ÉDITORIAL : « Le cas échéant » Historiens & Géographes n° 445 (parution le 28/02/2019)

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Par Franck Collard. [1]

« Le cas échéant »

L’embrasement de l’automne, quand le jaunissement de feuilles a déteint sur les gilets des automobilistes, a constitué un phénomène très propice à la réflexion historique, géographique et civique. Il place une nouvelle fois nos disciplines au cœur de l’événement et du débat. De débat, paraît-il, il doit être plus que jamais question pour régénérer l’esprit public. Des corps intermédiaires, dont l’APHG fait partie intégrante, il doit être désormais fait le plus grand cas pour retrouver la sérénité et la concorde. Entre faux-semblants participatifs, habiletés communicationnelles et outrances insurrectionnelles, essayons de garder lucidité et raison en pensant toujours prioritairement à la cause des élèves et à la défense de nos disciplines.

Au détour du BOEN

Qui a lu d’un œil attentif le BOEN du 22 janvier dernier [2] portant sur les nouveaux programmes des lycées d’enseignement général et technologique reformulés en fonction du baccalauréat reconfiguré, n’a pu manquer de remarquer, à la page 341, une incise concernant l’enseignement de la spécialité Histoire-Géographie-Géopolitique-Sciences politiques, particulièrement chère au cœur des historiens-géographes. Il est dit en effet que cet enseignement reviendrait « le cas échéant » à leurs collègues de sciences économiques et sociales, eux-mêmes déjà chargés d’une spécialité de plein exercice mais censés prendre part aussi à la spécialité HGGSP. Certes la formule ne satisfait pas la revendication émise dès l’origine par l’APHG d’une prise en charge intégrale de cette spécialité qui suscite, paraît-il, une forte appétence chez les élèves de seconde en train de faire leurs trois choix. Certes, la lapidaire locution en dit long sur la légèreté avec laquelle le ministère envisage de régler la question de l’affectation de ces enseignements en la délestant sur les chefs d’établissement, sans aucun cadrage national synonyme d’équité. Mais au moins est implicitement reconnue la vocation primordiale des professeurs d’histoire-géographie à mettre en œuvre des programmes que leurs collègues économistes reconnaissent d’ailleurs eux-mêmes comme très peu conçus pour les y associer. Ainsi l’activisme incessant de l’association a-t-il trouvé un aboutissement positif, sinon entièrement satisfaisant. Car ici ou là, des chefs d’établissement envisagent de répartir les enseignements de spécialité de première non pas en distribuant les heures mais en distribuant des groupes d’élèves, à raison d’un sur trois pour les enseignants de SES qui se sont pourtant reconnus mal outillés pour assurer ces enseignements. Est-ce une façon de « remuscler le bac », comme entend le faire le ministre, que de laisser des proviseurs sans compétence disciplinaire décider de l’affectation des cours de spécialité ?

Au moment où les consultations sont lancées par le CSP sur les programmes de Terminale, la plus grande vigilance doit être de mise. L’APHG n’acceptera en aucun cas que la formule utilisée pour la spécialité de Première à l’endroit des professeurs de SES serve réciproquement, pour la spécialité de Terminale, à faire des professeurs d’histoire-géographie les forces d’appoint d’un enseignement dont le programme aurait pris une forte dimension socio-économique. De même que, grâce à la force de persuasion de l’APHG, l’histoire et la géographie ont été imposées dans le tronc commun tout au long du lycée, de même ses professeurs doivent intervenir massivement et au premier chef durant les deux années de la spécialité dont elles sont la substantifique moelle. La page 342 du BOEN devrait le garantir, qui fait de la spécialité de Terminale un approfondissement de celle de Première, à n’ouvrir, par conséquent, à d’autres spécialistes disciplinaires, que « le cas échéant ».

