Le sourire d’Auschwitz. L’histoire de Lisette Moru, résistante bretonne

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Notre collègue Franck Schwab, ancien président de la régionale APHG Lorraine, propose cette recension de la bande dessinée consacré à Lisette Moru, jeune résistante bretonne, déportée à Auschwitz-Birkenau dans le convoi dit des 31 000, le 24 janvier 1943.

Déjà autrice du webdocumentaire "Si je reviens un jour ... les lettres retrouvées de Louise Pikovsky", d’un livre enquête consacré à grand-oncle (Mon oncle de l’ombre, enquête sur un maquisard breton), Stéphanie Trouillard, journaliste à France 24, continue d’explorer l’histoire de la Résistance en Bretagne. Son enquête sur Lisette Moru est consultable ici.

L’insolence face aux pouvoirs, et particulièrement face aux pouvoirs oppressifs est une vertu française qui, sans remonter à Daumier ou à Beaumarchais a été très largement illustrée dans notre histoire.
Elle est incarnée dans cet ouvrage par Marie-Louise Moru, dite Lisette, qui fut l’une des membres les plus jeunes – elle n’avait que 17 ans – du tristement célèbre convoi du 24 janvier 1943 pour Auschwitz dont Charlotte Delbo a retracé naguère la trajectoire1.
Sur 230 femmes, non juives, résistantes et pour la plupart communistes – Lisette ne l’était pas – qui composaient ce convoi, 49 d’entre elles seulement revinrent à la fin de la guerre – Lisette ne revint pas.
Son histoire – et celle de son amoureux, Louis Séché, lui aussi mort en déportation, mais à Sachsenhausen – est racontée sous la forme d’une enquête journalistique (qui a vraiment eu lieu) entrecoupée de nombreux flash-back dans cette BD au graphisme efficace et aux couleurs froides tirant sur la fin vers la chaleur de la mémoire et de l’espérance.
Pour illustrer l’arrivée dans les camps, les auteurs ont eu la judicieuse intuition d’utiliser les propres textes de Charlotte Delbo (pour Auschwitz) et de Marcel Couradeau (pour Sachsenhausen) ce qui donne beaucoup de force aux dessins.
L’histoire de Lisette est celle de milliers de résistants et de déportés dont le lecteur pourra se faire une idée à travers ce récit au déroulé implacable. Mais, comme souligné d’abord, la particularité de Lisette, outre son appartenance au sexe féminin et sa jeunesse, a été son insolence.
Il fallait bien qu’elle le fût en effet pour aller déposer, en pleine occupation, un bouquet de fleurs sur la tombe d’aviateurs anglais tombés à proximité de son lieu de résidence.
Il fallait qu’elle le fût aussi pour franchir quelques mois plus tard le portail d’Auschwitz en chantant à pleine voix La Marseillaise à l’unisson de ses 230 camarades.
Il fallait qu’elle le fût encore pour que, dans les heures suivant son arrivée, tatouée, tondue et revêtue de la tenue rayée du déporté, elle osa sourire sur la photo anthropométrique qui officialisait son entrée dans l’univers de la SS.
Cette photo, tirée des archives du musée d’Auschwitz, est reproduite à la fin de l’ouvrage avec d’autres photos de Lisette et de son ami Louis fournies par leurs familles. Car cette BD est d’abord un acte de mémoire.
Mais elle peut aussi constituer pour beaucoup de néophytes – on pense à nos élèves – une excellente entrée en matière dans l’appréhension de la période.
Tous les thèmes qui la constituent s’y croisent en effet : le refus de la défaite, la résistance, la dénonciation, l’arrestation, la déportation, l’attente du retour par les proches, la demande de justice par la société, la mémoire, la commémoration…
Dans les moments les plus sombres de notre histoire, l’insolence s’est parfois payée très cher, mais elle n’est pas pour rien une vertu française qui traverse les temps. Souvenons-nous de Lisette et de ses compagnes.

1 Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Editions de Minuit, 1965.

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