Témoignages - Mayotte dévastée par le cyclone Chido Deuil national

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Sidérés par l’ampleur des dégâts et des pertes humaines sur les îles de Mayotte dévastées par le cyclone Chido, inquiets du sort de nos collègues et des élèves de l’archipel, nous appelons nos adhérentes et adhérents à soutenir la population par un don :

 Sur le site de la Fondation de France : https://www.fondationdefrance.org/fr/?view=article&id=4437&catid=510

 Auprès du Secours populaire, sur le fonds d’urgence :https://don.secourspopulaire.fr/urgence/ mon-don

Le bureau national de l’APHG

PS : nous publions ici, avec leur autorisation, les témoignages d’enseignants de Mayotte.

23 décembre

Chères et chers collègues,

Le samedi 14 décembre 2024, le cyclone Chido a dévasté le département de Mayotte. La situation est dramatique, presque tout est à reconstruire. Le système scolaire est gravement touché. Selon le journal Le Monde et d’après les remontées du rectorat de Mayotte, « les 221 écoles, 22 collèges et 11 lycées de l’archipel sont tous impactés. 40% du bâti scolaire est endommagé donc pas utilisable pour l’instant ». De nombreux établissements servent aujourd’hui de refuge à une population qui a tout perdu. Aussi, selon des architectes sur le terrain, les délais pour diagnostiquer et remettre en état les infrastructures seront importants.

Les témoignages de nos collègues exposent une situation terrible pour les vies et le système scolaire de Mayotte. Les habitants réparent, aident, tentent d’envoyer des nouvelles à leurs proches. Au sud, au centre et au nord-ouest, l’île est toujours déconnectée aux réseaux (eau, électricité, téléphonie, internet). Habiter, boire et se nourrir, demeurent, plusieurs jours après le cyclone les principales préoccupations de la population.

Dans ce contexte, les inquiétudes au sujet des élèves sont vives et nombreuses. Elles s’ancrent dans plusieurs temporalités.
Dans l’immédiat : comment vont les élèves ? Où sont-ils ? Ont-ils de l’eau, un toit, de la nourriture ? Comment vont leur famille ?
Pour les semaines et mois à venir : tous nos élèves seront-ils présents à la rentrée, et quand aura-t-elle lieu ? Peuvent-ils reprendre les cours ? L’état des établissements scolaires le permet-il ? Qu’en est-il de l’état psychologique des enseignants et des élèves ? Quel avenir pour les élèves à court terme (brevet, bac, orientation) et à long terme pour le système éducatif à Mayotte ?

Pour mieux appréhender la gravité extrême de la situation, un recueil sommaire de témoignages au nombre limité a été réalisé à l’initiative d’enseignants de Mayotte.

Enseignante au lycée de Petite-Terre (nord-est de l’île), le 22 décembre 2024.

• Tribune de Jolan Remcsak, enseignant au lycée Gustave Eiffel de Kahani (centre de l’île)

Nous nous acheminons vers la pire catastrophe humanitaire de l’histoire contemporaine de la France. Plus les effets d’une crise sont graves, plus ils dévoilent les dysfonctionnements profonds d’un territoire périphérique de le République.

Nous savions.

Tous les jours en regardant les bidonvilles, l’urbanisme erratique ou la condition sociale de ses habitants, nous savions qu’un événement de cette ampleur serait apocalyptique.

Nous savions qu’un cyclone de cette intensité ferait s’écrouler l’édifice de tôle sur lequel Mayotte s’est construit. En 2019, le cyclone tropical Belna venu du nord du canal du Mozambique a contourné de justesse l’île alors que le pire était envisagé.

Nous savions une semaine à l’avance qu’un système dépressionnaire concernerait l’archipel des Comores.

Nous savions depuis le milieu de la semaine dernière que ce météore baptisé Chido avait en ligne mire Mayotte, alors que l’île mauricienne d’Agaléga se faisait balayer par des vents supérieurs à ceux enregistrés à Mayotte. Nous pensions que Chido aurait été rétrogradé en forte tempête tropicale.

