LA POLITIQUE DE RECRUTEMENT DES ENSEIGNANTS : UN BATEAU IVRE ? Un texte de l’atelier post-bac de l’APHG - avec le soutien de la SOPHAU, de la SHMESP, de l’AHMUF, de H2C, de la SFHPo et du CNFG

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Le projet de réforme du concours de recrutement des enseignants est mis sur les rails avec une précipitation qui trahit avant tout la panique du gouvernement. Alors même que le CAPES vient d’être réformé il y a à peine deux ans, cette nouvelle réforme pose de nombreux problèmes et un certain nombre de questions – des questions auxquelles il n’est pas certain que le gouvernement puisse apporter des réponses, quand bien même il serait disposé à le faire.

Le principal problème tient au seul objectif sous-tendu : mettre un adulte devant chaque classe afin de boucher les « trous » dans l’emploi du temps des élèves – le tout, bien entendu, à moyens constants, ou plutôt déclinants.
Ainsi, la qualité de la formation des enseignants, donc de la formation qui sera dispensée par la suite à leurs élèves, passe au dernier plan. On savait déjà que le gouvernement avait décidé de tirer un trait sur la formation continue des enseignants, cherchant à contraindre nos collègues à suivre des modules de formation sur la pause méridienne, le soir ou lors des vacances scolaires – un enterrement de troisième classe, en réalité, pour les actions de formation continue.
Dans le projet actuel, on ne constate aucune réflexion sur les contenus : il n’est question que de vagues « modules complémentaires » prévus pour la rentrée 2024. L’annonce principale : les enseignants seraient désormais recrutés en fin de L3 sur la base d’épreuves dont l’appellation même illustre le peu d’ambition.
Le second problème est que cette politique est fondée sur un mauvais calcul. Le fait d’avancer en L3 le concours de recrutement permettrait d’élargir le vivier de recrutement. Il est vrai qu’il est devenu impossible de cacher que le métier d’enseignant, notoirement sous-payé et de plus en plus difficile à exercer, attire de moins en moins. Cependant, c’est oublier qu’on enseigne une discipline, des contenus, et que plus on met en avant les savoir-être, moins les vocations sont fortes. Si baisser le niveau de recrutement permettra sans doute de justifier le faible niveau des salaires, on voit mal comment cela suscitera des vocations et rendra le métier respectable.
Il aurait mieux valu calculer le coût d’un vaste plan de revalorisation salariale permettant aux enseignants français de compenser enfin la chute vertigineuse de leur pouvoir d’achat depuis quarante ans… et l’inflation. Peut-être ce calcul a-t-il été fait, puis oublié : la formation des futurs citoyens n’est plus la priorité du gouvernement.

Venons-en aux questions soulevées par ce nouveau projet :
  Comment peut-on sérieusement envisager que de nombreux élèves de terminale vont décider, à l’âge de 17 ou de 18 ans, de s’engager dans les nouvelles « ENSP », fussent-elles « du XXIe siècle », c’est-à-dire dans une voie qui les conduirait à une profession aussi ouvertement méprisée ? Il faut vraiment ne rien connaître à la réalité des publics scolaires, ou être aux abois, pour tabler sur ce genre de conjecture.
  Quel sera l’avenir des étudiants de L3 qui postulent actuellement pour entrer à la rentrée 2024 en 1ère année de master MEEF (Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation) ? Bénéficieront-ils des fameux (des fumeux) « modules complémentaires » promis pour cette rentrée aux étudiants qui sont actuellement en L2 ? Des « modules » dont personne ne sait, à six mois à peine de leur entrée en vigueur, quel sera leur contenu et quels enseignants les assureront. Comme si enseigner s’improvisait.
  Croit-on sérieusement en haut lieu que le bradage, stade ultime de la dégradation en cours de la formation initiale (on est aux antipodes du « choc des savoirs » tant vanté depuis quelques mois), permettra aux enseignants ainsi recrutés d’affirmer leur autorité face à leurs classes ? Mais peut-être après tout s’en moque-t-on ? Il faut que toutes les cases de tous les tableaux Excel de tous les rectorats de France soient remplies et que de bons slogans soient lancés en direction de l’opinion pour faire croire qu’il y a eu « de l’action, de l’action, de l’action ».

Tout cela, au fond, révèle une gouvernance défectueuse, incapable de s’appuyer sur le réel, ne se préoccupant que de communication. Le mépris institutionnalisé pour le corps enseignant, le savoir, et in fine les élèves, favorisera encore davantage le développement d’officines privées qui construiront leur croissance sur le déclin de nos enseignements et compenseront, moyennant finance, la faillite, qu’on finirait par croire organisée, de l’École publique.

L’APHG, qui défend constamment la qualité de la formation initiale et continue des enseignants et réaffirme sa foi en la vertu des concours à forte consistance disciplinaire, s’élève avec force contre ce projet. Loin de toute volonté d’agitation médiatique, notre association, par sa vigueur et par la qualité de l’offre de conférences, de journées d’études et de mise en commun de réflexions pédagogiques, montre que les enseignantes et les enseignants aspirent à une formation solide, sans laquelle il n’est pas possible d’aider des jeunes à devenir de véritables citoyens.

L’atelier post-bac de l’APHG

©APHG - Tous droits réservés. 25/03/2024.