Se remettre au latin après le bac ? "Hic et nunc" Quelques questions à Joëlle Wasiolka-Lawniczak

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Enseignante de lettres classiques en CPGE au lycée Mariette de Boulogne-sur-Mer, Joëlle Wasiolka-Lawniczak enseigne le latin aux débutants depuis quelques années et propose un manuel aussi efficace qu’agréable pour (re)découvrir la langue de Cicéron et se former rapidement à l’étude des textes qui constituent aussi d’incontournables sources pour l’historien.

Par Joëlle Alazard. [1].

1) Tout d’abord, à qui s’adresse Hic et nunc  ? Dans quel contexte peut-on être amené à se mettre au latin ou à s’y remettre, après le bac, et pour quels objectifs ?

Hic et nunc s’adresse à ceux qu’on a coutume d’appeler les « grands débutants » : des étudiants qui n’ont absolument jamais fait de latin, ou qui ont suivi l’option latin au collège, et qui n’en ont gardé que des souvenirs très lointains. Cela représente une part très importante des étudiants, car si le latin se porte encore assez bien au collège, il est davantage délaissé au lycée. En général, c’est le choix d’une formation ou d’une orientation post-bac qui impose celui du latin. La langue ancienne – latin ou grec – est par exemple obligatoire en première année de classe préparatoire littéraire A/L, où on peut en commencer l’apprentissage au niveau grand débutant. Cette possibilité est également offerte aux étudiants de Lettres Modernes notamment, dont certains commencent à étudier le latin à l’Université. La langue ancienne reste obligatoire en khâgne (deuxième année de classe préparatoire littéraire), ou devient facultative, en fonction du concours préparé. En khâgne Ulm, les écrits comportent une épreuve de langue ancienne ; en khâgne Lyon, on peut passer une épreuve de langue ancienne à l’oral, quelle que soit sa spécialité ; enfin, si le latin est obligatoire en Chartes A, il peut aussi être choisi en option dans les filières de Chartes B. Il arrive aussi qu’on ait à se remettre au latin plus tardivement : pour préparer l’épreuve écrite de version de l’Agrégation de Lettres Modernes, ou l’épreuve orale d’explication de texte de l’Agrégation d’Espagnol. À l’Université en effet, même en Lettres, le latin n’est pas forcément obligatoire en Licence, bien qu’il s’agisse de la langue mère du français – l’inconscient de la langue, selon l’expression de Marie Darrieussecq, et il arrive que les étudiants ne l’abordent que l’année où ils passent le concours, en suivant des cours de remise à niveau ou par leurs propres moyens. Enfin, l’apprentissage du latin concerne aussi les historiens qui souhaitent avoir un accès direct aux sources antiques et médiévales. Commencer ou recommencer le latin après le bac offre la possibilité d’établir un autre rapport à la langue : on l’étudie dans le cadre d’un projet bien précis, on en mesure progressivement l’intérêt et les richesses, et on finit par se l’approprier même quand on ne l’avait pas vraiment choisie. Il n’est pas rare que les étudiants d’hypokhâgne apprécient le latin, voire se découvrent une vocation pour des langues anciennes qu’ils ne connaissaient pas du tout. J’ai appris récemment qu’une de mes anciennes étudiantes était admissible cette année au Capes de Lettres Classiques : elle s’est prise de passion pour les langues anciennes qu’elle a découvertes en première année de Lettres Supérieures. Pour l’anecdote, j’ai également enseigné le latin à des adultes désireux d’apprendre la langue par pur plaisir – comme par exemple un enseignant d’Allemand à la retraite.

2) Pourtant, devoir apprendre ou réapprendre le latin est parfois source d’inquiétudes : est-ce justifié ?

Le latin fait souvent peur, c’est indéniable ! L’image horrifique qui vient immanquablement à l’esprit est celle d’interminables tableaux de déclinaisons et de conjugaisons. Pourtant, après plus de dix ans d’enseignement du latin dans le supérieur, dans divers établissements (en tant qu’allocataire-moniteur de recherche à Paris IV, dans deux classes préparatoires dont les étudiants ont des profils différents), je peux affirmer avec certitude que l’apprentissage de la langue latine est loin d’être insurmontable. Aborder le latin en tant que grand débutant est même, à certains égards, une chance : on peut construire les apprentissages de façon très méthodique et redoutablement efficace. Cela nécessite évidemment du travail, de la régularité et de la patience – mais ce sont là des qualités nécessaires dans beaucoup d’autres disciplines. D’ailleurs, les craintes se dissipent assez vite. J’ai toujours autant de plaisir à enseigner cette discipline et à voir mes étudiants évoluer en abandonnant progressivement leurs réticences initiales.

3) Pouvez-vous nous expliquer brièvement comment vous avez conçu votre manuel ?