Nous savions le jeudi 12 soir que finalement, Chido viendrait dans notre zone avec l’intensité d’un cyclone de catégorie 1 à 2 et se dirigeait vers Anjouan selon les prévisions. Cela entraîna le passage en alerte orange et la fermeture des établissements : nous souhaitions de bonnes vacances à nos élèves - dont nous n’avons toujours pas de nouvelles pour la plupart - et à nos collègues, pour certains encore sur le territoire dans des situations critiques.
Nous savions le vendredi 13 au matin que finalement, Chido visait bel et bien Mayotte, faisant craindre le pire. Je retiendrai toujours cette ambiance lugubre et oppressante des veilles de cyclone que je connaissais de mon temps à la Réunion (1998-2005). La lourdeur du ciel nous faisait craindre qu’il nous tombât sur la tête. Nous parlions entre nous du « carnage » que ce météore provoquerait sur les populations. Nous craignons les morts et les destructions. Je redoutais l’absence de « mémoire cyclonique » sur un territoire où ses événements sont rares et où la moitié de la population a moins de 17 ans.

Nous savions
depuis le vendredi 13 au soir que Chido toucherait Mayotte au stade de catégorie 3 à 4. Nous savions que la terrifiante alerte violette serait déclenchée au matin du samedi 14 : cette alerte vertigineuse où l’autorité s’avoue impuissante face la nature et vous laisserait à votre sort devant l’intensité du phénomène.

Certains ne se rendaient pas compte par bêtise. Certains minimisaient. Certains se plongeaient dans ce déni, comme une défiance face à un catastrophe annoncée par les autorités.

En revanche, nous ne savions pas.

Nous ne savions pas que l’Etat, s’il redoutait la catastrophe depuis des années, qu’elle vînt d’un phénomène météorologique ou d’épidémie comme le covid-19 ou le choléra qui aujourd’hui menace les habitants, n’avait pas prévu les stocks stratégiques sur le territoire comme il le fait à la Réunion.

Nous ne savions pas que la vétusté des infrastructures, cependant éprouvées à nombreuses reprises lors de la crise de l’eau, d’une coupure électrique intempestive, ou de la rupture inopinée d’un câble internet sous-marin, était à un niveau tel que le rétablissement de ces services vitaux serait une véritable gageure.

Nous ne savions pas que les conséquences de Chido seraient une pénurie de cette ampleur et de cette longueur, initiant une crise humanitaire et sanitaire encore plus profonde.
Nous ne savions pas qu’après une semaine un bilan réel fût si difficile à être documenté avec transparence, vertu qui, comme nous l’avions appris est, en temps normal, constitutive de l’essence même de la démocratie.

Nous savons que Mayotte souffre, nous savons que les arbres repousseront, nous voulons que la prospérité revienne, pour tous.
Nous ne pouvons qu’espérer que le château de carte – ces maisons en tôle comme cette croyance en la solidité des fondations économiques et sociales de l’île qui s’est effondrée il y a une semaine – ne se reconstruise pas.

En effet, tout pourrait de nouveau s’écrouler car la tentation, par paresse, de réitérer les égarements inconscients, est bien présente.

Mayotte tiendrait son nom de l’arabe « Maouti » ou « Mawt » signifiant la mort, celle que les navire marchands risquaient de trouver par un malheureux naufrage sur les remparts maritimes de corail du lagon de l’archipel. Est-ce que les migrants comoriens seront cette ressource en main d’œuvre servile et bon marché qui reconstruira l’île, à l’instar des esclaves qui y transitaient à l’époque de la traite orientale ? Est-ce que l’île pourra prospérer sur des richesses endogènes alors que l’implantation de la canne à sucre à la fin du XIXème siècle fut un échec et alors que la départementalisation a provoqué le départ de l’exploitation de l’Ylang par Guerlin ? L’argent public peut-il être la seule source de richesse alors que le territoire souffre de l’importation massive de ses biens de consommation ? Est-ce que l’île peut se reconstruire de la même manière sachant que le cyclone du siècle peut arriver dans dix ans à cause du changement climatique ? Sachant également que Mayotte est désormais en zone de risque sismique en raison de l’émergence à 30 kilomètres à l’est du volcan Fani Maoré issu de la plus grande éruption volcanique des 500 dernières années ? Sachant que le territoire sera exposé à la montée des eaux ?

