C’est en étudiant le parcours des deux personnages d’Au-revoir là-haut, le roman de Pierre Lemaitre, que l’idée m’est venue de proposer aux élèves ce projet auquel ils ont très vite adhéré : ils écriraient des nouvelles à partir d’éléments biographiques de soldats inhumés dans les environs de Château-Thierry.
Avant de débuter l’écriture, les élèves se sont attachés à découvrir les ressorts de l’écriture de fiction historique : l’importance de la contextualisation, de la précision et du choix de chaque mot. C’est en Accompagnement pédagogique, grâce aux techniques de l’écriture longue, qu’ils ont accompli de véritables progrès d’écriture.
Je voulais leur proposer une autre manière d’écrire afin qu’ils ne se retrouvent pas seul devant la page blanche mais sans les faire travailler en groupe, « sur table », car bien souvent la distribution des rôles pénalise les plus faibles. J’ai leur ai proposé un nouvel outil : l’écriture collaborative. Au moyen d’un traitement de texte en ligne, les élèves interviennent simultanément sur leur page. De plus, cet outil propose un chat pour négocier les objectifs de travail, définir leurs axes d’écriture, librement. Il leur permet de travailler en dehors du lycée, et cette fonctionnalité a eu un impact sur le décrochage scolaire dans la classe. Grâce aux fonctions avancées du logiciel, j’identifie le rôle de chacun, je repère leurs difficultés et leurs atouts.
J’ai apporté quatre portraits de soldats, d’origines, d’âges et de milieux différents, tous inhumés à Château-Thierry et au Aisne-Marne American Cemetery de Belleau, accompagnées de photographies d’illustration. Tous avaient un parcours singulier et unique. Ces hommes n’ont laissé que de minuscules traces que nous pouvons lire. Ainsi, les élèves ont créé leurs histoires de toutes pièces. Dans ces fictions, il ne faut pas rechercher une vérité historique mais l’imagination fertile de jeunes d’aujourd’hui lorsqu’ils se penchent, cent ans après, sur la Première Guerre mondiale.
Leurs travaux ont été rendus publics à l’occasion du Memorial day, avant le discours des généraux français et américain : les élèves ont présenté le projet en anglais et en français.
A l’issue de la cérémonie, ils ont reçu la visite du Général Neller, commandant le corps des Marines, qui a pris le temps de faire connaissance avec les élèves, saisi qu’il était par la qualité de leurs nouvelles. Cette présentation a été l’occasion de publications françaises et américaines. Quelques jours après, ce sont leurs travaux sur l’un des soldats, un tirailleur sénégalais, qui ont été présenté lors d’une vibrante cérémonie à la mémoire de cet homme.
Avec leur professeur de Lettres-Histoire, M. Bervas, les élèves auront à coeur dès septembre d’enrichir leur projet qui contribue d’une manière originale à sortir de l’anonymat et de l’oubli des soldats de la Première Guerre mondiale. [3] Voici un extrait de l’une d’entre elles, écrite par Laura, Léa et Drucilla, à partir de la biographie du Soldat Tiemoko :
L’enfer c’est ici
Mardi 19 mars 1918 à la Malmaison.
Ce matin, j’ai été réveillé par le bruit d’un avion qui nous survolait. Je vais donc rejoindre les guetteurs. La pluie est tombée toute la nuit, comme des balles s’arrêtant dans les entrailles de son ennemi. J’ai très peu dormi. Peut-être à cause de la peur de ne pas me réveiller. Aussi, je dois garder les yeux grands ouverts.
Enfant, la violence me faisait peur, très peur. La guerre m’était étrangère. Aujourd’hui je me retrouve loin de ma Côte d’Ivoire, loin des visages familiers, loin de mes cahiers et des devoirs d’écolier. Fini le garçon peureux et sensible que j’étais. Ce mardi 19 mars je dois être plus fort que jamais. Mon ami Kamara, qui était avec moi depuis ce jour d’été 1916 où nous sommes descendus du bateau est là. Allongé, face contre terre, les yeux fermés pour toujours. C’est fini. Demain ils enverront un télégramme à sa famille. J’ai l’impression que l’on nous arrache le cœur à vif. Tous ces cadavres jonchant le sol, si je suis encore là, si je me bats, c’est pour eux. Pour qu’ils ne soient pas morts pour rien. Personne à qui raconter le courage de tous ces soldats, personne à qui raconter les moments de joie, de rire, de peur, de chagrin. Personne.
Le 4 juin 2016 à 11h, nous avons présenté une partie de nos travaux à Verdilly, lors d’une cérémonie en hommage au tirailleur sénégalais Tiemoko pour lequel les élèves ont écrit deux nouvelles, que nous vous offrons en pièce jointe (ci-dessous).
Le prêt de l’exposition est disponible auprès du lycée Jean de La Fontaine, sur demande. [4]
© Vincent Bervas - Tous droits réservés. 4 juin 2016.
© Les services de la Rédaction d’Historiens & Géographes, 21/06/2016. Tous droits réservés.