Comme le rappelle Constance Rivière, directrice générale du Palais de la Porte Dorée, l’identité de la France, pour reprendre l’expression braudélienne, repose sur :
" l’histoire de celles et de ceux qui y sont venus, des tourments qui ont accompagné ces arrivées, des réussites et des difficultés qui y ont succédé "
Par ses ancêtres, par ses voisins, par tout ce qu’ont apporté les immigré.e.s à la France, c’est une histoire nationale qu’il s’agit de montrer.
Ici, chaque mot qui se cache derrière le nom officiel de la structure compte : il s’agit bien de faire un « musée », un lieu où sont montrés œuvres et objets pour mieux comprendre l’« immigration », ce mouvement qui peut s’arrêter ou non au territoire français et qui fut celui d’individus « qui ont à un moment été étrangers et participent désormais de la communauté nationale », comme le dit Sébastien Gökalp, directeur du Musée et commissaire général de l’exposition permanente.
Un mot encore, dans ce nom officiel : l’« histoire » dont la connaissance sur le temps long, depuis 1685, aide à dépassionner un sujet que les récupérations politiques multiples ont pu rendre parfois sensible. La nouvelle installation a été entièrement repensée en s’appuyant sur le rapport de préfiguration qu’avait rendu un comité scientifique présidé par Patrick Boucheron [1]. Elle repose sur un commissariat scientifique dans lequel l’histoire est particulièrement représentée puisque Marianne Amar, Emmanuel Blanchard et Delphine Diaz ont œuvré aux côtés de la géographe Camille Schmoll. Elle présente enfin une approche chronologique, autour de 11 dates clés (plutôt que la logique thématique qui valait jusqu’alors).
Il ne faut pas, en visitant le Musée en 2023, espérer retrouver l’ancienne exposition permanente légèrement modifiée. Près de trois ans de travaux, plus du double de surface d’exposition (1800 m² au lieu de 800), un renouvellement sensible des « objets » exposés, la présence d’œuvres d’art contemporain, un studio de musique, tout a changé ou presque.
Et c’est, autant l’annoncer dès maintenant, une très grande réussite. Le Musée entendait être accessible aux jeunes et aux scolaires et il l’est, sans aucun doute. Le parcours est clair, chacune des dates clés étant problématisée avec intelligence et divisée en trois à cinq thématiques ; les items exposés, souvent explicites, sont pour certains éclairés par des commentaires adaptés aux enfants et adolescents ; la circulation d’un espace à un autre est agréable. Accessible, c’est aussi un musée ambitieux, qui multiplie les angles d’appréhension de son sujet et n’en tait aucune zone d’ombre.
Les « objets » exposés sont variés et permettent là encore de plaire à des publics multiples. On y trouve évidemment des archives de la pratique, tel le récépissé de la demande de carte d’identité de José Teijero, des peintures, comme l’émouvante Jeune Polonaise saisie par le froid de Téofil Kwiatkowski, ou des photographies montrant les immigré.e.s (comme celle d’une famille napolitaine à Paris) ou les réactions hostiles à ces individus venus d’ailleurs, telle cette grève des étudiants en médecine contre « l’invasion métèque ».
De nombreuses vidéos, les 84 titres proposés dans la playlist du studio de musique, les œuvres d’art contemporain, offrent autant de regards variés sur un phénomène incarné. La visite se fait en effet en suivant le parcours de 21 immigré.e.s.
On pourra par exemple s’arrêter sur la biographie de l’afrancesado Alexandre Aguado, exilé nommé maire d’Evry après sa naturalisation, de l’étudiant guinéen Fodé Kaba ou de José Baptista de Matos, Portugais arrivé en 1963, ouvrier travaillant pour le RER A et le métro, comme en témoignent une pierre trophée et un casque de chantier.
Incarnée de la sorte, l’histoire de l’immigration ne cesse de vivre et de porter ses drames, ce que rappellent les vitrines consacrées à l’Aquarius, mais aussi ses trajectoires surprenantes comme celle de l’athlète Mudasir Sano qui a fui l’Ethiopie, et d’apporter un peu d’humanité à une société en souffrance comme c’est le cas de Diati, Diego, Marouane et Nadia, quatre professionnels des hôpitaux de Paris qui ont œuvré au plus fort de la crise du Covid.
Parce qu’il s’appuie sur une chronologie qui couvre une grande partie des programmes d’histoire de l’élémentaire et du secondaire, parce qu’il permet d’enrichir considérablement l’étude de l’immigration en Enseignement moral et civique et de disposer d’un profitable recul sur les questions géographiques actuelles, mais surtout parce que cette exposition permanente est excellement conçue, le Musée National de l’Histoire de l’Immigration s’impose parmi les visites indispensables pour les scolaires et d’une grande richesse pour tous.