Desmond Tutu, archevêque anglican d’Afrique du Sud, assez proche géographiquement du territoire et Prix Nobel de la paix en 1984, affirmait la chose suivante : « En temps de crise, l’heure n’est pas seulement à l’inquiétude et aux angoisses. La crise est une occasion, une chance de choisir, en bien ou en mal. » Bien sûr, il est trop tôt pour penser l’avenir alors que nous pansons nos plaies. En revanche, alors que le sommet de l’Etat parle de reconstruction d’île, nous devons savoir quel territoire nous voulons. Si nous devons rebâtir avec la sueur des uns et sur le sang des autres, nous leur devons à tous un édifice solide pour que ce drame ne se répète jamais.

Ainsi, cette île où la mort sonne d’un silence assourdissant sur les collines et sous les tôles, doit redevenir une île où la vie chante le débaa et le mbiwi.

Témoignages

 Témoignage de Charlotte R, enseignante en lycée à Mamoudzou (nord-est de l’île), le 20 décembre 2024.

« Je suis toujours à Mayotte, j’ai vécu le cyclone de samedi dernier ça fait une semaine que je n’ai pas d’eau, ça fait 6 jours que je n’ai pas d’électricité. J’en peux plus littéralement, j’en peux plus, on nous annonce de l’aide je ne vois pas cette aide arriver c’est très compliqué la vie sur place. On a soif, on va crever de soif, on n’a pas d’eau potable, il n’y a plus rien dans les magasins, je suis désolée mais là je craque, j’en peux plus tous les jours ma famille me dit : « aller, on vous envoie la, on vous envoie ci » mais rien n’arrive, ça fait 6 jours, on est jeudi et il n’y a rien qui se fait, on est en France, mer**.
Vous ne pouvez pas imaginer quand vous n’êtes pas sur place : vous voyez des images mais franchement on a l’impression d’être à Haïti et pourtant à Haïti tout le monde était là. Et là j’ai l’impression qu’il n’y a personne, elles sont mortes à cause des dégâts, mortes dans leurs maisons de tôle. Il y en a qui vont finir par mourir de faim et mourir de soif
Et je pense surtout à mes élèves qui n’ont pas mangé depuis presque une semaine parce que les provisions commencent à diminuer de jour en jour je fais ce que je peux pour les aider mais je ne peux pas tout faire non plus.
Je ne peux pas payer en carte en objet de payer en carte on est obligé de payer en espèces mais il faut faire 3/4 d’heure de queue à chaque fois parce que y a pas de distributeurs qui donnent de l’argent ; les rayons sont vides y a plus rien et voilà.
Là je craque je suis au bout du rouleau, là je viens de comprendre depuis seulement aujourd’hui que je ne vais pas pouvoir rentrer pour passer les fêtes de fin d’année avec mes parents je ne sais pas quand je vais rentrer et voilà c’est insoutenable comme situation, insoutenable.
Mes élèves de terminale se préoccupent du bac et de Parcoursup alors qu’ils ont tout perdu ! Les chefs d’établissement aident les personnes à accoucher. Mme X a aidé une femme à accoucher pendant le cyclone »

 Témoignage de Bérénice S, enseignante au lycée en Petite-terre (Nord-est de l’île), le 19 décembre 2024.

« Combien de nos élèves ont gardé un logement intact ? Quid de leurs affaires ? Comment gérer leurs traumatismes ? Beaucoup d’élèves (comme des professeurs) ont tout perdu… il faut que nous soyons formés et préparés à ce qui va nous attendre c’est-à-dire potentiellement à des élèves qui vont manquer parce que blessés voire disparus…

Les établissements sont très très endommagés :
j’ai vu le principal du collège de Pamandzi et c’est une catastrophe, pareil pour Bamana, je crois que notre lycée n’a pas trop pris… mais quid des infiltrations d’eau, de la laine de verre, des substances plus ou moins dangereuses, du réseau électrique… on ne peut pas reprendre dans des conditions qui ne sont pas sûres évidemment et vu l’état des salles déjà avant le cyclone, il faut un diagnostic complet des bâtiments…

