Selon la DEPP, le latin corrige les inégalités Tribune collective des associations des professeurs

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La Rédaction du site internet national et de la revue Historiens & Géographes publie une série de tribunes libres afin d’ouvrir le débat dans le cadre des réflexions de la communauté éducative. Ces textes proposent des points de vue, des analyses qui appellent à la discussion. Ils n’engagent ni l’association ni la Rédaction.

La Rédaction remercie vivement ses collègues des associations suivantes : l’APFLA-CPL, l’APLAES, l’APLettres, la CNARELA, SEL et SLL, pour lui avoir transmis pour diffusion auprès des professeurs d’Histoire-Géographie cette tribune collective.

SELON LA DEPP, LE LATIN CORRIGE LES INÉGALITÉS

Une très intéressante étude [1] de la DEPP (Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance), organe statistique du ministère de l’Education nationale, analyse le poids du latin dans le parcours scolaire de 35 000 élèves entrés en 6e en 2007, jusqu’à leur obtention du baccalauréat en 2014.

Son titre maladroit, lié aux bases de l’enquête et non à ses conclusions : « Le latin au collège : un choix lié à l’origine sociale et au niveau scolaire des élèves en fin de 6e » a conduit des organes de presse à des intitulés vengeurs, du Monde titrant en ligne « Le latin : une option d’élites » [2], infléchi sur papier en « Le latin, marqueur de réussite scolaire », à Libération proclamant sans nuances « Qui fait du latin au collège ? Avant tout les enfants de profs... ». [3] Quant au Café pédagogique, pourtant volontiers sociologue, il déclenche sur la même ligne sa sirène automatique : « Latin et élitisme : le débat relancé par la DEPP », [4] avec le souhait final de « réduction des filières élitistes ».

Faut-il rappeler à Libération que lire dans l’étude que 44% des enfants d’enseignants font du latin ne conduit pas à comprendre que 44% des latinistes sont enfants de professeurs, et que si le journal s’était reporté à une autre publication de la DEPP, le bilan annuel « Repères et références statistiques sur les enseignements, la formation et la recherche » (RERS 2015), [5] il aurait lu p. 97 que 3,3% des collégiens sont enfants d’enseignants, et compris à la p. 127 que 44% de ces 3,3% ne peuvent constituer les 19,3 % de la population collégienne qui choisissaient le latin à la rentrée 2014. Il aurait compris aussi que les parents des « enfants de profs » sont aussi les professeurs des enfants des autres, et que, convaincus des vertus du savoir et de la culture pour tous, ils ont pu, vu les chiffres, pousser d’autres enfants que les leurs, et des enfants défavorisés, à faire du latin. Les données statistiques du même document permettent en effet de calculer [6] que certes 37,5% des latinistes sont issus de milieu favorisé (donc pas seulement enseignant), mais surtout que 62,5% d’entre eux sont enfants de classes intermédiaire, moyenne (agriculteurs, artisans, commerçants), ou défavorisée (ouvriers et chômeurs). Mais sans doute les médias préfèrent-ils leurs œillères à la vérité des chiffres.

Ces contresens idéologiques de lecture chagrinent chez des journalistes férus de « désintox », et censés éclairer l’actualité, ne pas se laisser aveugler par les préjugés, ni adhérer aux slogans de la ministre de l’Education nationale sacrifiant le latin au nom d’un supposé élitisme.

Cette étude, au contraire, met en effet statistiquement en lumière les bénéfices de l’étude du latin, et montre que les effets positifs de l’apprentissage de cette langue ancienne sont d’autant plus marqués pour les élèves que leur origine sociale est défavorisée. Loin d’être la dénonciation d’une matière et encore moins d’un élitisme – puisque 93% des établissements scolaires proposaient le latin à la rentrée 2014 [7] -, cette étude est au contraire un plaidoyer, mathématiquement étayé, pour le rôle socialement correcteur du latin dans le domaine des inégalités scolaires et culturelles.

