Stéphane Encel, Les Hébreux Compte-rendu de lecture / Histoire antique

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Stéphane Encel, Les Hébreux, Paris, Armand Colin, 2021.

Le compte-rendu ci-dessous constitue un véritable résumé permettant aux collègues de 6e, notamment, de se (re)mettre à jour solidement et rapidement pour la préparation des cours.

Par Damien Gillot [1].

Ce spécialiste en judaïsme ancien propose dans son ouvrage une synthèse de la recherche actuelle, allant au-delà de la Bible. Pour lui, un exposé chronologique risque de ne développer qu’une histoire politique et institutionnelle, et un exposé thématique risque de brouiller le lecteur non spécialiste. Il choisit donc un plan chrono-thématique, ne partant d’aucune date précise faute de preuve historique, et terminant au IIe siècle qui a construit et renforcé la tradition orale, ouvrant une autre époque du judaïsme.

Partie I - La formation d’un peuple : des Hébreux aux Israélites (...- env. - 931)

Après avoir dressé les contextes géostratégique, sociologique et géopolitique des Hébreux au début de la période, Stéphane Encel s’interroge : qui sont les Hébreux ? Il est confronté à la fois à la pauvreté des documents et à la subjectivité de la réponse, mais aussi au fait que l’on ne peut, par définition, jamais remonter à l’origine d’un peuple. Il en dégage cependant certains traits de l’ethnogenèse (récits d’origine d’Israël) : une vie nomade ou semi-nomade avec une relation une sacrée d’abord spontanée et informelle ; un rôle des femmes plus important que par la suite ; de bonnes relations avec les peuples voisins sans conflit religieux même si les Hébreux semblent se marier avec des femmes de leurs clans. Il note aussi le rôle clef de l’Égypte dans leur histoire, « tantôt terre de refuge, tantôt terre d’oppression » [2], permettant de mettre en lumière l’existence de leur dieu, leur révélation et la recherche d’une terre pour appliquer les commandements révélés.

D’un point de vue historique, l’approche n’est pas aisée. Concernant la présence en Égypte des Hébreux et son exode, il y a des hypothèses hautes de la datation identifiant les Hébreux aux Hyksos ou aux Apriru/Abiru. La plus retenue est l’hypothèse basse situant les événements sous Ramsès II en vertu de l’inscription attestée de Merenphtah la fin du XIIIe siècle av. n. è. Concernant la conquête de Canaan, l’archéologie montre que Jéricho était abandonnée à cette période. Cela n’exclut pas pour autant l’inexistence de conquêtes car d’autres sites montrent des signes de destructions ou bien d’inoccupation, sachant que la plupart n’ont pas encore été fouillés. L’archéologie prouve l’augmentation considérable d’occupation de cet espace sur la période, mais ne peut soutenir ni l’hypothèse d’une vaste conquête, ni celle d’une lente infiltration pacifique. Un consensus opte pour une origine des proto-Israélites plutôt autochtone, avec des apports extérieurs, à la fois proches culturellement des Cananéens mais voulant s’en démarquer, en s’installant sur des terres alentours hautes inoccupées. Il est difficile de les différencier à cette époque des autres ethnies, si ce n’est pas l’aniconisme et la quasi-absence d’ossements de porcs.

L’époque des Juges marque une transition vers la sédentarisation, l’installation des tribus en Canaan et la mise en place de la monarchie. Cette période obscure est difficilement abordable par l’Histoire. On sait toutefois que cette période est marquée par les pressions des peuples voisins, surtout des Peuples de la mer tels les Philistins à l’Ouest, ce qui poussent les Hébreux à entrer davantage dans les terres, mais aussi s’unifier autour d’un chef de guerre, donc mettre en place une monarchie unifiée. La Royauté est en effet une des plus vielle institution de l’Histoire, se mettant en place, à l’image des monarchies mésopotamiennes, par le consentement du peuple en un leader représentant la divinité tutélaire tout en assurant la protection du peuple et sa sécurité par la dynastie. Pour ce projet, il est donc important de fonder un sanctuaire unifiant les tribus autour d’une même divinité, à Silo puis Jérusalem pour les Hébreux. Dans la Bible, cela s’incarne en Saül, David et Salomon.

