Mais avant cette très lointaine date y a-t-il eu un instant zéro ? Voilà une question à laquelle des scientifiques tentent de trouver un ou des éléments de réponse et qui nous conduit indubitablement sur les terres de la philosophie. Depuis Hegel, la chouette est devenue l’oiseau symbole de la philosophie et cet animal nocturne, associé à Athéna, est aussi éponyme d’une collection des éditions Gallimard Jeunesse qui compte depuis 2007 une trentaine d’ouvrages. Destinés à initier un jeune public à la philosophie, ils associent un texte, écrit présentement par Etienne Klein, et des illustrations réalisées par Guillaume Dégé.
Est-il nécessaire de présenter Etienne Klein, connu notamment des auditeurs de France Culture ? Physicien de renom, spécialiste de la physique des particules et de la physique quantique, directeur de recherches au Commissariat à l’Energie Atomique, il a participé à la conception du grand collisionneur de particules LHC, a enseigné à l’Ecole Centrale… Ce savant est aussi docteur en philosophie des sciences et un vulgarisateur, passionné et passionnant, de premier plan.
Le texte (42 pages) se structure en 6 axes de réflexion : ce qu’on dit de l’origine de l’univers ; un poisson qui se mord la queue ; la profondeur vertigineuse du temps ; l’idée d’univers ; l’univers a une histoire ; de quoi le big bang est-il le nom ? Nous ne pouvons que louer le remarquable travail de synthèse et d’adaptation du contenu réalisé par Etienne Klein qui s’adresse, dans cette collection, à un lectorat jeune peu au fait des grandes théories de la physique contemporaine et il le conduit avec bienveillance dans les chemins de la pensée philosophique. Une chouette ponctue de ses bulles les pages pour apporter des précisions lexicales ou biographiques. A l’heure du numérique et des liens hypertextuels, le jeune lecteur appréciera sans nul doute les « liens » insérés dans le texte (soulignés et écrits en bleu comme sur internet) et qui renvoient (en tournant de vraies pages) jusqu’à l’index. Cette forme de présentation originale et illustrée est une belle réussite pour capter le lecteur. Mais revenons au fond du problème ou plus exactement au début !
Pour les historiens cette question de l’instant zéro, du début de l’univers (donc de notre très lointaine histoire, nous qui sommes comme l’a écrit Hubert Reeves des poussières d’étoiles), ainsi que la réflexion qui en découle ne sont pas dénuées de pertinence et d’interrogations : ainsi Tertuliano Máximo Alfonso, professeur d’histoire et héros du roman L’autre moi (2002) de José Saramago, se posait la question de savoir s’il fallait enseigner l’histoire en commençant par le début ; en 2012, Francis Fukuyama, après avoir écrit La fin de l’Histoire, publiait Le début de l’Histoire... Certes Roberto Rossellini a tourné Allemagne année zéro (1948), plus récemment David Peace publiait Tokyo année zéro (2010) et cette expression d’année zéro est parfois utilisée pour caractériser des périodes de reconstruction, mais force est de constater que stricto sensu l’année zéro n’existe pas ! Dans notre calendrier chrétien nous commençons (certes arbitrairement et non sans erreur) en l’an 1 ou Anno Domini. L’ère et par la même l’histoire de la République romaine commençaient Ab Urbe Condita (le 21 avril de l’an 753 av. J.-C. selon Tite-Live). De même le calendrier révolutionnaire commence en l’an 1 de la République ! Bref point d’instant zéro, et avant cet an 1 il y avait bien « autre chose » : les rois Etrusques ont régné sur Rome avant que ne s’établisse la République, l’histoire de l’Humanité n’a pas « attendu » la naissance de Jésus, l’Ancien Régime était en place avant que la Convention établisse un nouveau calendrier… Il y avait donc un avant et pas de néant.
Pour un astronome, regarder aujourd’hui un astre dans le ciel, c’est le voir tel qu’il était et non tel qu’il est : la vitesse de la lumière n’étant pas instantanée, nous voyons par exemple le soleil tel qu’il était il y a 8 minutes, ce qui correspond au temps que met un photon pour nous parvenir. Plus on regarde loin et plus on remonte dans le temps. C’est ainsi que le satellite Planck a permis d’obtenir une image de l’univers (carte de température du rayonnement de fond cosmologique) qui nous ramène à 380 000 ans après le big bang ! Mais quid avant ces 380 000 ans ? Et au-delà ?
C’est sur cette dernière interrogation que se conclut l’ouvrage. L’histoire de l’univers débuterait-elle d’un fiat lux ou, comme l’écrit Etienne Klein, d’« une extraction hors du néant » ? Ou bien alors « l’univers n’a pas eu d’origine, et dans ce cas, il y a toujours eu quelque chose »…
Jean-Christophe Sanchez
© Les services de la Rédaction d’Historiens & Géographes, 17/03/2016. Tous droits réservés.