Enfin pour notre situation personnelle, je ne peux parler que de moi mais je suis très choquée, le moral va et vient… je n’ai pas d’internet, à peine de quoi envoyer et répondre à quelques messages comme ici, comment préparer des cours dans ces conditions ?Je ne veux pas être alarmiste ou passer pour une tire-au-flanc mais je suis très fatiguée, on dort mal, si rentrée le 13 janvier je serai complètement à bout, on a besoin de se remettre, de se retaper littéralement, a priori aucun vols commerciaux avant le 3 janvier…

Il faut avoir une position claire du recteur : j’ai entendu toute sorte de rumeur : reprise le 13 en mode « dégradé » ; reprise une semaine à deux semaines plus tard : envoi des élèves en métropole… toute sorte de rumeur plus ou moins sérieuse…

Il faut que le recteur soit honnête sur les conditions des bâtiments et les conditions d’enseignement et de vie qui sont très très dégradées et qu’il ne tarde pas à prendre des décisions franches concernant la rentrée… au moins qu’on puisse y voir plus clair nous aussi sur place.

Voici mon témoignage à chaud : je sais que c’est très général, mais je vous les mets ici tant que j’ai de la batterie… et de l’internet…

Source : Photographies du Lycée Younoussa Bamana, prise par un enseignant le 15 décembre 2024.

 Témoignage de Vincent B, enseignant au lycée en Petite-terre (Nord-est de l’île), le 20 décembre 2024.

Je suis professeur au LPO de Petite-Terre en Terminale générale et en enseignement de spécialité. Je suis professeur principal de ma classe, je suis membre du conseil d’administration. À titre pédagogique, j’ai décidé d’appliquer cette année la méthode « Réconciliations » de Jérémie Fontanieu de Drancy avec mes élèves de spécialité : j’avais donc un contact régulier, hebdomadaire avec leurs parents. Par ailleurs au niveau académique, je suis formateur, chargé de mission d’inspection auprès de mon IA-IPR en histoire-géographie.

Je témoigne à ce jour le 20/12/2024.

Concernant le moment présent, la situation de mes élèves est catastrophique : je n’ai aucun moyen de savoir combien de mes élèves sont en situation dramatique. Du peu de contact que j’ai eu : un de mes élèves, voisin, est dans une situation correcte, sa maison a été épargnée, ses parents sont présents. Une autre maman d’élève m’a contacté par sms pour me dire que sa maison a été détruite avec l’intégralité de ses affaires et de celles de sa famille. Pour l’anecdote, elle me disait dans son message : "Je voulais vous faire part de notre situation car nous habitons dans des cases en tôles et on a tout perdu à cause de cet événement. Ma fille R. a perdu toutes ses affaires d’école y compris vos cours et aussi son sujet d’exposé, je ne sais pas comment on va faire." Même dans cette situation de détresse extrême, l’importance de l’école et du travail donné passe au-dessus. C’est dire si le rôle de l’école est important pour les parents les plus démunis... Admirable. Enfin, une dernière maman m’a indiqué avoir tout perdu aussi, mais tout va bien physiquement. Donc sur les 27 élèves je n’ai pour l’instant de nouvelles que de 3.

Je n’ai pas encore eu le temps (ni l’envie à cause de ma situation personnelle) d’aller au lycée mais dès que je pourrai j’irai pour faire un point sur mes élèves et les retours que l’établissement aurait pu avoir.

Pour l’avenir, de grosses questions se posent sur leur capacité, à la fois pratique mais aussi psychologique, à participer aux examens finaux du bac et encore plus à la procédure Parcoursup. Le réseau électrique et internet était déjà limité mais là dans les circonstances actuelles j’ai du mal à imaginer à un retour à l’avant dans les mois à venir. Quid de leurs examens ? De leur positionnement Parcoursup indispensable à leur avenir ? C’est dramatique et je suis encore dans l’impuissance de les aider à résoudre ces questions vitales pour leur avenir...

En ce qui concerne les établissements (2 collèges, 1 lycée) de Petite terre où j’habite. Les 3 établissements ont subi de graves dommages (toitures arrachées, infiltrations, salles détruites...). Le collège de Labattoir semble de l’extérieur le plus atteint. Celui de Pamandzi et le lycée le sont en apparence moins mais je ne peux pas dire plus, car je ne suis pas encore passé dans ces établissements.

