Une honte pour l’humanité. Journal (mars 1916-septembre 1917) Compte rendu de lecture / Grande Guerre

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Par Yohann Chanoir. [1]

CHARBONNIER, Henri, Une honte pour l’humanité. Journal (mars 1916-septembre 1917), Moyenmoutier, Edhisto, 2013, 133 p., 15 €. Présentation par Rémy Cazals.

Pour étudier l’expérience combattante, les sources testimoniales sont de première importance. Mais devant leur nombre, encore accru par la folie éditoriale du centenaire, en raison du caractère récurrent de certaines thématiques, il est délicat pour un enseignant de bien choisir un ouvrage qui apportera une réelle plus-value au cours.

L’intérêt du Journal d’Henri Charbonnier, paru chez un éditeur vosgien en 2013, est double. Il offre d’abord le point de vue d’un petit entrepreneur. Instruit, Henri Charbonnier emploie un vocabulaire précis. Il n’hésite pas à placer des citations ou des locutions latines dans son Journal. Il possède aussi un style imagé. Sa plume fait des ravages, notamment quand il qualifie un médecin général adepte des cheveux courts de « despote capillaire ». Bien qu’affecté au service de santé, Henri Charbonnier partage les idées des combattants du front. Le lecteur retrouvera donc la dénonciation du bourrage de crâne, la détestation des officiers supérieurs aussi incompétents qu’insensibles à la souffrance des soldats, le besoin impérieux de nouvelles, si typique des soldats de la Grande Guerre etc. L’originalité de cette source se montre ainsi davantage dans le rôle de témoin qu’est Henri Charbonnier.

Affecté en Champagne, il est témoin des mutineries de mai 1917. S’il saisit la force de l’événement, il sait surtout le replacer dans le temps court de ces offensives meurtrières et inutiles et dans le temps long de l’histoire militaire française. Hanté par la peur de l’oliganthropie, Henri Charbonnier souhaite que « l’appauvrissement du sang français commencé depuis Napoléon » (p. 23) trouve rapidement un terme, conscient que les sociétés, comme les hommes, sont mortelles. En raison de son statut social, il n’aspire ni à une révolution qualifiée de « pire des solutions » (p. 103), ni à un changement brutal des institutions. Se dessine peu à peu dans ce Journal le portait d’un conservateur qui n’ignore pas la vertu des évolutions mais qui se méfie des mutations. Sa vision de la grève des midinettes (p. 100-101) est à cet égard particulièrement révélatrice.

Même incomplet (le Journal se limite à la période comprise entre mars 1916 et septembre 1917), cet ouvrage offre un réel intérêt. Il comporte de nombreuses relations qui enrichiront nos cours. L’entrée du 26 avril 1917 (p. 88-90) présente par exemple une évocation complète de l’expérience combattante et de l’état d’esprit des Poilus. Rémy Cazals, spécialiste des sources testimoniales, fidèle ami de notre association, a rédigé l’introduction et l’appareil critique de l’ouvrage. Les notes ne sont pas omniprésentes. Toujours mesurées, claires et pertinentes, elles ne gâchent pas la lecture de ce beau document.

© Yohann Chanoir pour Historiens & Géographes - Tous droits réservés. 10/08/2017.

Notes

[1Agrégé d’Histoire, Professeur d’Histoire-Géographie en section européenne allemand au Lycée Jean-Jaurès de Reims, Secrétaire de la Rédaction de la revue Historiens & Géographes.