Il faudrait écouter l’APHG, le cas échéant

L’heureuse redécouverte, par nos dirigeants, des vertus de l’écoute du pays profond préalable à la prise de décision fait suite à une phase durant laquelle ces vertus n’ont pas été spécialement cultivées, quoi qu’il ait pu sembler. Pourtant, les réformes du bac, du lycée général et technologique et du lycée professionnel offraient à l’Institution l’occasion de mettre par anticipation en application les grands principes brandis depuis. Le moins que l’on puisse dire est que l’investissement de l’APHG n’a pas bénéficié d’une prise en considération à la hauteur de son intensité. Certes, elle a été consultée sur les programmes, mais la façon dont s’est déroulée l’audience accordée en novembre par le CSP a hélas reflété la méthode en fin de compte très verticale suivie par cette instance : s’étant vue refuser la communication préalable des projets concoctés au sein d’un groupe de travail constitué en toute opacité, la délégation de l’APHG a découvert au moment même de l’audience des contenus ne tenant à peu près aucun compte des très nombreuses observations et critiques qu’elle avait auparavant exprimées à partir du travail de la Commission Lycée. La teneur des programmes de tronc commun comme celle des programmes de la spécialité ne sont pas satisfaisantes. Le BOEN du 22 janvier a confirmé la fermeture du ministère aux suggestions de bon sens venant de praticiens de terrain. Le même BOEN maintient les projets dangereux de formats d’épreuves peu propices à la sérénité et à l’équité. Il illustre une surdité obstinée aux mises en garde concernant la lourdeur du programme de Première technologique où seulement 90 mn hebdomadaires seront réservées à l’histoire-géographie. « Les meilleurs programmes possibles », voilà ce qu’avait promis la présidente du CSP. On est très loin du compte avec un amoindrissement des périodes ancienne et médiévale en seconde, une orientation très nationale en Première (le balancier est reparti trop loin dans ce sens), des thèmes de spécialité parfois mal formulés. Par ailleurs, la divulgation de la carte des formations a révélé que, si elle sera proposée dans la majorité des établissements, la spécialité HGGSP est absente de certains, y compris des lycées importants de capitales régionales.

Un autre refus d’écoute caractérisé s’annonce, étrangement discordant avec les bonnes intentions affichées. Il concerne le projet de réforme de la voie professionnelle où la place des enseignements généraux, notamment ceux de lettres-histoire-géographie, est singulièrement réduite, de moitié par rapport à la situation actuelle. Il est à craindre que les instances compétentes, quoique déjà plusieurs fois alertées, ne reproduisent la même attitude facticement ouverte, alors que tout est déjà en haut lieu décidé sous l’influence de la technostructure ministérielle et des milieux économiques. L’ignorance dans laquelle a été tenue l’APHG durant la phase d’élaboration de la réforme puis l’étanchéité de ses interlocuteurs du Cabinet, du CSP et de la DeGEsco à ses arguments pourtant raisonnables n’augurent rien de bon. La « co-intervention » est un artifice pour masquer la dépréciation de la formation générale destinée aux lycéens de la voie Pro. Si là est le moyen de lui donner cette « excellence » sempiternellement alléguée pour illusionner les bonnes gens, on se moque vraiment du monde. Le cas échéant, les médias pourraient relayer les prises de position de l’association sur un sujet qui, il est vrai, indiffère profondément les élites, confites ou non dans un progressisme de salon.

Il nous échoit d’agir

Alors faut-il désormais s’abstenir de se rendre rue de Grenelle pour prêcher dans le désert et enchaîner les audiences de dupes ? La réponse est non. Certes, « l’École de la confiance » n’en inspire déjà plus beaucoup, vu ces mauvaises manières. La communication sur le bac simplifié (à coût réduit surtout) et sur l’attention aux choix et aux goûts des lycéens (en réalité réduits à se décider largement en ignorance de cause) n’abuse que ceux qui veulent y croire. Les prochaines audiences concernant les programmes de Terminale générale et technologique ou celles dédiées au lycée professionnel seront l’occasion d’aller porter auprès des Autorités la forte irritation des collègues et de les mettre face à leurs contradictions. Espérons que, la révélation leur venant soudain de la nécessité d’une écoute authentique suivie d’applications concrètes, les déplacements futurs porteront quelques fruits. Mais il faut bien dire que le tour pris par les choses rend extrêmement sceptique, pour ne pas dire amer. Les réformes légitimement entreprises, mais au pas de charge, réclameraient à tout le moins une remise à plat afin qu’elles soient mieux articulées entre elles : pourquoi diable avoir originellement déconnecté Parcours Sup – sur quoi il y aurait beaucoup à dire et à redire - de la réforme du bac ? Pourquoi une totale absence d’articulation entre le collège (toujours sous le régime déplorable de la ministre précédente) et le lycée ?

En l’état, ces réformes ne laissent présager que des conditions de travail encore dégradées pour les professeurs aux classes et aux tâches toujours plus nombreuses, et des conditions d’études toujours plus inéquitables pour les élèves, en fonction de leurs milieux sociaux et géographiques d’appartenance. Passer en force serait tourner le dos aux promesses d’écoute du pouvoir vis-à-vis du Pays, et au serment entendu de la bouche du ministre de l’éducation nationale à l’orée de son ministériat : pas de nouvelle « usine à gaz ». Dans l’atmosphère volatile que nous connaissons, celle qui est en train de se bâtir risque fort en effet d’exploser.