Partie II - La confrontation à l’histoire : de la souveraineté à l’exil (env. -931 à - 538)

C’est dans la naissance des deux royaumes - Israël au Nord et Juda au Sud - que les Hébreux entrent véritablement dans l’Histoire. Mais le Xe siècle av. n.è., siècle de leurs mises en place, est difficile à appréhender historiquement : d’une part car « il y a très peu de témoignages écrits extrabibliques de cette époque, du fait notamment de l’effacement des grands empire » [3] ; d’autre part car cela dépend de la valeur historique que l’on donne à la Bible. Sur ce dernier point, la plupart des spécialistes reconnaissent que « des éléments contemporains de David ont été incorporés dans une historiographie écrite principalement sous le règne de Josias et surtout pendant l’exil » [4]. Pendant ce siècle, il y a un certain équilibre des forces entre les différents peuples se partageant le territoire - Phéniciens, Philistins, Israélites, Judéens et même Cananéens qui prospèrent malgré la destruction de leurs cités aux XIIe-XIe siècles av. n.è. Cela change à cause du renouveau égyptien et de la montée de l’Assyrie. On peut noter la campagne égyptienne autour de - 926, première véritable concordance entre la Bible et des textes extrabibliques, aboutissant à la destruction de 150 villes dans la région.

Après une période d’instabilité politique, le Royaume d’Israël devient, sous l’impulsion notamment d’Omri, une puissance économique, politique et militaire. On note, même encore au VIIIe av. n.è., la présence d’une monolâtrie, et non d’un monothéisme, du fait des mariages politiques avec les Cananéens, où les épouses perpétuaient les cultes à Baal. au VIIIe av. n.è., l’Assyrie revient sur le devant de la scène en préférant dorénavant étendre son territoire plutôt que de se contenter de faire des expéditions punitives auprès des peuples ne voulant pas se soumettre. Avec leur victoire sur les Araméens, ils deviennent voisins d’Israël, qu’ils envahissent définitivement en – 722 engendrant la déportation de la population.

L’archéologie atteste l’effondrement des populations en Israël et le fait que des populations du Nord se soient réfugiées dans le Royaume de Juda où le territoire et la population doublent en quelques années. Juda se développe mais se soumet à l’Assyrie pour rester indépendant en y espérant des dissensions internes. Au VIIe siècle av. n.è., la Babylonie, province de l’Assyrie, profite de la faiblesse de cette dernière pour la vaincre. C’est l’époque où Josias, en Juda, réaffirme le monothéisme, l’exode, l’importance du Temple. L’archéologie atteste la chute de Juda et la disparition de trois quarts de ses habitants, déportés, suite à la victoire de la Babylonie de Nabuchodonosor II en – 587. Cet empire a besoin de main d’œuvre, sans mettre les ouvriers et notables en esclavage systématique, mais désir les assimiler culturellement et cultuellement. Si l’on rajoute la disparition de l’unité autour du temple, les Judéens risquaient, comme beaucoup d’autres peuples, de perdre leur dieu au profit des divinités babyloniennes. Culturellement, ils adoptent l’araméen, l’écriture carrée, le nom des mois, des récits (Tour de Babel ou le déluge issu de l’Épopée de Gilgamesh). Concernant leur religion, les Juifs de Babylone peuvent rester en communauté, la hiérarchie en est respecté, ils gardent leurs noms, peuvent pratiquer la circoncision et Shabbat.

Partie III – La période perse et la restructuration du judaïsme (-538 à -333)

Cyrus met fin à la domination des Mèdes et devient roi de Perse. Il bénéficie d’un propagande faisant de lui le souverain libérateur des peuples, dont les Hébreux, comme l’atteste le cylindre. L’Empire perse est divisée en satrapie et laisse une large autonomie provinciale sans imposer sa langue ou sa culture. Les peuples sont toutefois soumis économiquement avec le paiement de tributs et l’envoi de garnisons. La Judée appartient à la cinquième satrapie.

La « communauté du Retour » comporterait environ 50 000 personnes, sur un territoire d’une trentaine de km autour. Elle se constitue autour du Temple qui devient le centre religieux, politique et administratif du judaïsme. Un édit perse permet en effet sa reconstruction ainsi que celle des remparts. C’est donc un retour optimiste qui se fait autour d’une restauration de la communauté grâce à certains réformateurs comme Esdras et Néhémie : affirmation d’un monothéisme « pur », renforcement de la taxinomie « pure/impure », redéfinition identitaire autour d’une réorganisation législative, politique et religieuse (calendrier, fêtes, mariage non-mixte…).

