ÉDITORIAL Ça suffit...

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J’aurais aimé rédiger ce dernier édito de l’année scolaire 2012-2013 sur un ton apaisé, qu’il soit porteur de bonnes nouvelles afin que vous viviez pleinement le repos mérité de ces vacances avec délice, en sachant que ce sont peut-être les dernières à être aussi longues... Déjà ma plume crisse sur le papier, l’énervement me gagne et je ne suis pas arrivé à dépasser la colère qui a grondé fin juin dans les salles de correction du BAC et du DNB. En effet, le malaise est grand dans le monde enseignant, du collège à l’Université, et ce plus particulièrement chez les historiens /géographes. La coupe est plaine et c’est pour cette raison que mon édito n’est pas « Le professeur au pays des merveilles », mais « Ça suffit » !

Bruno Benoit, président de l’APHG

Ça suffit...

L’APHG est une association professionnelle reconnue comme représentative de nos matières, il suffit pour s’en rendre compte de citer le nombre de rencontres que le bureau national a eues avec l’Inspection générale, la Dgesco ou encore le ministère de l’Enseignement supérieur. Je m’en félicite, mais si nous sommes écoutés, sommes nous vraiment entendus ? Il semblerait que les bureaux parisiens soient loin des réalités du terrain et ce que nous leur disons termine le plus souvent dans leurs tiroirs ! Le ministère de l’Education nationale, par toute une série de décisions, est en train de marginaliser nos matières.

Ça suffit...

Pourtant le journal Le Monde faisait part d’une enquête portant sur les élèves de la classe de 3e passant le DNB. Les statistiques d’élèves capables de répondre à au moins la moitié des questions posées sont passées de 58% à un peu plus de 51% et ce, en moins de 10 ans. Il y a là, comme le disait le journaliste, un drame national qui se joue et auquel le gouvernement assiste en se bouchant les yeux ! La même statistique pourrait être faite pour les Terminales et, sans surprise, nous aurions les mêmes résultats en baisse.

Ça suffit ...

L’APHG refuse le double langage du Ministère qui dans une lettre qui m’a été adressée le 10 juin 2013, le Directeur de cabinet écrit que : « La formation primaire dispense les éléments d’une culture historique, géographique, scientifique et technique... Elle assure conjointement avec la famille l’éducation morale et civique qui comprend, pour permettre l’exercice de la citoyenneté, des valeurs et symboles de la République et de l’Union européenne, notamment de l’hymne national et de son histoire » (article L.321 -3 du Code de l’éducation). Parallèlement à ce discours, l’Histoire et la Géographie sont retirées des épreuves écrites du concours de professeur des écoles !! Ce genre de contradiction laisse supposer que l’histoire et la géographie ne sont pas des matières fondamentales et que les collègues du primaire peuvent faire de l’histoire et de la géographie comme M. Jourdain faisait de la prose !!! De plus, ramener l’enseignement de nos matières à l’hymne national et à son histoire, c’est bien, mais carrément réducteur par rapport à nos matières.

Ça suffit ...

Vincent Peillon répondait le 30 mai au sénateur-maire de Meudon : « Le caractère formateur de ces disciplines (histoire et géographie), pour la compréhension du monde contemporain et la préparation des élèves à l’exercice de leurs droits de futurs citoyens, en font une des composantes majeures de la culture générale dans toutes les séries ». L’APHG est d’accord, mais donnez nous les moyens de le faire en horaires au lieu de les avoir drastiquement baissé en 1 °S/TS et ce sans appel ! Nous attendons que la refondation de l’école dans sa dimension collège et lycée prenne en compte cette dimension horaire.

Ça suffit..

Les épreuves d’Histoire et géographie en classes de 3e pour le DNB et en classes de terminales pour le Bac ont donné lieu, cette année, à des questions qui ont été dénoncées par les collègues correcteurs et qui a amené l’APHG a publié deux communiqués. Laissez les pseudo-experts où ils sont, donnez la parole aux collègues sur le terrain en relation avec les IPR qui, eux, connaissent le public en question. Faites que les questions portent non pas sur les marges des programmes, mais sur des questions réellement traitées, des questions qui permettent aux jurys d’établir un vrai barème de correction juste et équitable pour tous et qui n’occasionnent pas une fois encore des discriminations liées à l’origine sociale. Faites aussi que l’on valorise la question longue au DNB et que l’on donne une possibilité de choix et non une seule question. Que les mots choisis fassent sens, qu’ils ne soient pas porteurs de pièges, ce qui n’est pas toujours le cas.