Mon expérience d’enseignement m’a conduite à mesurer l’importance, dans l’apprentissage, de la pratique de la langue, sous toutes ses formes - du plus traditionnel exercice de déclinaison, aux exercices de lecture, de reformulation, de thème, de version courte ou longue, de retraduction… L’apprentissage du latin requiert une grande rigueur, mais il nécessite aussi des réflexes et une intuition qui ne peuvent être développés qu’en manipulant la langue. J’ai voulu que mes lecteurs soient véritablement acteurs de leur apprentissage. C’est pour cela que j’ai choisi le titre Hic et nunc : ils ont tout ce qu’il faut pour s’y mettre, ici et maintenant, sous la houlette d’un professeur ou en autonomie – en tout cas, ce titre est une invitation à le faire. Tous les chapitres, à l’exception du premier et du dernier, sont structurés de la même façon. Un texte authentique traduit fait l’objet de questions d’observation qui permettent de commencer à découvrir les points de grammaire qui seront abordés dans le cours. Suivent un cours synthétique, puis des exercices d’application de difficulté progressive pour en acquérir la maîtrise. En fin de chapitre, on trouve des exercices bilan qui portent sur les points de grammaire étudiés ou permettent de réactiver des notions traitées antérieurement – car apprendre, ce n’est pas simplement accumuler des connaissances, c’est aussi revenir sur ce qu’on sait déjà. Les exercices bilan comportent systématiquement une version, à partir du chapitre 3. J’ai retenu des textes très diversifiés, appartenant à des genres différents et à différentes époques de la latinité. Le texte de version du chapitre 7 est par exemple un extrait de la Table claudienne. Naturellement, tous les exercices et versions sont corrigés. Il y en a plus de 200, pour la plupart testés et améliorés au fil des années avec mes propres étudiants. Le manuel contient aussi un lexique, qui dispense dans un premier temps de l’achat d’un dictionnaire. Et j’y ai également inséré un lexique grammatical, car apprendre le latin nécessite de se replonger dans la grammaire française, ce qui peut représenter une difficulté. Enfin, le manuel comporte des compléments numériques de civilisation : une langue est inséparable de sa culture, à laquelle j’ai voulu faciliter l’accès en organisant la matière des textes chronologiquement (passé légendaire, Rome royale, République…) J’ajoute qu’Hic et nunc est sans doute actuellement le seul manuel de latin grands débutants en couleur : cela peut paraître anecdotique, mais l’usage de la couleur facilite beaucoup l’apprentissage de la morphologie, et même de la syntaxe. L’éditeur a fait un travail formidable.

4) Pour finir, quels conseils donneriez-vous aux grands débutants, notamment à ceux qui travaillent seuls ?

Le principal conseil que je peux leur donner, qu’ils travaillent seuls ou non, est de se montrer particulièrement réguliers dans l’apprentissage, en particulier dans les premiers temps. Je dis souvent à mes étudiants d’hypokhâgne qu’il faut revoir les cours, refaire des exercices, relire les textes pendant les vacances de la Toussaint, c’est-à-dire quelques semaines après le début de leur découverte de la langue, car ce qu’on a acquis ne subsiste pas si les connaissances ne sont pas entretenues à ce stade. Mon second conseil serait d’inviter les grands débutants à ne pas se laisser décourager par leurs erreurs ou difficultés de compréhension. L’erreur fait partie du processus d’apprentissage, et ce n’est pas un problème de se tromper, à partir du moment où on comprend pourquoi, pour ne plus commettre la faute. J’ai préparé le thème de l’Agrégation – en latin et en grec – en réalisant après chaque épreuve d’entraînement des fiches récapitulant les fautes que j’avais faites. Et c’est essentiellement ces fiches que j’ai révisées pour le concours, puisque je connaissais ma grammaire par cœur ! Cette recommandation est particulièrement importante, je pense, lorsqu’on travaille seul, et cela est possible en utilisant Hic et nunc, puisque tous les exercices sont corrigés. Néanmoins, je conseillerais à ceux qui se préparent en autonomie à un concours – mais le conseil vaut aussi pour les autres – de lire un maximum de textes en « petit latin ». J’explique cette méthode de lecture bien connue des latinistes dans le dernier chapitre du manuel : il s’agit de lire des textes authentiques en édition bilingue sans formaliser à l’écrit sa propre traduction, en vérifiant à l’aide de la traduction française proposée que le texte est bien compris. Ce dernier chapitre est un peu mon adieu aux lecteurs, que j’ai l’ambition d’amener à une pratique autonome du latin, pour qu’ils puissent eux aussi continuer à faire vivre cette belle langue.

Lire un extrait sur le site de l’éditeur !/4/1:0)].

© Historiens & Géographes - Tous droits réservés. 1er/06/2021

Notes

[1Professeure en classes préparatoires littéraires, lycée Faidherbe, Lille ; co Vice-Présidente de l’APHG