Nous, professeurs de l’enseignement secondaire,
Avons pris connaissance de ce qu’il faut bien appeler une falsification des notes des épreuves de spécialités du baccalauréat. Ces notes ont été modifiées, toutes à la hausse, à l’insu des correcteurs. Si cela ne touche pas toutes les copies, cela concerne bien de nombreux enseignements et toutes les académies.
C’est là une marque de mépris, difficilement acceptable pour des correcteurs qui passent de longues heures à s’interroger, individuellement et collectivement, sur la juste note qu’il convient d’attribuer à un candidat.
Cela constitue en outre une atteinte à la souveraineté des jurys : seuls les membres du jury, en l’occurrence les enseignants, sont à même d’apprécier le mérite du candidat, comme la loi le stipule [1] et comme la jurisprudence l’a constamment réaffirmé. Nous nous interrogeons donc sur la légalité d’une telle intervention et sur la possibilité d’un éventuel recours juridique.
En effet, nous contestons qu’il s’agisse là d’une procédure d’« harmonisation ». Celle-ci a pour fonction « d’assurer un traitement équitable de tous les candidats » [2]. Rappelons qu’elle ne doit intervenir que s’il existe des écarts significatifs entre les tableaux de notes de chaque correcteur. Si c’est le cas, et après délibération, les correcteurs peuvent être invités à réévaluer certaines copies, s’ils le jugent nécessaire.
Rien de tel dans ce cas. Non seulement l’ampleur de la « modification » et la méthode employée ne sont pas les mêmes, mais le but recherché ici est tout autre. « L’harmonisation » des épreuves de spécialités de juin 2022 a systématiquement été réalisée en augmentant les notes. Pourquoi cela, sinon pour éviter un taux d’échec trop important au baccalauréat, un trop grand nombre de redoublements ou de passages au rattrapage, un déficit de mentions ? Pourquoi sinon pour masquer certains échecs dont nous devrions au contraire rechercher les véritables causes ? Si vraiment les notes aux épreuves de spécialités sont trop basses, ou s’il existe des disparités trop importantes entre les spécialités, peut-on se satisfaire, face à ce problème, d’un simple clic ? Lorsque nous sommes confrontés à des résultats qui déçoivent ou interrogent nos attentes, en modifie-t-on la mesure ? Il est heureux que cette méthode ne soit pas utilisée dans la recherche scientifique.
En réalité, Il ne s’agit pas d’une procédure d’harmonisation, mais d’un redressement statistique. Et le but de ce redressement statistique est essentiellement d’ordre administratif et gestionnaire, et non pédagogique, même s’il cherche à se prévaloir de la légitimité pédagogique des enseignants. En conséquence, nous le refusons. Nous réclamons le rétablissement des notes initiales, seules légitimes.
Mais notre inquiétude est plus profonde, car nous sommes obligés de constater que cet épisode des épreuves de spécialité est parfaitement conforme à une série de décisions qui, depuis deux années au moins, ont toutes consisté à reconstruire des résultats scolaires en dessaisissant les professeurs de l’évaluation des élèves.
Ce mouvement nous semble inquiétant, injuste et contre-productif. Inquiétant parce qu’il remet gravement en cause la légitimité et le professionnalisme des enseignants. Injuste parce que chaque élève a le droit d’être évalué sur la seule base de considérations pédagogiques ou académiques. Contre-productif enfin, car la promesse essentielle des réformes était de fournir aux établissements d’enseignement supérieur des résultats fiables sur le niveau des élèves. La multiplication des redressements statistiques va précisément à l’encontre de cet objectif.
Nous croyons que l’intérêt de l’élève est d’être évalué avec justice et avec justesse. Nous croyons qu’en matière d’évaluation, être bienveillant, c’est être juste.
© Les services de la Rédaction d’Historiens & Géographes - Tous droits réservés. 07/07/2022.