Il est à noter que lors de première destruction du Temple, des Juifs s’installent sur l’île d’Éléphantine en Égypte (au Sud d’Assouan) et construisent un temple.

Partie IV – Défi de l’hellénisme, défi à l’hellénisme (-333 à -63)

À l’issue des conquêtes d’Alexandre, le statut des Juifs est reconnu. C’est pour cela qu’il est représenté en héros, y compris dans le Talmud. En revanche, des récits légendaires circulent, et on ne sait même pas s’il a rencontré ou pas les autorités juives.

Jusqu’en 200, il y a une unité politique entre Jérusalem et la diaspora égyptienne car c’est la dynastie lagide/ptolémaïque qui contrôle les deux territoires. Les Juifs peuvent vivre selon leurs lois, mais il existe une allégeance marquée principalement par l’impôt. En 200, la Judée devient séleucide mais Antiochos III laisse au peuple juif ses lois et l’exclusivité du temple.

À Alexandrie, on compte un tiers de Juifs issus selon les sources de captures de guerre ou d’immigration volontaire. Certains sont peut-être mercenaires. Ils ne vivent pas cantonnés dans un seul quartier. Alexandrie est divisée entre une culture et une justice grecques ou égyptiennes. Les Juifs se rattachent à l’ère grecque dominante, autant d’un point de vue culturelle (grécisation de certains noms) que judiciaire (mise en place de la Septante, la Bible en grec pour appliquée la loi juive devant les tribunaux).

Concernant la Judée séleucide, il y a une lutte de pouvoir et d’influence des élites autour du Temple. C’est le parti helléniste, proche du pouvoir séleucide qui l’emporte, avec une volonté de réformer Jérusalem sur le modèle de la polis grecque. Cette situation atteint son paroxysme sous Antiochos IV dès – 175 lorsque Jason s’empare du sacerdoce et introduit la vie grecque à Jérusalem, en mettant notamment en place le gymnase et l’éphébie. Ménélas fait de la surenchère auprès d’Antiochos IV, remplace Jason – 172 et pille le Temple en – 169. Celui-ci est désormais consacré à Zeus et des édits de déjudaïsation sont établis par le pouvoir séleucide, qui augmente aussi la fiscalité. Cela engendre des résistances passives. Puis, la classe moyenne de province se révolte, menée par Mattathias puis son fils Juda dit Maqqabi (d’où Maccabées). Ils s’affranchissent du pouvoir grec, purifie le Temple et instaure la fête de Hanoucca. Cela marque le début du règne de la dynastie des Hasmonéens qui perdure jusqu’en – 63. En effet, suite à des troubles internes, Pompée prend Jérusalem et démantèle cette dynastie. La Judée a un statut entre l’indépendance et la tutelle.

À cette même époque, on note la fondation d’un temple parle grand prêtre Onias, contredisant la centralisation du culte à Jérusalem, à Léontopolis en Égypte, pour des raisons militaires ou mystiques. Les sources sont rares et très incomplètes.
On peut noter aussi l’existence d’un autre temple sur le mont Garizim des Samaritains (secte juive ne reconnaissant que la Pentateuque) dès -332, et détruit par l’hasmonéen Jean Hyrcan lorsqu’il étend son territoire sacré, peut être pour se venger de l’allégeance des Samaritains à Antiochos IV.

Partie V – Le judaïsme dans l’Empire romain : entre guerres et paix (-63 au IIe siècle)

Dans un premier temps, les Juifs perçoivent les Romains comme des unificateurs et libérateurs car ils écartent les menaces séleucide et lagide, alors que Pompée se joue des luttes intestines hasmonéennes.

Au Ier siècle av. n. è., on peut identifier quatre courants du judaïsme en Judée :
 Les Pharisiens. C’est le courant majoritaire, qui concerne la « classe moyenne », prônant le respect de la Loi de Moïse, mais avec un aspect dit « progressiste » car comme tout n’est pas écrit, il faut passer par des interprétations et coutumes, passant par une loi orale étudiée notamment dans des synagogues.
 Les Sadducéens. C’est l’élite aristocratique et sacerdotale, s’appuyant sur la Torah, refusant la tradition orale, d’où par exemple leur négation de l’au-delà.
 Les Esséniens. Il s’agit d’une communauté d’adeptes messiano-eschatologiques, préoccupés par la pureté, la charité fraternelle et le mépris des plaisirs matériels et physiques.
 La Quatrième philosophie. Elle prend naissance en l’an 6, suite à la révolte de Judas le Galiléen contre le culte de l’empereur et le recensement romain qui sont proscrits par la Torah. Deux groupes en sont issus : les Sicaires issus des milieux populaires urbains qui assassinent notamment des aristocrates juifs collaborant avec Rome ; les Zélotes apparaissant plus tardivement, issus de couches plus rurales, et chassant tous ceux qui collaborent à l’idolâtrie.

