Le Comité de l’APLettres tient, en des circonstances préoccupantes pour notre pays, à rappeler des vérités oubliées, négligées ou escamotées.
C’est à l’école que la République a confié le soin de former l’intelligence des futurs citoyens et de façonner l’unité de la nation. Ce n’est pas l’école qui a failli dans l’exécution de cette mission, ce sont les gouvernements successifs qui, depuis plus de trente ans, l’en ont détournée par la promotion autoritaire d’un pédagogisme inepte et délétère qui voyait comme un progrès démocratique de ne plus transmettre le savoir et de substituer le ludisme à la rigueur.
Ainsi, bien que l’enseignement du français occupe dans l’instruction du citoyen un rôle à proprement parler fondamental, l’horaire qui lui est dévolu n’a cessé de s’effondrer depuis les années 70, tandis qu’au gré des programmes les méthodes absurdes auxquelles on soumettait des contenus appauvris ou aberrants l’ont privé de son efficacité.
Pourtant, parce qu’on ne saurait raisonner sans concepts ni logique, l’enseignement patient et méthodique de la grammaire et du vocabulaire constitue le soubassement irremplaçable de toute formation intellectuelle.
Parce qu’on ne saurait « penser à vide », l’acquisition d’une culture littéraire ordonnée et consistante grâce à la fréquentation précoce et assidue des grands auteurs, grâce à la confrontation de leurs visions est indispensable à la construction d’une pensée libre et éclairée, capable d’appréhender le monde et l’homme, d’une pensée critique à l’égard des dogmes religieux et vigile à l’égard des discours manipulateurs, qu’ils soient politiques ou commerciaux. À cet égard, une formation littéraire digne de ce nom, incluant une conscience des débats qui parcourent l’histoire de l’humanité, est un des plus sûrs remparts contre les tentatives d’endoctrinement en ligne dont sont victimes les individus isolés derrière leurs écrans.
C’est en outre cette même fréquentation des œuvres littéraires et artistiques qui permet aux jeunes gens d’apprivoiser, d’exprimer et de raffiner leur sensibilité et leurs émotions, et de domestiquer la violence par la parole.
C’est enfin en cultivant une familiarité profonde avec notre patrimoine littéraire, ainsi que par la connaissance de l’histoire, de la géographie et du patrimoine artistique français, que la République a pu unifier la nation, dans une perspective universaliste, à l’opposé des définitions identitaires ou ethniques comme des replis communautaires.
L’enseignement du latin et du grec permet la connaissance intime de la langue française comme des autres langues européennes ; il donne les clefs nécessaires à la compréhension et à l’appropriation d’un patrimoine littéraire et artistique délibérément et continûment nourri des Anciens ; il est, en France, notamment depuis la Renaissance, consubstantiel d’une conception, non pas identitaire, mais universaliste de la culture comme de la nation ; il discute, par son essence même, les fausses évidences de la modernité comme les a priori des trois monothéismes.
L’APLettres demande solennellement au gouvernement de prendre, en matière éducative aussi, ses responsabilités : il doit rendre au français un horaire décent ; il doit restituer aux langues anciennes le statut disciplinaire et l’horaire national dont les prive une réforme du collège insensée qu’il faut tout entière abroger ; il doit en promouvoir l’étude véritable et approfondie par un maximum d’élèves, notamment en instituant dès la Sixième une initiation au latin chevillée au cours de français. Le savoir et la raison, tels que l’humanisme, prolongé par la tradition républicaine, les a cultivés, sont les seuls remèdes à la périlleuse errance d’esprits désemparés et vulnérables.
Paris, le lundi 14 décembre 2015
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