Alerte sur le Capes d’Histoire-Géographie [1]
L’APHG, directement interpellée dans le texte suivant, suit (et continuera à suivre) de très près le dossier des concours de recrutement des enseignant(e)s avec sa Commission universitaire et rend régulièrement compte de ses travaux et de ses rencontres avec le Ministère et l’Inspection générale.
Chères et chers géographes,
Il est important que la communauté des géographes exerçant en France (que tous les autres nous excusent de ce message qui ne les concerne pas a priori) soit informée et alertée dès cet été des menaces qui pèsent sur le concours du Capes d’histoire-géographie tel qu’il existe actuellement.
Ce concours est aujourd’hui totalement bivalent, l’histoire et la géographie y sont représentées à parts égales, à l’écrit comme à l’oral, comme cela devrait normalement l’être dans les classes. L’instauration de la bivalence depuis 2012 est très positive pour la géographie : concrètement, l’égalité entre les deux disciplines (trois questions en histoire, trois questions en géographie) pousse des étudiants majoritairement historiens à mieux se former en géographie et nous savons que cela se répercute ensuite dans la transmission de la géographie dans le secondaire, de la 6ème à la Terminale.
Par ailleurs, le Capes d’histoire-géographie est aujourd’hui l’un des seuls en France dont le contenu scientifique n’est pas strictement calqué sur le contenu des programmes du secondaire. Nous ne pouvons que nous en réjouir car cela permet un approfondissement réel et sérieux de plusieurs questions et la formation des futurs enseignants à la démarche géographique par l’articulation des méthodes et outils de la géographie régionale et de la géographie thématique.
Or, la pression constante d’associations d’historiens pour un retour à quatre questions d’histoire, adossées au découpage en quatre périodes historiques pratiqué au sein de l’Université française, remet en question la bivalence du concours et celle de la formation en Master Métier de l’Enseignement de l’Education et de la Formation.
Tout en comprenant les inquiétudes de nos collègues historiens, notamment les enjeux en termes de postes à l’Université, nous sommes très inquiets de voir que la géographie risque, à nouveau, de passer au second plan dans la formation des futurs enseignants du secondaire qui devront pourtant, une fois en poste, enseigner à temps égal l’histoire et la géographie.
Le renouvellement à venir de la moitié du jury de l’épreuve qui porte sur ces questions scientifiques et le limogeage surprise mi-juillet par l’actuel Président du concours de la personne pourtant choisie depuis plusieurs mois – et présentée comme telle à Châlons-en-Champagne début juillet lors de la session d’oral – pour remplacer l’actuelle Vice-Présidente de géographie en fin de mandat, ne font qu’accroître les inquiétudes pour l’avenir proche.
Le retour à quatre questions d’histoire, soit à sept ou huit questions scientifiques si une quatrième question de géographie était ajoutée (pour respecter la bivalence), remettrait (une fois de plus !) en question la formation en Master 1 MEEF et le lourd travail des préparateurs. Etant donné l’importance des travaux des étudiants en Master MEEF, rajouter une ou deux questions alourdirait encore (très déraisonnablement) une année déjà extrêmement chargée… Mais compte tenu des réelles menaces qui pèsent sur le contenu scientifique du concours, cela risque surtout de faire purement et simplement disparaître à très court terme toutes les questions scientifiques en histoire et en géographie, au profit d’un alignement sur les programmes du secondaire (où, soit dit en passant, l’histoire ancienne, médiévale et moderne ont une place très limitée). Vu la lourdeur des programmes du secondaire en histoire et en géographie et la lourdeur déjà évoquée de la formation didactique et pédagogique en Master 1 MEEF, les futurs enseignants seraient inévitablement sélectionnés sur des connaissances scientifiques très superficielles au Capes.
Nous appelons la communauté des géographes et des enseignants d’histoire-géographie, ses institutions – CNU, CNFG, AGF, APHG, etc. – à rester vigilants aux évolutions en cours et à défendre l’actuelle formation bivalente des futurs enseignants d’histoire-géographie, la stricte égalité entre les deux disciplines lors des épreuves du concours et le maintien de l’équilibre entre représentants des deux disciplines au sein du jury du concours.