La principale difficulté que je vois pour l’avenir est que les établissements étaient tous surchargés (on parle d’un lycée de plus de 2000 élèves et de collèges de plus de 1000 élèves) avant la catastrophe avec des problématiques de disponibilité de salles etc... Comment imaginer un retour à la normale avec 40% de salles en moins quand les capacités des établissements étaient déjà de plus du double d’élèves de leur capacité d’origine ?...

Se surajoute à cela le fait que ces établissements abritent aujourd’hui dans les salles des familles entièrement sinistrées... Comment sortir de cette situation ? Je ne sais pas...

3 - Situation personnelle (présent et à venir)

Aujourd’hui, ma situation personnelle est dramatique. Je fais partie des "anciens" de Mayotte, cela fait 12 ans que j’y enseigne, j’ai construit ma vie ici avec ma femme et mes enfants, j’y suis propriétaire... Et ma maison a été ravagée par le cyclone, mon toit s’est arraché et toute ma maison a été entièrement inondée... J’ai donc perdu un grand nombre d’affaires. J’ai heureusement réussi à trouver refuge chez ma voisine qui est partie en métropole, nous avons donc un toit sur la tête, de la nourriture, de l’eau mais chaque jour je vois ma maison ravagée et cela m’anéantit... Je pleure régulièrement et particulièrement quand je parle de ma maison et de ma vie d’avant... je ne sais pas comment je pourrai revenir devant mes élèves dans ces conditions...

Heureusement il y a les amis et les voisins avec une extraordinaire entraide, une solidarité exemplaire... Cela fait vraiment chaud au cœur. Mais il est dur de constater qu’il n’y a personne pour nous aider : nous n’avons vu personne dans nos quartiers ni protection civile ni gendarme ni mairie ni rien...les routes se sont dégagées parce que nous l’avons fait, les maisons se protègent et se calfeutrent au prix d’efforts et de risques importants, surtout en cette saison des pluies où la chaleur et l’humidité sont fortes... Personne n’est venu nous aider, c’est désolant et je ressens de plus en plus de colère et de rage face à cela : ce sentiment d’abandon est peut-être le pire pour ma part...
J’ai appris que le rectorat a mis en place une ligne d’urgence, je n’ai pas pu les joindre encore mais dès que je pourrai je le ferai pour signaler ma situation.

Le recrutement me paraît fortement compromis pour l’année prochaine (et les années à venir) et donc les conséquences ne sont pas encore mesurables mais ce sera dramatique pour les élèves car ils n’auront pas les professeurs en face d’eux dans les années futures... Il faut absolument un choc d’attractivité sans précèdent et immédiat, sinon c’est la fin de la promesse républicaine de l’école à Mayotte.

Le cyclone Chido a pour moi enterré le système scolaire mahorais qui était déjà balbutiant... J’espère du fond de mon cœur que des solutions pérennes et justes seront trouvées pour sauver l’éducation nationale mahoraise car les élèves ici sont d’une gentillesse, d’une sympathie et d’une envie de s’en sortir qui n’existent pas ailleurs... Et je ne parle même pas des parents qui ont un immense respect et reconnaissance pour l’institution.

Quoiqu’il en soit je ferai tout ce que je peux, y compris s’il le faut avec mes moyens personnels en dehors du temps alloué par mon edt, pour que mes élèves réussissent leur bac cette année, même si ça veut dire pour moi rester avec ma famille ici, dans des conditions difficiles, sans eau potable, sans électricité, sans connexion Internet, avec des tarifs aériens prohibitifs ( un aller-retour pour ma famille vers la métropole avec 3 enfants dont 1 bébé coûte en moyenne 5000euros en période de vacances scolaires... même avec 40% d’indexation c’est un budget énorme...) et renoncer au mal nommé "rapatriement" qui semble être proposé et annoncé...

Ra Hachiri »

 Témoignage de Mélissande P, enseignante au lycée Gustave Eiffel de Kahani (centre de l’île), le 22 décembre 2024.

