concours se rendre à cette évidence !
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© Franck Collard pour les services culturels de la Rédaction d’Historiens & Géographes, 27/12/2016. Tous droits réservés.