© Premiers signataires :
Marie Chabrol, MCF Université de Picardie-Jules-Verne
Camille Hochedez, MCF Université de Poitiers
Yann Calbérac, MCF Université de Reims Champagne-Ardenne
Marc Galochet, PR Université de Valenciennes
Rodrigo Cattaneo, Professeur en CPGE, Lycée du Parc, Lyon
Claire Hancock, PR Université Paris-Est-Créteil
Marianne Blidon, MCF Université Paris 1 - Panthéon Sorbonne
Béatrice Collignon, PR Université Bordeaux Montaigne
Olivier Milhaud, MCF Université Paris-Sorbonne
Renaud Le Goix, PR Université Paris-Diderot
Myriam Houssay-Holzschuch, PR Université Joseph Fournier, Grenoble
Jean Gardin, MCF Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Mise au point de Monsieur Vincent Duclert, président du CAPES-CAFEP externe d’histoire-géographie, à la suite de la lettre signée de douze universitaires géographes, 30 août 2016, et publiée notamment dans nos colonnes ci-dessus.
Je n’ai pas été destinataire de cette lettre collective signée de douze collègues géographes [2], relative au concours dont je préside le jury depuis trois ans. Peut-être la première chose à faire aurait été de me contacter pour s’éclairer sur la réalité des motifs de l’inquiétude exprimée ici. Je remercie donc l’APHG de me donner l’occasion de présenter cette mise au point qui a vocation à rassurer les signataires. Je me fais un devoir d’être à l’écoute de toutes les sensibilités, dans le respect du mandat de président du concours du CAPES-CAFEP externe d’histoire-géographie que m’a confié la ministre de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Je tiens à souligner cependant que « l’alerte » que lance cette lettre ne repose sur aucun fait tangible ou intentions, les miennes étant contraires à celles qu’on m’impute.
Voici les précisions que je souhaite apporter, dans un esprit de raison et de confraternité propre à apaiser les polémiques vaines. Si je suis seul signataire de cette mise au point, celle-ci a été validée par les trois vice-présidents du concours.
Sur son ancrage scientifique et l’importance des questions de programme, j’ai réinstallé à mon arrivée au CAPES en 2014, en accord avec les vice-présidents du concours et avec mes collègues présidentes et présidents des agrégations, des questions communes, et celles-ci restituent la vocation de la recherche universitaire comme la capacité des savoirs scientifiques à accompagner les démarches pédagogiques les plus innovantes (je renvoie aux différents rapports du concours établis sous ma responsabilité).
Sur le maintien de la bivalence inscrite dans la répartition égale des six questions au programme (trois en géographie et trois en histoire), j’ai précisément fait savoir aux associations d’historiens, lors d’une réunion à leur demande en date du 17 octobre 2015, qu’il était inenvisageable d’aller vers un retour à quatre questions d’histoire tant que je serai président du jury (le compte-rendu est public). Je tiens à cet égard à saluer les qualités d’écoute des représentants de ces associations.
La mention d’un « limogeage surprise mi-juillet » de la personne destinée à prendre les fonctions de vice-présidente en géographie n’est pas acceptable non plus, dans la mesure où cette collègue n’avait pas été réglementairement nommée et que la session 2017 n’avait même pas commencé. En tant que président et chargé à ce titre de la nomination des vice-président (e) s, j’ai choisi finalement un enseignant chercheur de grande qualité, aux travaux scientifiques reconnus, très impliqué par ailleurs dans la formation des candidats aux épreuves de géographie du concours. Cette information a été donnée dans le rapport du CAPES publié dès le 8 août, que j’invite à consulter car il s’agit d’un outil de travail essentiel et très complet sur le concours (sur le site « Devenir enseignant » et le Portail national Histoire-Géographie). [3]
Enfin, si le jury de géographie est renouvelé à moitié, c’est en raison de la règle des quatre années maximales comme membre du jury, que je souhaite faire appliquer au CAPES. En histoire comme en géographie, je m’applique de la même manière à choisir, de concert avec les vice-présidents et en conformité avec les directives ministérielles, des membres qui appartiennent à tous les statuts concernés par le recrutement, y compris des professeurs certifiés, mais aussi nombre d’universitaires lorsque ceux-ci l’acceptent ce qui n’est pas toujours le cas. Moi-même, enseignant-chercheur (HDR) à l’EHESS, j’accorde une grande importance à la représentation du corps universitaire dans le concours.
Je souhaite que ces éclairages appuyés sur des sources auxquelles chacun peut avoir accès puissent convaincre de l’absence des menaces sur la géographie au concours relevées par les douze collègues signataires et inviter ces derniers à privilégier l’information. Je redis que je suis disponible à recevoir les représentants de la géographie dès lors qu’ils m’en font la demande.