« Aujourd’hui, j’enseigne l’histoire géographie à Mayotte je ne suis pas sur le territoire mais j’ai tenté d’évaluer la situation à distance. Je suis responsable de 4 classes de 33 à 35 élèves. J’ai tenté de joindre les familles mais la grande majorité n’est pas joignable. J’ai eu des proches éloignés (tantes, frères, grands-parents) qui n’ont aucune nouvelle de leur proche et qui sont très inquiets.
En ce qui concerne les élèves que j’ai pu joindre, un grand nombre fait preuve d’une grande résilience. Beaucoup me disent qu’ils vont bien même s’ils n’ont plus de maison, ils ont perdu toutes leurs affaires. Un élève m’a même dit : “désolé madame, le vent a pris tous mes cahiers de cours”. Les élèves de terminale s’inquiètent pour les examens de fin d’année, je n’ai aucune réponse à leur apporter.
Lorsque j’ai les parents, ils sont beaucoup plus inquiets. Ils me parlent davantage d’un choc et même d’un traumatisme qui touche leurs enfants.
En ce qui concerne le lycée, des bruits courent d’une destruction partielle des bâtiments, mais rien de sûr, il est compliqué d’avoir des informations fiables. Mon mari qui travaille au lycée voisin de Sada a perdu 70% de son lycée, le CDI est détruit comme les ressources qu’il contenait. On ne sait pas comment va évoluer la situation.
Nous n’avons pas la capacité d’accueillir des élèves pour le moment. Mes collègues qui sont sur place sont à bout. Un grand nombre n’a pas pu partir en métropole pour se reposer. Ils ont tout perdu et ne peuvent pas reprendre le travail dans ce contexte. Le traumatisme touche aussi bien les élèves que les professeurs, une rentrée semble compliquée le 13 janvier.
Je suis actuellement en métropole à la suite d’un drame familial. Mon mari est resté sur place. Je sais que j’ai une chance inouïe car je n’ai rien perdu. Mon mari, ma maison, mes chiens, mes chats, j’ai tout conservé. Mon conjoint est également membre de l’Éducation nationale, mon logement a récupéré l’eau et l’électricité. Il invite nos proches et nos voisins à boire un café, à prendre une douche, à faire une lessive. Des actions du quotidien qui ne sont plus évidentes aujourd’hui.
Demain je vais pouvoir rentrer à Mayotte, chez moi. Mais je ne sais pas quoi mettre dans ma valise pour aider sur place. Je ne sais pas ce que je vais pouvoir faire pour soutenir mes élèves. »

 Témoignage de Eglantine-Lise Bonnefond, enseignante u collège de Dzoumogné, le 24 décembre 2024.