Ce n’est pas ce que souhaite l’APHG. Attachée à la démocratie représentative où le suffrage du peuple s’exprime paisiblement et périodiquement, éclairé par la raison et l’instruction, l’association condamne toutes les violences et toutes les désinformations. La politique du pire, la fuite en avant, l’opportunisme revendicatif, la démagogie panurgique ne sont pas ses choix. L’expertise de ses membres, qui savent inscrire les événements dans le temps et dans l’espace sans succomber aux comparaisons hâtives et réductrices ni ignorer les funestes conséquences qu’eurent dans le passé le maximalisme et la surenchère, cette expertise les prémunit contre l’enragement, l’embrigadement et la confusion. L’association a exprimé son désaccord complet devant les méthodes discutables de neutralisation des lycéens. Elle a non moins condamné, au nom du respect des lieux symboliques de la République et de leur charge historique, la furie profanatrice de certains égarés et les dérapages haineux inadmissibles en régime démocratique. Elle s’est indignée de certaines expériences pédagogiques proches de l’abjection mais ayant trompé semble-t-il la vigilance de l’Institution : non, il n’est pas supportable de proposer aux élèves, sous prétexte de les investir davantage dans leur formation, des escape games dont la finalité est de s’échapper d’Auschwitz. Le cas échéant, un peu de décence s’impose.

Une association rajeunie et féminisée

Conformément à ses statuts, l’APHG a procédé le premier samedi de décembre, malgré les tumultes parisiens, au renouvellement du Conseil de gestion et du Bureau national. C’est le comité sortant qui a pourvu aux sièges et aux fonctions. La liste des élus au conseil de gestion est communiquée sur le site. Elle illustre à la fois la stabilité et le renouvellement. Le nouveau Bureau suit la même voie. Avec beaucoup d’émotion, la direction de l’APHG a vu s’éloigner d’elle deux de ses piliers : Claude Ruiz, légitimement désireux de prendre un peu de recul après 38 ans d’excellents et très loyaux services ; Hubert Tison, l’âme même de l’association, que son état de santé a obligé bien malheureusement à s’interdire de mener les activités multiples qu’il déployait en tant que secrétaire général depuis des années. L’un et l’autre ont mérité notre infinie reconnaissance et l’honorariat qui leur a été conféré ne la traduit que bien insuffisamment. La vie associative est ainsi faite de départs ; elle est aussi corrélativement faite de rénovation, en l’occurrence synonyme de jeunesse et de féminité. Deux collègues jeunes et alertes sont entrées au Bureau, avec le titre de vice-présidente (Joëlle Alazard, aux côtés de François da Rocha) et de secrétaire générale adjointe (Iris Naget), qui font que les secrétaires généraux Christine Guimonnet et Marc Charbonnier se sentiront bien épaulés. La trésorerie nationale, charge cruciale s’il en est, poursuit sa paisible transition de Max Auriol à Brice Boussari. Un autre nouveau secrétaire général adjoint, Vincent Magne, enseignant de LP comme Iris Naget, marquera par sa présence toute l’importance qu’accorde l’APHG à la voie professionnelle. Enfin le secrétariat général de la rédaction d’Historiens & Géographes revient au grand architecte de la revue, Marc Charbonnier. Cette équipe soudée et pleine d’allant est au service de tous. La collégialité n’y a d’égale que la convivialité et la ferme résolution de développer encore l’action et l’utilité de l’association. Avec le nouveau comité national qui prendra ses fonctions au printemps prochain, comité lui aussi bien renouvelé et diversifié, c’est donc sur de solides bases que nous partons affronter les défis de 2019. La mise en œuvre des nouveaux programmes ne sera pas le moindre et l’association s’emploiera à la faciliter en offrant des ressources multiples au moyen de différents supports. L’année sera aussi celle des Agoras de Lorraine si méticuleusement préparées et de tant d’autres rendez-vous qui sont le cœur battant de l’APHG. Alors, le cas échéant, merci de dire et redire aux collègues qui l’ignoreraient ou en douteraient qu’elle est leur naturelle maison.

Montrouge, le jour de la Chandeleur 2019.

Note de la Rédaction : Retrouvez en ligne et sur les réseaux sociaux toute l’actualité de notre association professionnelle, ses enquêtes, ses pistes de réflexion sur les programmes et sa promotion de nos disciplines auprès des instances ministérielles, administratives et académiques.
1ère et 4ème pages de couverture - n° 445. DR.
Bureau national de l’Association des Professeurs d’Histoire et de Géographie :
  • Président : Franck COLLARD
  • Vice-présidents : Joëlle ALAZARD, François DA ROCHA CARNEIRO
  • Secrétaires généraux : Christine GUIMONNET, Marc CHARBONNIER
  • Secrétaires généraux adjoints : Iris NAGET, Vincent MAGNE
  • Trésorier : Max AURIOL / Trésorier adjoint : Brice BOUSSARI

Sommaire du n° 445 (février 2019)

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Notes

[1Président national de l’Association des Professeurs d’Histoire et de Géographie - APHG. Professeur en Histoire médiévale à l’université de Paris-Nanterre.

[2Bulletin officiel spécial de l’Éducation nationale n°1 du 22 janvier 2019, en ligne :
http://www.education.gouv.fr/pid285/bulletin_officiel.html?pid_bo=38502 [consulté le 4 février 2019] NDLR.