Par exemple, le succès aux examens (brevet des collèges et baccalauréat) des élèves latinistes de milieu défavorisé est supérieur de 21,5 points au brevet, 23 points au baccalauréat, à celui de leurs camarades de même milieu non latinistes, alors que l’écart n’est que de respectivement 5,5 et 18 dans les milieux favorisés. Ces chiffres nets ont l’avantage de débarrasser l’enquête des biais sociologiques : si le latin apporte moins dans les milieux favorisés, c’est que d’autres facteurs familiaux ou culturels jouent le rôle du latin ; dans les classes moyennes et pauvres au contraire, rien ne peut remplacer cette matière offerte gratuitement par l’école de la République.

La réflexion sur la carte scolaire également devrait s’enrichir à la lecture de cette enquête. L’étude révèle en effet que la latin participe à la mixité sociale : les enfants de milieu favorisé fréquentent le collège d’éducation prioritaire de leur secteur quand il offre le latin. C’est une raison de développer encore cette matière, et non plus de la limiter comme le font depuis plus de dix ans tous les gouvernements, en restreignant de façon malthusienne l’accès aux sections de 5e, et en fermant des enseignements de 2e en lycée, alors qu’ils ont eu et ont entre les mains un levier de lutte contre des inégalités croissantes qu’ils déplorent maintenant avec des larmes de crocodile, en accusant d’injustice l’école elle-même, et non leurs politiques scolaires incompétentes. Cette mixité créée par le latin est réelle : contrairement aux clichés, 80 % des établissements ne regroupent pas les latinistes dans une classe, mais les répartissent sur plusieurs à 57%, et sur toutes les classes à 24% (cf l’étude du CNESCO, note 4).

Une telle étude, menée par les services du Ministère lui-même, ne devrait pas informer que les journalistes, les sociologues et les parents : la ministre Najat Vallaud-Belkacem elle-même devrait la lire. Elle en tirerait plusieurs enseignements.

Que le latin lutte contre les inégalités au lieu de les conforter, que le combat contre l’injustice scolaire mérite une information documentée et non des slogans pavloviens, et que les statisticiens de ses propres services ont des capacités de dessillement idéologique dont elle devrait se servir.

Que la réforme du collège qu’elle engage en dépeçant le latin et le grec, pour un « saupoudrage »dont elle se vante [8], travaille méthodiquement et aveuglément contre les élèves, qu’elle prive de savoirs, d’égalité et de mixité ; il faut en effet remarquer que cette étude menée de 2007 à 2014 l’a été dans une période où les programmes et les horaires nationaux des langues anciennes leur ont préservé un statut de disciplines à part entière – le seul statut qui préserve leur vertu scolaire, culturelle et sociale.

Que démembrer ces matières est une faute intellectuelle qui ne peut procéder que d’une ignorance forte et d’une pensée hors-sol.

Que les dénaturer en kit (les EPI, monstres administratifs) va conduire à créer dans les collèges des ghettos de latinistes (comme en prévient le Syndicat des personnels de direction) [9]

A ces titres, les associations APFLA-Prépa, APLAES, APLettres, CNARELA, SEL et SLL dénoncent et condamnent la réforme 2016 du collège, menée à marches forcées contre l’intérêt et le bien-être des élèves, les convictions des professeurs, le respect des disciplines et du savoir, et dans l’ignorance la plus complète des mécanismes réels en oeuvre à l’école et dans la société. Elles réclament une fois de plus le maintien du latin et du grec comme disciplines du collège, ouvertes à tous, et garanties nationalement par un horaire dédié.

  • APFLA-CPL (Association des Professeurs de Français et Langues Anciennes en Classes Préparatoires Littéraires) www.apfla-cpl.com
  • APLAES (Association des Professeurs de Langues Anciennes de l’Enseignement Supérieur) www.aplaes.org
  • APLettres (Association des Professeurs de Lettres) www.aplettres.org
  • CNARELA (Coordination Nationale des Associations Régionales des Enseignants de Langues Anciennes) www.cnarela.fr
  • SEL (Sauvegarde des Enseignements Littéraires) www.sel.asso.fr
  • SLL (Sauver Les Lettres) www.sauv.net

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