Dans un de ses précédents ouvrages, il rappelait le renversement quasi culturel qui a fait passer d’un type de société profondément rurale où le loup n’était perçu que de manière négative à une société occidentale (principalement) où l’animal devient un objet de protection. Les progrès du loup dans le sud-est montagneux de la France, progrès suivis mais non nécessairement accompagnés ont conduit le spécialiste à monter un symposium en 2013 à Saint-Martin-Vésubie. Là se sont réunies plusieurs centaines de personnes, aussi bien des chercheurs que des fonctionnaires des administrations en charge du problème et, mieux encore aux côtés (ou en face) d’associations de protection de l’environnement (et donc du loup), des éleveurs dont les brebis sont victimes des attaques des loups. C’est que le loup place chacun devant ses responsabilités et que l’on passe ainsi d’une recherche « scientifique » à une recherche appliquée dans un contexte rien moins qu’apaisé. Ajoutons qu’en allant près de la frontière italienne, c’était aussi l’occasion d’éclairer la situation française par des exemples pris en Italie.
L’ouvrage, du fait de sa nature, est évidemment impossible à résumer : 45 contributions ! Jean-Marc Moriceau cadre l’ouvrage en introduction. Il souligne « l’ampleur du décalage qui existe entre l’image du loup – volontiers positive et chargée de symboles – et sa réalité dans le présent comme dans le passé. Il pose bien la problématique actuelle : le retour du loup « avec un statut diamétralement opposé à celui qui avait été le sien dans toute l’histoire » et, dès les premières lignes, le fait que « la seule une minorité paie les conséquences des décisions politiques prises à l’égard du grand carnivore alors que l’immense majorité peut toujours édicter des règles et poser ses exigences sans en subir les effets ». On ne saurait mieux rappeler que dans les conflits environnementaux, ceux qui subissent sur le terrain parce qu’ils y vivent ne sont pas ceux qui y passent, saisonnièrement souvent et qui défendent l’environnement d’une manière parfois irénique et souvent abstraite. Ce qui vaut pour le loup qui doit tuer pour se nourrir vaut pour bien d’autres aspects de la "protection" de la planète.
5 parties, d’inégale importance mais d’égal intérêt, chacune contribuant à rappeler les objectifs du symposium. D’abord la perspective historique, un héritage conflictuel à travers les âges pour montrer que le loup a bien rarement été considéré comme un animal inoffensif et que l’objectif des sociétés rurales fut d’abord d’en écarter la menace par tous les moyens (ce qu’avait remarquablement illustré Moriceau dans son livre de 2011, l’homme contre le loup, une guerre de 2 000 ans), ensuite l’analyse d’un tabou, les attaques sur l’homme avec tout ce que cela suppose de réalités (les petits pâtres…) mais aussi les femmes, en sorte que l’attaque du loup pouvait parfois cacher autre chose, le viol puis le meurtre dans une société « immobile » et silencieuse. On en vient ainsi à la représentation, à l’image du loup dans l’histoire, du loup-garou aux contes de Perrault ; là encore dans le milieu rural. Les deux dernières parties sont plus contemporaines, l’une traite du loup dans l’espace avec des cartes saisissantes qui montrent la lente mais inexorable progression du loup, un espace qui est aussi juridique et qui, partant, marque les limites de la protection du loup… On comprend dès lors que la dernière partie donne plus largement la parole aux acteurs de terrain, aux éleveurs, indemnisés certes quand les attaques sont prouvées mais quel éleveur peut se satisfaire d’être indemnisé ? La perte n’est pas que matérielle et toute la question posée par J.M. Moriceau dans son introduction : reconnaître l’impossible mariage du loup et de l’élevage ne signifie pas pour autant militer pour l’éradication de Canis lupus. Il s’agissait de tenter de substituer le dialogue aux procès réciproques : il faudra du temps mais l’apport de cet ouvrage est un jalon de grande qualité avec une couverture parlante qui juxtapose une représentation "naïve" de loups attaquant des moutons et une photographie d’une harde en liberté… surveillée ?
Voir en ligne sur le site de l’éditeur
© Alain Miossec pour Historiens & Géographes - Tous droits réservés. 8 août 2016.