© Vincent Duclert, Président du Concours du CAPES-CAFEP externe d’Histoire-Géographie, Inspecteur général de l’Education nationale, groupe Histoire-Géographie.
Lettre des Géographes signataires en réponse à la mise au point de Vincent Duclert (ci-dessus).
Cher collègue,
Nous souhaitons répondre à votre texte [4], en commençant par rappeler que notre alerte n’était pas une lettre ouverte qui vous aurait été destinée personnellement mais un appel à la vigilance des géographes via une liste professionnelle (Géotamtam). Signée à 12, tous actuels ou anciens membres de jurys de concours – dont 5 anciens membres très récents de votre jury – cette alerte, qui n’était pas une pétition contrairement à ce que sa présentation sur le site de l’APHG peut laisser croire, a reçu de nombreux soutiens et demandes spontanées de signatures (près de cinquante en quelques jours de fin d’été), qui témoignent d’une inquiétude partagée mais aussi de la prise de position d’un collectif dans un débat devenu public. Nous transmettons cette lettre à l’APHG pour informer plus largement les historiens et les géographes de notre position et de ce qui nous inquiète.
Nous défendons la bivalence totale du Capes d’histoire-géographie, car c’est le seul moyen de former et de sélectionner au mieux les futurs enseignants d’histoire et de géographie.
Nous rappelons que si la réussite du concours du Capes couronne la formation universitaire des candidats, ceux-ci cessent dès leur première nomination dans le secondaire d’être "historiens" ou "géographes" pour devenir des enseignants d’histoire et de géographie.
Ils sont donc appelés à s’approprier et à transmettre ces deux disciplines à parts égales, mais aussi de manière croisée. Or nous savons que, malheureusement, les enseignants les moins formés à la géographie la transmettent moins à leurs élèves que les autres. Nous pensons par ailleurs qu’il n’est plus possible de lier l’organisation des concours et leur année de préparation à des découpages (les quatre questions correspondant aux quatre grandes périodes) qui n’ont plus cours à l’école. Le format actuel, équilibré, est le meilleur compromis pour maintenir des exigences scientifiques fortes, tout en préparant les candidats à leur futur métier.
C’est pourquoi nous nous inquiétons des pressions constantes pour un retour à 4 questions en histoire (donc 4 questions d’histoire et 3 de géographie, ou 4 questions d’histoire et 4 de géographie). Nous rappelons qu’elles mèneront inéluctablement à un alignement du programme du concours sur celui du secondaire, comme cela se pratique dans toutes les autres disciplines. Nous maintenons qu’au vu de la lourdeur des programmes du secondaire en histoire et en géographie et de l’importance dans la formation comme dans l’emploi du temps de la didactique et de la pédagogie en Master 1 MEEF, les futurs enseignants seraient inévitablement sélectionnés sur des connaissances scientifiques très superficielles au Capes, tant en histoire qu’en géographie.
Or, votre réponse sur la bivalence est loin de nous rassurer en ce qu’elle indique qu’un retour à 4 questions en histoire n’est pas tout à fait inenvisageable et dépend, au fond, d’un rapport de force. En effet, vous nous renvoyez dans votre lettre à vos propos du 17 octobre 2015, lors de votre rencontre avec des associations d’historiens. Or, le compte-rendu de cette rencontre précise : "Pour la session 2017, il y aura toujours trois questions d’histoire. Le principe ne peut être remis en cause pour l’instant car les géographes tiennent absolument à l’égalité du nombre de questions entre les deux matières, au nom de la bivalence, et un retour aux quatre questions ne pourrait se faire qu’en concertation avec eux et seulement après 2017 (...) V. Duclert note qu’il n’y aura pas de nouvelles transformations du concours dans un proche avenir, au moins d’ici la fin de son mandat" [5] Nous rappelons qu’avant les géographes, c’est le Ministère qui tient à cette égalité du nombre de questions et à leur limite à trois par discipline. Et nous préférerions qu’elle ne semblât pas dépendre de la personnalité du Président du jury, comme des formulations telles que « pour l’instant » et « au moins d’ici la fin de mon mandat » le laissent entendre. Ne serait-il pas possible d’avoir un engagement ferme et résolu sur les sessions ultérieures, plutôt qu’une position qui peut tout à fait être lue comme un encouragement à faire pression pour que soit nommé un Président enclin à revenir sur la bivalence ?