Ça suffit...

Que l’on mette en place dès cet été des allègements qui doivent être publiés à la rentrée 2013 pour les classes de terminales et de troisième. La Dgesco peut d’autant le faire que l’APHG lui a fourni un canevas des programmes concernés avec des allègements proposés. N’attendez pas Noël ! Les collègues font remarquer que ces allègements sont vitaux, compte tenu que le nombre d’heures recensées ne correspond pas au nombre d’heures du professeur face à ses élèves, car les examens blancs, les sorties pédagogiques, les corrections sont autant d’heures prises sur le volume global. Les collègues ont raison de demander ces allègements car il ne veulent pas gaver leurs élèves, mais tiennent à leur apprendre à lire un document, à commenter une carte, à construire une réponse, à bâtir une problématique. L’APHG demande également que l’Inspection générale rappelle à tous les IPR que le professeur, dans le cadre du programme allégé, a toute liberté pédagogique pour construire sa démarche, en particulier en réintégrant Vichy et la Résistance avec la Seconde Guerre mondiale et ce, en début d’année, pour permettre aux élèves de participer au Concours de la Résistance et de la Déportation.

Ça suffit...

Que l’on ne nous tienne pas un langage obscur. Nous avons droit de savoir la réalité des choses. Pour exemple l’enseignement moral et laïque à partir de la rentrée 2015. Il a fallu naviguer dans le méandre des textes pour comprendre que cet enseignement remplacerait l’ECJS ! Evidemment, cet enseignement pourra être fait par les collègues de toutes les matières –-dans le texte officiel, l’Histoire et la Géographie ne sont pas citées !! - et ce, à la discrétion du chef d’établissement qui disposera de ces heures pour des ajustements de service. Les collègues d’Histoire et Géographie ont beaucoup investi dans l’ECJS et pensent, avec raison, être les mieux à même d’enseigner cette matière. Dire les choses clairement est une question d’honnêteté de la part du Ministère.

Ça suffit...

L’Histoire et Géographie vivent très mal à l’Université la maquette du nouveau concours du Capes où le professionnel, malgré tout ce qui a pu être dit, l’emporte sur le scientifique. Cela est tellement vrai que les maquettes des Universités voient fondre l’horaire d’enseignement fondamental au profit du professionnel au sein des futures ESPE. Comment enseigner une matière non parfaitement maîtrisée ! Qu’estce qu’un professeur, sinon celui qui maîtrise le savoir et qui sait l’enseigner. Que cette dernière dimension progresse, l’APHG se félicite de la mise en place de stages mais pas aux dépens des savoirs.
Les dernières nouvelles, celle de supprimer le CNU pour des petits arrangements politiques a fait déborder le vase du malaise déjà rempli à ras bord ; ensuite que le jury d’agrégation soit présidé par un Inspecteur général relève de la provocation.

Ça suffit...

Oui, ça suffit ! L’APHG a suffisamment de mémoire, pour savoir que remettre en cause ces deux matières, c’est toucher aux fondements mêmes de la démocratie. Les méconnaissances des élèves sur le passé du pays et du monde dans lequel ils vivent, sur les différents territoires dans lequel ils évoluent, devraient faire réagir le Ministère en nous indiquant clairement quelle est la ligne directrice de sa refondation et surtout nous entendre. Nous ne faisons pas de surenchère, nous sommes une association qui porte la citoyenneté, le vivre ensemble, le couple histoire et mémoire et celui de la France et de l’Europe, une association qui travaille, qui fait des propositions, qui espère être consultée en tant que chaînon d’expertise mais aussi de connaissance du terrain.
J’espère que l’été permettra à tous les décideurs de comprendre que l’on ne peut pas décider sans tenir compte des avis de ceux et celles qui ont en charge ce beau métier qui est d’enseigner l’histoire et la géographie.

Bruno Benoit, Président de l’APHG
4 juillet 2013 - Lyon/Paris