Le projet est vaste et globalement bien maîtrisé et bien documenté jusqu’au troisième quart du XXe siècle. Inspiré par des analyses de type marxiste élargies par une bonne connaissance des aspects scientifiques et techniques de la questions, il apporte un fil directeur cohérent et une foule de détails significatifs sur la production et l’utilisation par les sociétés humaines de l’énergie nécessaire aux besoins des individus, sur les contradictions inhérentes à cet usage, les seuils, les pénuries, les crises et les évolutions qui en découlent.
Un premier chapitre analyse les rapports de base entre sociétés et énergie et définit les concepts essentiels : convertisseurs (êtres vivants, machines, vent), système énergétique, qui articule les sources d’énergie, les convertisseurs et les structures sociales d’appropriation et de gestion de ces sources. Puis les auteurs discutent les performances des filières énergétiques primitives (feu, premiers outils) et les progrès du Néolithique. Les premiers grands systèmes énergétiques apparaissent au IVe millénaire avant notre ère en Asie et en Egypte avec les cultures irriguées, les premières machines hydrauliques, les transports fluviaux et maritimes, les chariots, dans le cadre de grandes organisations sociales spatialement étendues, incluant de nombreux esclaves. Un modèle qui s’étend dans l’Antiquité classique à tout le bassin méditerranéen, mais qui prend en Chine des aspects assez différents par l’intensification des cultures à fort rendement et le faible rôle de l’esclavage.
Puis viennent les chapitres attendus mais toujours stimulants sur l’Occident médiéval et les progrès des XII-XVe s., la révolution de l’énergie articulée au développement de l’industrie et du capitalisme en Europe à partir du XVIIIe s., qui aboutit à la constitution de grands réseaux d’énergie d’échelle continentale et mondiale et à l’exploitation des sources d’énergie fossiles du monde entier au profit des grandes compagnies européennes et américaines. Les auteurs voient dans la baisse tendancielle des prix du pétrole et donc des profits liés, la cause profonde du choc pétrolier de 1973, au-delà des péripéties géopolitiques.
Un chapitre très riche est consacré à la genèse et aux contraintes de l’énergie électronucléaire, dans un contexte de renforcement du rôle des Etats, liés étroitement aux sphères militaires, scientifiques et aux grands groupes capitalistes. Le cas spécifique de la France est analysé dans un chapitre très bien documenté.
On ne peut que regretter la minceur des deux chapitres terminaux qui donnent quelques indications sur l’évolution des énergies dans le monde après 1986 et notamment sur les énergies nouvelles. Cela enlève de la force au plaidoyer final pour un socialisme énergétique nouveau. Reste que cet ouvrage est très riche, très stimulant et doit être recommandé aussi bien aux historiens qu’aux géographes.
Gérard Hugonie
© Les services de la Rédaction d’Historiens & Géographes, 17/03/2016. Tous droits réservés.