En outre, les échos d’un futur Capes "à option", soit histoire, soit géographie, échos à nouveau entendus au cœur de l’été 2016, ont de quoi inquiéter sur la marche vers une fin de la bivalence. Puisque près de 90% des candidats à ce concours sont issus de licences d’histoire et n’ont pour certains jamais fait de géographie en licence, autant dire que l’option géographie n’existera pas.
Nous ne contestons pas le choix du nouveau VP [6] de géographie, dont nous connaissons toutes les qualités scientifiques et humaines et auquel nous apportons notre soutien plein et entier. En revanche, nous nous étonnons de la manière de procéder : en quelques jours en plein milieu de l’été, alors qu’une collègue pressentie depuis plusieurs mois avait participé à plusieurs rencontres et avait été présentée publiquement lors de la session d’oral 2016 comme future VP de géographie. Tout en étant convaincus des qualités de chercheur comme d’enseignant du nouveau VP, nous nous étonnons malgré tout qu’il ne soit pas un enseignant-chercheur, mais un jeune PRAG [7] récemment recruté. Cette possibilité avait par le passé été écartée en référence aux textes officiels. Ce n’est pas le statut de ce dernier que nous remettons en cause, mais, dans le contexte actuel, nous nous inquiétons particulièrement du possible rapport dissymétrique à l’égard d’un jeune PRAG sans expérience du jury du Capes ou d’aucun autre concours d’enseignement, si ce n’est comme candidat.
En ce qui concerne la composition des jurys, nous connaissons bien sûr la règle des quatre ans à laquelle vous nous renvoyez. Mais chacun sait que tous les membres du jury ne font pas ces quatre années, pour des raisons autant professionnelles que personnelles (maternité, impératifs de recherche, prises de nouvelles fonctions et responsabilités). La cinquième année des membres qui le souhaitent et le peuvent est possible par dérogation du Président et permet de ne pas renouveler plus de 30% des membres du jury, afin d’assurer la continuité et l’efficacité des jurys et donc aussi une meilleure égalité de traitement des candidat.e.s. Vous avez toujours accordé ces dérogations les années précédentes, pour l’ensemble de votre jury.
Nous nous inquiétons donc de voir que cette année, tout particulièrement pour le jury de géographie, vous avez décidé un renouvellement de plus de 50% des membres, ce qui ne manquera pas de casser une dynamique particulièrement efficace et appréciée.
Enfin, nous nous inquiétons du rapport de force constant que vous instaurez entre histoire et géographie au sein de votre jury, rapport de force qui a pris une très forte dimension genrée à l’égard de la VP géographie sortante, ce que nous dénonçons fermement.
Nous profitons de cette réponse pour exprimer notre perplexité face à un directoire totalement masculin en 2017 (1 président, 3 VP, 3 secrétaires hommes), alors même que le respect de la parité est l’un des engagements du Ministère. L’absence de femmes dans ce directoire est d’autant plus étonnante que l’enseignement se féminise massivement et que le vivier des candidat.e.s au Capes d’histoire géographie est autant masculin que féminin.
Nous ne sommes ainsi nullement convaincu.e.s de l’absence de menaces sur la géographie au concours. Nous continuons donc plus que jamais à appeler la communauté des géographes et des enseignants d’histoire-géographie, et les institutions – CNU, CNFG, AGF, APHG, etc. – à rester vigilant.e.s aux évolutions en cours et à défendre pour cette année et pour les suivantes l’actuelle formation bivalente des futurs enseignants d’histoire-géographie, la stricte égalité entre les deux disciplines lors des épreuves du concours et le maintien de l’équilibre entre représentants des deux disciplines au sein du jury du concours.
Marie Chabrol, MCF Université de Picardie-Jules-Verne
Camille Hochedez, MCF Université de Poitiers
Yann Calbérac, MCF Université de Reims Champagne-Ardenne
Marc Galochet, PR Université de Valenciennes
Rodrigo Cattaneo, Professeur en CPGE, Lycée du Parc, Lyon
Claire Hancock, PR Université Paris-Est-Créteil
Marianne Blidon, MCF Université Paris 1 - Panthéon Sorbonne
Béatrice Collignon, PR Université Bordeaux Montaigne
Olivier Milhaud, MCF Université Paris-Sorbonne
Renaud Le Goix, PR Université Paris-Diderot
Myriam Houssay-Holzschuch, PR Université Joseph Fournier, Grenoble
Jean Gardin, MCF Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
© Les services de la Rédaction de la revue Historiens & Géographes et de l’APHG. Le 08/09/2016. Tous droits réservés.