Voyage lointain Par Vincent Bonneval

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L’homme n’a cessé de se déplacer tout au long de l’Histoire. Or la notion de voyage suppose tout d’abord un préalable : pourquoi partir ? Cette « invitation au voyage » semble en effet consubstantielle à notre civilisation occidentale, et peut-être même à notre espèce : le voyage lointain fut d’abord les migrations des hommes tout au long de la Préhistoire à la recherche de meilleures ressources pour vivre. Se déplacer était donc nécessaire à la survie du groupe.

Après la révolution néolithique et la sédentarisation, le déplacement fut motivé par l’attrait de l’inconnu : savoir ce qu’il y a « derrière » l’horizon…et en revenir pour raconter. Qui mieux qu’Homère peut illustrer ce désir de l’inconnu ? Certes, les voyages d’Ulysse ne sont probablement que des légendes mais elles expliquent et cartographient le monde grec du VIIIe siècle avant notre ère. On touche là à un deuxième fondement du voyage, qui est à la base de la science géographique : le voyageur devient narrateur et surtout transmetteur d’information sur les régions traversées, qui sont ensuite collectées pour décrire le monde connu : c’est la méthode de Strabon, un des pères de la Géographie qui n’a probablement jamais quitté l’Italie, mais qui interrogeait le marin et l’ambassadeur pour rassembler leurs connaissances sur les mondes de l’empire romain et de ses voisins.

Les grands voyageurs arabes au Moyen Age reprirent ces traditions et écrivirent des « relations de voyages » décrivant les régions traversées, en particulier les us et coutumes de leurs habitants, qu’ils soient au sein du monde musulman ou en Inde, en Chine, ou en Europe. Ces descriptions retinrent l’attention de la cour des califes et des lettrés tout en nourrissant l’imaginaire de certains Occidentaux…une fois la traduction effectuée en Espagne ou en Sicile, soit quelques siècles après. Ainsi, les voyages du plus célèbre des explorateurs européens du XIIIe siècle, Marco Polo, trouvèrent une part de leurs sources dans ces récits plus ou moins fabuleux transmis par les Arabes. On passe alors à un troisième fondement du voyage : raconter l’inconnu pour surprendre celui qui est resté. Cette soif du voyage connut son apogée à la fin du XVe siècle avec les Grandes découvertes lorsque l’on dut expliquer et explorer un nouveau continent.

De cette évolution naît au XVIIIe siècle le « dernier type » de voyage : le tourisme. D’abord limité à la noblesse et aux régions de la Riviera française et italienne, cette mode s’est ensuite étendue à toutes les sociétés occidentales au cours des XIXe et XXe siècles grâce aux progrès des droits sociaux et à l’augmentation des revenus. Il est de plus inséparable du progrès technique lié à la « révolution des transports » depuis les années 1970. Nous sommes aujourd’hui dans l’ère du tourisme de masse, à tel point qu’il est parfois plus simple et moins coûteux de visiter un autre pays que le sien propre. Avec le tourisme, nous sommes au cœur du processus de mondialisation mais aussi au cœur d’un autre processus : l’acculturation.

Rizières du Yunnan, voyage de l’APHG Île de France en Chine, juillet 2009 (Photo Vincent Bonneval).

En effet, le voyage lointain est d’abord la rencontre avec « l’autre ». Cette question de l’altérité s’est posée lors des Grandes découvertes (comme en témoigne par exemple la Controverse de Valladolid) et elle continue particulièrement aujourd’hui quand nous nous immergeons au sein d’une autre civilisation, qu’elle soit chinoise, japonaise, inca, aztèque, indienne, égyptienne…La confrontation à l’autre passe d’abord, pour nous touristes, par l’art et la culture, puis par la rencontre avec l’habitant. Cette vision est néanmoins celle de notre métier de professeur, d’historien et de géographe : nous voulons confronter nos connaissances théoriques à la réalité pour pouvoir ensuite les transmettre avec plus de simplicité. Le voyage est donc d’abord une redécouverte de ce que l’on peut avoir appris. En cela il est une expérience à chaque fois renouvelée, permettant de prendre conscience des phénomènes que nous expliquons à nos élèves et d’en montrer les conséquences sur le long terme.

Le voyage agit donc comme une actualisation de nos connaissances, nous permettant d’être plus impliqués dans notre métier et dans notre rôle de citoyen du monde.

Vincent Bonneval [1]

Historiens & Géographes, n°412, novembre 2010, Tous droits réservés

Illustration : « La forêt de pierre », Naigu Shilin, Yunnan, Voyage de l’APHG Île de France en Chine, juillet 2009 (Photo Vincent Bonneval).

Notes

[1Professeur au Lycée Albert Einstein de Sainte-Geneviève-des-Bois (Essonne), Membre du Bureau de la Régionale d’Île de France de l’APHG