Récits de combattants. Du Württemberg au Bois-le-Prêtre Compte-rendu de la rédaction / Grande Guerre

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Pour montrer le processus de totalisation subi par les civils et les combattants (troisième), afin d’évoquer l’expérience combattante (première) et pour incarner la leçon d’histoire, les sources testimoniales s’avèrent essentielles...

DRULANG-MACK, Jean-Pierre (dir.), Du Württemberg au Bois-le-Prêtre (1914-1918) / Aus Württemberg in den Priesterwald, Moyenmoutier, Edhisto, 2016, 19 €. Nombreuses illustrations [avec le concours de Sylvia Hage & Thierry Bertinotti.]

Edhisto, éditeur vosgien, dans cet ouvrage fort original et richement illustré, nous offre la vision allemande de la guerre avec le point de vue de trois soldats différents. Cette association se justifie par leurs origines communes (le Württemberg) et le théâtre d’opération sur lequel ils furent affectés : le Bois-le-Prêtre, situé à une trentaine de kilomètres au sud de Metz et au nord de Nancy. Les combats y ont été nourris : 7 000 tués et 22 000 blessés du côté français, des pertes équivalentes chez les Allemands. Car l’endroit est stratégique. Pour les Allemands, prendre le massif aurait fragilisé la défense de Verdun, clé de la route de la Marne. Pour les Français, il s’agissait d’abord de protéger la ville meusienne puis de couper une ligne d’approvisionnement essentielle pour l’ennemi.

Ces trois soldats présentent aussi des différences, tant dans leur expérience combattante que dans leur relation de celle-ci, sans oublier des origines sociales plurielles, qui se révèlent dans leurs écrits. Le premier journal est celui d’Eugen Efinger. Anti-militariste, ce dernier échappe au service militaire. Mais, en 1914, il rejoint volontairement l’armée par patriotisme. Au fur et à mesure de l’avancée du conflit, il gravit les grades et, en septembre 1917, il est promu officier. Blessé dans la Somme fin mars 1918, après sa convalescence, il est affecté à la garde-chiourme de soldats allemands. Son expérience associe donc guerre de mouvement et guerre de position. Après 1918, il reprend ses études, prend en charge la direction d’écoles primaires, puis, à partir de 1933, intègre le ministère de la culture du Württemberg. Mobilisé en 1939-1945, il combattra sur le front russe.

Son journal est le plus détaillé des trois, certainement composé pour une publication post bellum. À ce titre, il représente une source de premier plan. Sa lecture permettra de nourrir de détails précis un cours sur la Grande Guerre, notamment sur l’expérience combattante d’un Frontsoldat. Le 12 avril 1915, son unité, affectée près du village de Frey, subit un déluge de feu. 6 000 obus en deux heures arrosent la position. La guerre pour l’auteur ne s’accompagne pas d’une haine envers l’ennemi. Efinger ne déteste pas les Français et sympathise même à plusieurs reprises avec des civils. Au-delà de passages intéressants sur la vie au front (p. 73), sur un combat de patrouilles qui le voit rester coincé sur le no man’s land (p. 111-112), ses écrits livrent des renseignements précieux sur la situation de l’Allemagne après l’armistice. La retraite se fait dans un désordre incroyable. Le retour dans son pays s’effectue dans une ambiance presque hostile : « pas une croix, pas un drapeau, nous avons l’impression de rentrer au pays comme des criminels, cette patrie que nous avons défendue pendant quatre ans avec nos propres corps » (p. 182). Efinger constate même « une humeur révolutionnaire sauvage » (p. 184), dirigée contre les officiers et les sous-officiers. Ce n’est qu’à la fin novembre qu’il sera accueilli de manière amicale par la population allemande.

Johann Baptist Mack et Albert Weiss ont effectué, eux, leur service militaire avant guerre. Leurs écrits sont dépouillés, se limitant à des informations géographiques et à la relation sèche du quotidien d’un combattant, dominé par les travaux de terrassement, les pilonnages de l’artillerie adverse, les patrouilles et les combats. Tous deux sont au cours du conflit promus sous-officiers. Nos collègues trouveront quelques indications intéressantes sur le vécu d’un soldat au front, comme l’évocation de bombardements entre le 1er et le 3 novembre 1914 (p. 208). Le destin après guerre de ces deux combattants est fort différent. Le premier, devenu maître charron, élu au conseil municipal de son village sur une liste du Zentrum (formation catholique de centre-droit), est écarté du pouvoir par les Nazis dès 1933. Le second, élu maire de son village dès la fin de la guerre, cumule à partir de 1933 cette fonction avec l’exercice d’une nouvelle charge édilitaire dans un autre village.

L’ouvrage présente aussi en allemand l’intégralité des écrits des trois combattants. Il offrira ainsi aux collègues enseignant en classe européenne allemand ou en Abibac une ressource des plus précieuses.

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© Yohann Chanoir pour Historiens & Géographes - Tous droits réservés. 11/08/2016.