Stéphane Guerre – Louis XIV Compte-rendu de lecture / Histoire moderne

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Par Philippe Prudent. [1]

Après avoir publié un remarquable Nicolas Desmaretz. Le Colbert oublié du Roi-Soleil (Champ Vallon, 2019), Stéphane Guerre paraissait tout indiqué pour écrire une biographie de Louis XIV dans une collection déjà bien connue et appréciée (PUF, 2022).

Plusieurs choses, d’emblée, contribuent à rendre la lecture de cette nouvelle synthèse très agréable : d’une part, l’écriture à la fois claire et dynamique de l’historien et, d’autre part, le plan original qu’il propose à ses lecteurs. Stéphane Guerre offre, en effet, de rééquilibrer le traitement des différents « moments » de la longue vie du Roi-Soleil : sa jeunesse (p. 13-54 : « L’apprentissage du pouvoir, 1638-1661 »), les débuts de son règne personnel (p. 55-94 : « Le printemps louisquatorzien, 1661-1679 »), l’époque de la maturité et des innovations dans la pratique du pouvoir (p. 95-148 : « Le temps des ruptures, 1680-1700 ») et les dernières années du règne, au cours desquelles Louis XIV se heurte à de multiples difficultés (p. 149-193 : « Le roi crépusculaire, 1701-1715 »). Il découpe également ses différents chapitres à l’aide de sous-titres qui constituent des renvois aux grandes références de l’historiographie louisquatorzienne (p. 70 : « Le roi de guerre », qui nous rappelle, bien entendu, le classique du grand Joël Cornette ; p. 83 : « Le roi de gloire », qui fait irrésistiblement penser à la synthèse de Peter Burke) ou aux grands tournants du règne. Si insister sur la césure que constitue le début du règne personnel, en 1661, peut paraître une évidence, souligner celle que constitue, en 1691, la mort de Louvois, est une approche tout à fait novatrice  : en suivant l’historien, qui connaît mieux que beaucoup les rouages de l’appareil d’État louisquatorzien et l’importance de certains de ses acteurs, il nous est donné de mieux comprendre pourquoi cet événement marque une inflexion essentielle dans la pratique du pouvoir du Roi-Soleil. Avec la disparition de Colbert, puis de Louvois, c’est non seulement une génération de grands serviteurs de l’État qui s’en va, c’est aussi un exercice du pouvoir caractérisé par le rôle-clé de quelques ministres, polyvalents, dotés d’une réelle autorité et de vastes clientèles pour les soutenir. À partir de la fin du siècle, le souverain exerce un contrôle encore plus étroit sur la prise de décision et s’appuie désormais sur des serviteurs qui se distinguent avant tout par leur expertise dans un domaine particulier. C’est précisément le moment où s’affirme la figure de Nicolas Desmaretz, neveu de Colbert, qui fut le dernier contrôleur général des finances du règne, de 1708 à 1715.

Fidèle à l’esprit de la collection dans laquelle il prend sa place, l’ouvrage propose une synthèse des acquis les plus récents de la recherche sur le règne de Louis XIV, qu’il s’agisse de travaux sur la politique de prestige du Roi-Soleil (Philip Mansel, Louis XIV, Roi du monde, 2020) ou de biographies de certains acteurs majeurs (Alexandre Dupilet, Le Régent Philippe d’Orléans. L’héritier du Roi-Soleil, 2020). Il donne surtout à l’historien l’occasion de mettre à profit sa connaissance intime des sources administratives et des témoignages des contemporains du souverain (Torcy, lui-même parent du grand Colbert, ou, bien entendu, Saint-Simon). Ces derniers nous permettent ainsi de mieux cerner la personnalité d’un monarque complexe : à cet égard, les pages évoquant la réaction de Louis XIV face aux épreuves et, en particulier, aux multiples deuils qui émaillent les dernières années de sa vie, comptent parmi les plus frappantes (p. 154-160), révélant les failles d’un homme réputé pour sa maîtrise de lui-même et sa capacité à incarner, en toutes circonstances, un rôle qu’il s’est lui-même imposé. Comment mieux dire le succès que constitue cet ouvrage qu’en avouant qu’il donne à son lecteur l’envie de se (re)plonger d’urgence dans la lecture de grands témoins comme la princesse Palatine ou le duc de Saint-Simon ?

Écrire une biographie de Louis XIV, nous permettre de mieux comprendre l’homme, sa conception et sa pratique du pouvoir, était un immense défi : il fallait le talent et la rigueur de Stéphane Guerre pour le relever avec autant de bonheur. On ne peut donc que conseiller chaudement la lecture de cet ouvrage à la fois dense et stimulant.

Site de l’éditeur

© Philippe Prudent pour Historiens & Géographes - Tous droits réservés. 24/02/2022.

Notes

[1Membre du bureau de l’APHG Lyon, Professeur d’histoire en classes préparatoires au lycée Claude Fauriel de St-Etienne.