Une histoire des garçons et des filles. Amour, genre et sexualité dans la France d’après-guerre Compte-rendu de la rédaction (Société)

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Régis Revenin, Une histoire des garçons et des filles. Amour, genre et sexualité dans la France d’après-guerre, Editions Vendémiaire, 2015, 348 p.

Explorant les dossiers de procédure correctionnelle des archives judiciaires (1943/1971) ainsi que les fonds du Centre d’Observation Publique de l’Education Surveillée (COPES) entre 1945 et 1970, Régis Revenin nous livre une vision inédite des pratiques hétérosexuelles et homosexuelles d’une « jeunesse qui va mal », de la France de l’après-guerre au « moment 68 », dont l’auteur s’empresse de contester le bien-fondé, au moins en ce qui concerne précisément cette « libération sexuelle » souvent évoquée, mais rarement interrogée. L’occasion de démonter, à partir des nombreux questionnaires d’adolescents et adolescentes pris en charge par les services de l’Education surveillée que les années qui précèdent Mai 68 sont des années de « desserrement » de la sexualité, et ce malgré un appareil juridique fortement répressif (l’amendement Mirguet du 25 novembre 1960 considère l’homosexualité comme un « fléau social, sans oublier l’affaire Gabrielle Russier qui aboutira à son suicide le 1er septembre 1969).

Ce qui frappe d’entrée est l’hétérogénéité des discours et des formes de pratiques, indépendamment des milieux sociaux d’origine. L’explication tenant sans doute à la difficulté pour l’institution scolaire, dont la mission est moins d’éduquer que d’instruire, de se saisir à bras-le-corps de l’éducation sexuelle des enfants et des adolescents : le Comité d’études présidé par Louis François dès 1947 renverra finalement sur ce point les familles à leurs responsabilités, malgré un contexte de mixité scolaire dont l’auteur affirme qu’il contribuera à privilégier l’hétérosexualité comme une norme socialement admise. Et de décrire par le menu les comportements adolescent(e)s des années 50/60 ainsi que les stéréotypes largement relayés par une presse spécialisée alors émergente : « Mademoiselle âge tendre » qui dès la fin des années cinquante mets en valeur des modèles et attitudes corporelles typiquement féminins, tandis que « Salut les Copains » (SLC, 1959 sur Europe Numéro 1) développe un idéal masculin viril et sportif, autour de codes vestimentaires spécifiques. Joliment qualifié « d’aquarelle de l’amour », le flirt constitue alors une propédeutique à des relations plus suivies, autour de lieux appropriés tels les cinémas, les surboums et autres cafés, lieux de convivialité et de drague qui participent de la socialisation adolescente. Les pages consacrées à l’homosexualité juvénile sont sans doute les plus novatrices. Et l’auteur de rappeler que la France des années soixante est encore imprégnée de théories médicales et discours moralisateurs hérités du XIXe siècle. Un mouvement homosexuel est cependant en marche, même s’il demeure largement invisible, l’homosexualité étant un véritable « impensé » des Trente glorieuses. Rares sont en effet les « coming out » dans un Paris considéré alors comme l’une des capitales de l’homosexualité : bistrots, pissotières et bars constituant les lieux de drague et de rencontre d’un « entre soi gay » où les premières relations sont généralement dépourvues d’investissement affectif. Quant aux pratiques hétérosexuelles, elles se caractérisent également par des pratiques et comportements spécifiques : banalisation de la fellation dans les années soixante-dix, sexualité anale considérée comme transgressive, brutalité des premiers rapports, peur des maladies vénériennes, sous-estimation des viols collectifs (moins de 10% de plaintes que l’institution judiciaire peine d’ailleurs à traiter), pratiques contraceptives largement empiriques malgré les premières dispositions législatives (légalisation de la contraception en 1967, loi Neuwirth de 1975).

Pour les jeunes gens, la sexualité participe au processus de construction de la masculinité, les filles ainsi que les homosexuels constituant alors de véritables « contre-modèles » pour des adolescents dont le champ des possibles sexuels demeure, dans la France des Trente glorieuses, assez limité. La sexualité étant encore à l’époque, sinon un interdit légal, au moins un interdit moral.

© Olivier Chovaux pour les services de la Rédaction d’Historiens & Géographes, 27/09/2016. Tous droits réservés.