Cet ouvrage d’une géographe, professeur à l’université Grenoble-Alpes et membre de l’IUF, qui anime par ailleurs un groupe de recherches sur les frontières au sein du laboratoire PACTE, et fait partie du collectif pluridisciplinaire « anti atlas des frontières » créé à Aix en Provence en 2013, fait le point sur les frontières internationales qui se sont multipliées depuis 1991 (plus de 27 000 kms créés) et évoluent dans un monde de réseaux, de flux et d’ondes qui agissent en interaction sur les individus.
Son approche, qui s’appuie sur de multiples références philosophiques, sociologiques et en particulier les travaux des Anglo-saxons, est originale par ses dimensions anthropologiques et esthétiques, tout en restant un ouvrage de géographie par les exemples analysés. Réflexion sur la notion de frontière au XXIème siècle, loin de sa définition comme ligne de partage traditionnel entre des territoires souverains aux traités de Westphalie en 1648, il se lit aisément.
L’auteure montre d’abord que la frontière est devenue mobile et a une dimension profondément dialectique, s’ouvrant et se fermant à la fois (avec la multiplication des murs), sans oublier qu’il existe de plus en plus de frontières dématérialisées, en 3D, avec l’espace aérien où circulent drones et satellites, ou « réticulaires » (on parle de « pixellisation ») dont les fonctions se situent très en amont ou très en aval, avec le contrôle des conteneurs dès les ports étrangers, et avec des bases de données sur les individus permettant de qualifier ces frontières d’ « intelligentes » mais posant aussi un problème de protection de la vie privée.
Dans une seconde partie, plus classique, elle aborde le rôle de ressource multidimensionnelle de la frontière, dans les régions transfrontalières alpines par exemple, mais aussi avec la « fermentation commerciale » des frontières africaines. La frontière est devenue un outil d’action publique avec les franchises des maquiladoras dès 1965 et aujourd’hui des aéroports latino-américains, les régions les plus intégrées et internationalisées étant celles des Grands Lacs américano-canadiens, et les 70 euro-régions sur le pourtour oriental de l’UE. Mais le marché qui se développe le plus, créant une véritable « industrie de la frontière » générant des milliards d’Euros, est celui de la surveillance des frontières, avec ses passeurs, ses entreprises et ONG qui participent au secours, à la survie et à la détention des clandestins, sans oublier le service électronique de surveillance, assuré par de grandes entreprises qui reçoivent des subsides publics, au point que l’on a pu parler de complexe « sécuritaro-industriel » ou de « xénophobie-business ».
La dernière partie, la plus neuve, montre comment la frontière s’est individualisée, forgeant la notion de « frontiérité », insistant sur les inégalités entre individus dans leur vécu de la frontière, les ségrégations des « parias globaux », mais aussi des régions extraterritoriales comme en Chine, et bien sûr les images choc des cadavres en Méditerranée et des « jungles » de Calais ou d’ailleurs. Mais les scanners bousculent aussi les notions de privé et de public, exposent les corps de manière inédite, décomposent et recomposent l’identité des individus, débouchant sur un imaginaire de la frontière, à travers l’expérience d’artistes qui donnent à voir la frontière autrement, que ce soit le mur israélo-palestinien ou l’« équateur politique » que serait devenue la frontière américano-mexicaine.
Dominique Mattei pour Historiens & Géographes.
© Les services de la Rédaction d’Historiens & Géographes, 30/03/2016. Tous droits réservés.