Par David Noël [1]
Réforme de l’orthographe : un nouvel emballement, la nécessité d’une riposte
« Ognon, nénufar, accent circonflexe : la réforme surprise de l’orthographe » (Le Figaro, 04-02-16), « Réforme de l’orthographe le triomphe du low cost » (Le Point, 07-02-16), « 80 % des Français opposés à l’introduction de la réforme de l’orthographe dans les manuels scolaires » (Atlantico, 13-02-16), « Choc de simplification » (Valeurs actuelles, 16-02-16)…
Il aura suffi d’un reportage au JT de TF1 le 29 janvier 2016 sur l’application par les éditeurs de manuels scolaires à la rentrée prochaine de simplifications orthographiques… décidées en 1990 pour que notre pays connaisse un nouvel emballement médiatique : sondages, pétitions, interviews d’académiciens curieusement amnésiques et d’anciens ministres de droite, communiqués de presse des Républicains, pétition du Front national…
Les mêmes médias, les mêmes sites internet qui s’insurgeaient en 2014 contre la « théorie du genre » et en 2015 contre les nouveaux programmes d’histoire qui feraient « disparaître la chronologie » et rendraient « l’étude de l’islam obligatoire à la place du christianisme » se sont trouvé un nouveau cheval de bataille avec cette soi-disant « réforme de l’orthographe » imposée par Najat Vallaud-Belkacem.
Qu’importe que les simplifications orthographiques datent de 1990, qu’elles aient été proposées par le Conseil supérieur de la langue française et approuvées par l’Académie française, que les instructions officielles de 2008 invitaient déjà les enseignants de français à tenir compte des rectifications de 1990… Les sites de fact-checking comme ceux de Libération (Désintox) ou du Monde (Les Décodeurs) ont eu beau expliquer qu’il n’y avait pas plus de « réforme de l’orthographe imposée par Najat Vallaud-Belkacem » que de « théorie du genre » ou de beurre en branche, rien n’y fait.
Relayée par les sites d’extrême droite (Boulevard Voltaire, Fdesouche), sur les réseaux sociaux, dans les commentaires des sites d’information, la rumeur se répand comme une traînée de poudre.
De la théorie du genre à la réforme de l’orthographe en passant par le remplacement de Louis XIV par le royaume du Monomotapa et celui du christianisme par l’islam dans les programmes d’histoire, les informations mensongères diffusées par des politiciens ne reculant devant aucune contrevérité, des éditorialistes assumant leur positionnement « réactionnaire » et certains médias dessinent l’image d’une France « en décadence » dont l’identité serait menacée par l’immigration et ce que l’extrême-droite identitaire appelle « le grand remplacement ».
Enseignants d’histoire-géographie, chargés d’éduquer nos élèves à l’apprentissage de la citoyenneté et de l’esprit critique, nous devons être en première ligne pour lutter contre le conspirationnisme xénophobe de l’extrême droite distillé comme un poison.
Nous n’avons pas à rougir d’enseigner le refus des discriminations en classe de Cinquième.
Nous n’avons pas à rougir d’enseigner la naissance du christianisme et la naissance de l’islam.
Nous n’avons pas à rougir d’enseigner l’histoire de France et d’enseigner aussi l’histoire d’autres pays, d’autres civilisations.
Nous n’avons pas à rougir d’enseigner les valeurs de la République.
Trop souvent, face à l’offensive réactionnaire, nous sommes restés sur la défensive, démentant les rumeurs, nous contentant d’expliquer le contenu des programmes à des interlocuteurs qui avaient choisi le mensonge et la manipulation comme méthodes. Les polémiques politiciennes, la volonté d’affaiblir un gouvernement n’autorisent pas la prise en otage de la communauté éducative.
Il est temps de passer à l’offensive, de nommer l’ennemi, de dénoncer sans détours l’homophobie, la xénophobie et le racisme de ceux qui critiquaient hier la théorie du genre et les programmes d’histoire, qui critiquent aujourd’hui une réforme de l’orthographe qui n’existe pas et qui sont en réalité nostalgiques d’une école fantasmée qui sent la naphtaline.
Contre les emballements médiatiques, nous voulons une éducation de qualité pour nos élèves. C’est notre rôle de pédagogues et de citoyens, c’est le rôle d’une association professionnelle comme la nôtre de riposter face à l’offensive réactionnaire contre nos disciplines.
© David NOËL
Membre du bureau de l’APHG Nord-Pas-de-Calais
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