J’habite dans le nord ouest de Mayotte, dans la commune de Mtsangamouji. Je vie avec mon mari et mes deux enfants dans une maison en dur sur les hauteurs du village avec une vue dégagée sur le lagon.
Nous avons pris le cyclone de plein fouet : la seule baie vitrée que nous n’avons pas pu barricader a été brisée par la puissance des vents (originaie de la Réunion, j’ai toujours vu ma mère protéger les fenêtres avec du contre-plaqué avant un cyclone). Nous nous sommes réfugiés dans la salle de bain lorsque la baie a explosé. Le souffle a arraché la porte d’entrée en fer à l’autre bout de la maison. Tout ce qui était entre la cuisine et l’entrée a été réorganisé et redécoré par Chido : du verre partout, les livres des enfants ressemblaient à des chiffons mouillés, le réfrigérateur et d’autres meubles ont été projeté au sol. Réfugiés dans la salle de bain, nous entendions le vacarme du vent dans la maison et chez les voisins du dessus. Au passage du mur de l’œil du cyclone, les variations de pressions font mal aux oreilles : mes enfants ont pleuré, mon mari et moi les avons encouragé autant que faire se peut. Mais durant cette première partie du cyclone j’ai eu très peur au point de me sentir défaillir : si je n’étais pas assise par terre, j’aurais fait un malaise assurément. Je n’ai rien montré de mes émotions pour protéger les enfants et ne pas rajouter du drame au drame.
Lorsque l’œil est passé, mon mari et moi sommes sortis de notre refuge : l’intérieur de la maison ressemblait à un dépotoir. Nous avons tenté de sécuriser la porte d’entrée pour que le retour des vents violents dans le sens opposé ne la fracasse contre autre chose. Dans le voisinage, en contrebas, des gens étaient sortis des maisons. Nous leur avons crié que c’était l’œil du cyclone et que ce n’était pas fini. L’œil a duré environ 35 minutes.
Nous sommes retournés dans la salle de bain avec les enfants et l’autre partie du cyclone est passée, dans l’autre sens. Le mur de l’œil à chaque passage a duré environ 1h30. Et heureusement que ce n’était pas plus long car rien n’aurait tenu.
Lorsque le cyclone s’est évacué en début d’après-midi, nous n’avons pu que constater les dégâts ; tout était ravagé. Les cases en tôle soufflées, les toitures des maisons en dur arrachées et chiffonnées comme du papier, la végétation ratiboisée, les fils électriques par terre, les rues encombrées de branches et de tôles.
À partir de là a commencé l’après : sécuriser l’intérieur de ma maison et bricoler la porte d’entrée pour la fermer de l’intérieur pour la nuit a été fait samedi. Dimanche, nous avons déblayé la maison, sauvé ce qui pouvait l’être et jeté tout le reste. Le travail était difficile sans eau, il y avait de la boue dans toute la maison, même dans les chambres, épargnées par le vent. Les cases en tôles ont recommencé à être erigées un peu partout.
Le lundi mon mari s’est rendu à Mamoudzou où il a pu prendre de la monnaie à un distributeur automatique et faire quelques provisions de vivres essentielles.
Depuis, nous apprenons à vive différemment, sans eau, sans électricité, sans réseaux : on s’adapte.
La solidarité est très forte : collègues hébergeant ceux qui ont tout perdu, distribution par des particuliers de nourriture et de vêtements dans les centres d’hébergement d’urgence, partage de connexion Starlink... mais les besoins énormes de ceux qui ont tout perdu poussent au pillage et au vol : le pare-brise arrière de ma voiture a été brisé durant le cyclone et des voleurs ont pris ce qui les intéressaient à l’intérieur et ont même volé la batterie. Entre la peur d’une intrusion chez nous, la chaleur et les moustiques, je dors très mal.
Le maître mot actuellement est la patience : pour avoir des informations, avoir de l’eau au robinet (assez rapide à Mtsangamouji), avoir du réseau afin de rassurer les proches ou de faire des démarches, pour faire des courses et, le pire, pour avoir du carburant.
Jusqu’à aujourd’hui, je n’ai pas eu connaissance d’une distribution d’eau ou de nourriture dans ma commune (peut-être parce que je fais partie des privilégiés cette information n’arrive pas jusqu’à moi).
Les conditions actuelles sont difficiles et risquent de l’être durant de longues semaines encore. Les questions sont nombreuses notamment en ce qui concerne la reprise des cours en janvier : comment allons nous reprendre ? Est-ce qu’il y a encore du matériel au collège ? Qui sera là ? j’ai peur de faire l’appel et que l’on me dise qu’un tel de mes élèves est mort durant le cyclone. Je travaille au collège de Dzoumogné dont 80 % des 1400 élèves sont issus de l’immigration clandestine et vivaient dans des bidonvilles.
Nombreux étaient ceux, parmi la population, qui ne croyaient pas qu’un cyclone pouvait faire autant de ravages : à Mayotte, il n’y a pas cette culture du risque cyclonique qui pousse à élaguer, consolider ou sécuriser avant un cyclone. Les tôles ont fait un carnage.
Et Mayotte est une terre de fortes inégalités : tant de migrants qui sont dans l’illégalité, dans la vie et maintenant dans la mort.

16 décembre

Jolan Remcsak
Professeur d’histoire et de géographie au lycée polyvalent Gustave Eiffel de Kahani

"J’ai eu la chance de rentrer en métropole, par le dernier avion avant l’alerte rouge, la fermeture de l’aéroport et sa destruction partielle. J’ai la triste impression de me sentir comme un rat qui a quitté le navire bien que mon départ fût prévu à l’avance. J’ai laissé ma compagne seule à Mayotte, à Chiconi qui n’aurait seulement subi que des dégâts matériels. Je n’ai eu des nouvelles que indirectes d’elle ce matin après 48 heures après son dernier message. Je n’ai toujours pas eu de contact direct.

