Stéphane MICHONNEAU, Belchite, ruines fantômes de la guerre d’Espagne Compte-rendu de lecture

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Stéphane MICHONNEAU, Belchite, ruines fantômes de la guerre d’Espagne, Cnrs éditions, Paris, 2020, 432 pages, 26 euros.

Par Claude Ruiz.

Belchite, bourg situé à 40 km au sud est de Saragosse, a été le lieu de combats très violents entre les républicains et les nationalistes. Le village entièrement détruit fut choisi par Franco pour devenir, comme d’autres lieux en Espagne, à l’image de l’Alcazar de Tolède, un symbole de la résistance des nationaux mais aussi un "village martyr". Le travail d’historien s’exprime ici dans toute sa rigueur et sa précision.

Les deux premières parties abordent, l’histoire de la destruction, le cheminement des vainqueurs dans la reprise de possession de la ville et la volonté de reconstruire une nouvelle cité mais aussi la mise en politique de l’évènement. La chute de Belchite est une catastrophe érigée en paradigme fondateur d’une nouvelle société, qui aura du mal à voir le jour au moins pour les habitants relogés, confrontés au nouveau choix de conservation des traces des conflits. Ainsi dés 1920, le Guide Michelin inclut dans ses descriptions celles des champs de bataille. Les ruines de Belchite représentent pour les franquistes la violence des républicains, et le danger marxiste. L’auteur définit, avec minutie, la construction d’une nouvelle Numance, la mise en scène des ruines, mais aussi les difficultés d’intégrer différentes mémoires et de faire agir des acteurs locaux et régionaux dans une gouvernance centralisée.

Mais au delà de ce travail très informé, les deux dernières parties utilisent d’autres angles d’attaque, en sociologie, philosophie, anthropologie avec beaucoup de finesse pour amener le lecteur à une réflexion sur l’espace-temps, sur l’imbrication des formes collectives de la mémoire, de la lutte entre histoire et mémoire. À partir de l’exemple de Belchite, on découvre la complexité des récits que les espagnols se sont donnés à eux mêmes de la guerre civile, de l’après guerre, récits confrontés actuellement à de nouvelles approches dans la société du début du XXIe siècle.
Belchite est un lieu de « mémoires » ou les visions s’entrechoquent, où, je cite "les morts semblent continuer à dialoguer avec les vivants". Un bémol quand on aborde le modèle transnational, en particulier la comparaison et la proximité avec Oradour sur Glane dont le contexte et les modalités (présence des « malgré nous ») soulignent que la mémoire est toujours un construit du ou des vainqueurs.

Stéphane Michonneau nous fait à la fois découvrir un récit historique solide et parfois l’impossible construction des mémoires collectives. Au total, un travail remarquable, dont la parution en castillan avant la version française est une preuve. À lire, impérativement pour tous ceux qui s’intéressent à la représentation du passé, aux rôles des mémoires et au travail de l’historien.

© Claude RUIZ pour Historiens & Géographes - Tous droits réservés. 05/09/2022.