Cela montre que l’image de Rome se dégrade rapidement chez les Juifs, d’où des écrits anti-romains, la naissance d’une vision eschatologique et le mouvement zélote.
En – 47, Jules César donne le réel pouvoir à Antipater qui n’est pas hasmonéen, et qui devient citoyen romain. Son fils, Hérode, demi-juif, lui succède en -37. Certes, il redonne un prestige à la Judée notamment en faisant agrandir le Temple et en étant bâtisseur tel un évergète hellénistique, mais il alterne sa politique entre négociations et assassinats paranoïaques. C’est avant tout un souverain romain. Il décède en 4 de notre ère et sa demande de partage de son territoire en quatre parts inégales est confirmée par l’empereur Auguste. Très vite, en l’an 6, ce dernier est obligé de destituer Archélaüs qui régnait sur la majeure partie du territoire de la Judée, qui devient sous le commandement direct de l’empereur, qui nomme un gouverneur. Les Romains lèvent de lourds impôts, ont la prérogative de mise à mort, nomment et destituent le grand prêtre. La communauté juive est exemptée d’armée et de culte impérial, et a son autonomie en matières civile, pénale et religieuse. Quant aux Juifs d’Égypte d’Alexandrie, ils sont d’abord déchus aux rangs de vaincus comme les Égyptiens. Ils sont même discriminés par la politique antijuive du préfet Flaccus (expulsion, pillage, meurtres, etc.). S’ils ne sont pas entendus par l’empereur Caligula, ils le seront par Claude qui restitue les droits et privilèges des Juifs dans tout l’Empire.

La guerre des Juifs contre Rome de 66 à 70 est un cycle de nombreuses provocations-réactions-répressions. Cela aboutit à une insurrection, des dissensions internes notamment avec les Zélotes, et le siège de Jérusalem, qui donne victorieuse Rome en 70 qui détruit le Temple après des milliers de morts. Un tiers de la population juive quitte les lieux. La Judée devient une province impériale et des cultes païens pour les soldats sont mis en place. De 70 à 132, les tensions restent. Certes, Trajan se montre judéophile, mais des révoltes éclatent de 115 à 117 partout dans l’empire, entretenues par des éléments zélotes. Si cela engendre des massacres de Romains, ceux-ci punissent les rebellions. Une nouvelle révolte sous Hadrien, pourtant philosémite, se transformant en guerre et en conquête, éclate en 131/132, mené par Bar Kochba. Elle fait suite à des tensions, mais les causes réelles sont floues (transformation de Jérusalem en ville grecque, interdiction de la circoncision…). Les Romains mettent fin à ces troubles en 135 avec des pertes considérables de chaque côté.

Épilogue - Pays ancien, pays nouveau : la restructuration du judaïsme des premier et second siècles de notre ère

Le phénomène migratoire existe déjà avant notre ère. Toutefois, le premier siècle en est particulièrement marqué. Avant 70, il y a des migrations économiques à cause des pressions romaines et zélotes. Dès 70, nombre de Juifs se retrouvent en esclave et les terres sont alors louées chères par les Romains. Chaque soulèvement engendre des migrations notamment dues à l’esclavage, surtout en - 135, vers Rome notamment, mais aussi vers d’autres foyers. Il y a aussi des expulsions de Juifs depuis Rome. C’est une nouvelle classe, celle des Sages, qui domine alors. Vers la fin du IIe siècle, la Mishna, la tradition orale qui commente la Torah, est mise à l’écrit. Elle sera complétée par la Guemara (commentaires de la Mihsna) pour former le Talmud à la fin du IVe siècle. Le centre de gravité du judaïsme passe alors de Jérusalem à Babylone.

© Damien Gillot pour Historiens & Géographes, 09/10/2022. Tous droits réservés.

Notes

[1Professeur et formateur – Dijon

[2P. 39

[3P. 109

[4P. 109