En ce qui concerne mon établissement, le lycée de Kahani, je n’ai eu des contacts qu’avec des collègues qui sont partis ou qui sont aujourd’hui bloqués sur Petite Terre (où se trouve l’aéroport) ou d’autres dans la zone de Mamoudzou. Certains ont une petite connexion grâce à une station Starlink et un groupe électrogène. Dans notre groupe whatsapp informel qui existe dans mon lycée depuis les épisodes de violences, les collègues voulaient un document pour savoir si leurs collègues allaient bien. J’ai créé un document partagé en libre accès sur Google Sheet. Hier le proviseur a pu enfin me contacter et a récupéré le document pour le compléter. Le travail de recensement des collègues de mon lycée continue. Certains ont perdu leur maison et nous sommes toujours en attente des nouvelles de certains.

Les établissements ont été réquisitionnés au fur et à mesure à partir de vendredi pour accueillir les personnes vulnérables. Je sais que mon lycée a accueilli 320 personnes. Une collègue d’histoire-géographie de mon lycée est mariée à au proviseur adjoint du lycée de la commune voisine à Sada, qui a accueilli environ 140 personnes. Voilà ce qui intrigue : les chiffres ne correspondent pas à la réalité démographique des personnes à mettre à l’abri. A côté de notre lycée dans le village de Kahani se trouve un quartier de banga nommé Coprani. J’ai réussi via le réseau Discord a trouvé des images de la zone. Ce quartier est rayé de la carte. Cela veut dire que de nombreuses personnes ont disparu. Parmi les collègues hors de Mayotte, nous nous posons la question vertigineuse de la présence de tous nos élèves à la rentrée prévue le 13 janvier. Je vous rappelle que Mayotte dispose de quatre semaines de vacances (une de moins que la Réunion à la même période), avec une semaine de plus avant et une de plus après celles de métropole. Nous avons donc quatre semaines devant nous qui seront terribles.

En effet, la priorité n’est pas de savoir si nous pourrions reprendre les cours à la vue des dégâts matériels et humains. Les dégâts sur les bâtiments scolaires sont, je suppose, importants et variables selon les établissements. Les lycées du centre ouest ont tenu. J’ai vu quelques dégâts sur des collèges de la zone. Cependant une partie du bâtiment principal du lycée Bamana de Mamoudzou, le plus vieux de Mayotte, est détruit. Vous avez certainement dû voir les images des bidonvilles de la commune entièrement rasés. Le lycée du Nord est touché. Selon les dernières informations, les vols commerciaux ne reprendraient que d’ici une dizaine de jours. Ceci est une estimation. Est-ce que les collègues traumatisés resteraient sur place ? Est-ce que les collègues en métropole rentreraient à temps pour une reprise hypothétique des cours ? Rien n’est moins sûr (d’après les informations que j’ai eues après avoir réussi à contacter mon IA-IPR resté sur place)."

Farah D.
LPO de Petite Terre
LPO Younoussa Bamana

"Les vacances scolaires débutaient à Mayotte, j’avais réservé un avion au mois d’août pour continuer la préparation de l’agrégation dans les bibliothèques de Paris. J’étais dans le vol de 17h vendredi. L’atmosphère générale était plutôt calme, personne ne semblait effrayé à la hauteur du désastre à venir.

Je suis arrivée à Paris à 7h dévastée en regardant l’application windy.

Je sais que Jolan est également ici.

Je n’ai pas de nouvelle de XXX que je connais, il habite à Kani Kéli dans le sud de l’île.

Le sud et le centre semble avoir des dégâts matériels surtout. Les habitats y sont plus solides. La population plus favorisée. Mais nous avons seulement quelques retours par sms mais pas d’images.

En revanche le nord-est semble dévasté, j’y travaillais, avec énormément de mes élèves qui habitent dans les quartiers informels. Il n’y a plus rien, et les habitants semblent avoir disparu."

© Les services de la Rédaction d’Historiens & Géographes, 23/12/2024. Tous droits réservés.