ÉDITORIAL : LUMIÈRES MILITANTES Historiens & Géographes n° 462 (parution en mai 2023)

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LUMIÈRES MILITANTES

Par Joëlle ALAZARD [1]

Qu’il me soit permis, pour ce premier éditorial, de me féliciter de la présence de ce riche dossier sur les Lumières. Bénéficiant d’un regain d’attention dans une période de mutations et de doutes, l’héritage de celles-ci, menacé par les populismes comme par le complotisme, est plus que jamais à défendre. Faisons en sorte que l’APHG, qui s’est toujours battue pour un idéal d’émancipation par le savoir, continue à construire un espace public éclairé, condition nécessaire à l’épanouissement démocratique.
Si l’on peut se réjouir du dynamisme retrouvé de l’APHG, de l’augmentation de son nombre d’adhérents et des multiples chantiers sur lesquels nous œuvrons, la période est néanmoins marquée par de fortes préoccupations, en particulier pour l’enseignement professionnel mais aussi, à moyen terme, pour les concours et le CAPES.

Un grand bond en arrière pour le lycée professionnel [2]

Le lycée professionnel, déjà anémié par la réforme de 2018-2019 qui diminuait drastiquement les heures d’enseignement général, s’apprête à subir de nouveaux remaniements sans qu’aucune discussion ou négociation n’ait pu être menée. Rappelons qu’en CAP, un élève n’a plus que 45 minutes d’histoire-géographie, 45 minutes de français et 30 minutes d’EMC par semaine : nous sommes d’ores et déjà « à l’os ». La situation est tout aussi inquiétante en Bac Pro où l’on souhaite encourager les élèves à poursuivre en BTS ou DUT alors qu’ils n’ont plus qu’1h15 de français et 1h15 d’histoire-géographie en Terminale. Comment, dès lors, leur donner une assise solide pour une réussite dans le supérieur, tandis que les épreuves du bac seront, comme au lycée général, avancées au mois de mars ? Que restera-t-il de ces enseignements si on les réduit encore par l’allongement des stages en bac pro ?
L’APHG partage l’accablement des collègues PLP, qui se transforment au fil des réformes en simples variables d’ajustement au service de l’acquisition de compétences transversales. Comment, avec ces funestes rabotages, continuer à construire de jeunes citoyens critiques et solidement armés ? Ajoutons à cela la progressive disparition des masters MEEF parcours LP et le décret n°2022-909 du 20 juin 2022 autorisant les PLP à enseigner au collège : toutes les pièces du puzzle semblent dès lors s’assembler pour préparer la réduction du lycée professionnel dont il ne demeurera que quelques filières éminemment sélectives, condamnant nombre d’élèves à l’apprentissage … donc au statut précoce et précaire d’employés.
Pendant que tous ceux qui tiennent aux promesses républicaines de l’école devraient être vent debout, cette réforme qui vise principalement à l’économie, passant outre les protestations des associations et des syndicats enseignants, ne semble guère émouvoir au-delà de nos rangs : il est ainsi très ardu de faire accepter, dans nos grands quotidiens nationaux, un texte sur le sujet. Il en va pourtant d’un projet de société et de la cohésion, déjà bien entamée, du pays. Renoncerons-nous, collectivement, à une formation solide des enfants des classes populaires ? Pour notre part, nous ne pouvons nous y résoudre : en témoignent les différents textes mis en ligne sur notre site ; l’APHG, qui comprend de nombreux enseignants de LP, soutient et soutiendra toutes les initiatives défendant l’intérêt des élèves comme des collègues.

Haro sur les concours… et vigilance accrue sur le CAPES

L’air du temps est à la remise en cause des concours. Ceux-ci constitueraient une exception française tenant de l’archaïsme, un repoussoir pour les étudiants ou bien encore des fétiches somptuaires dont la France appauvrie saurait se passer. Au-delà de la seule question de leur coût, a-t-on jamais essayé de calculer ce que ces concours rapportent et ce que nous leur devons ? En tout cas pas la Cour des comptes, dont le rapport sur la formation et le recrutement des enseignants, publié le 1er février 2023, précise les menaces formulées à l’encontre du CAPES . Rien n’est immuable, certes, et nos concours ont aussi une histoire. Les experts de cette juridiction ont-ils seulement conscience de la déstabilisation que provoqueraient certains des scenarii proposés, comme celui de la possibilité d’admission sur dossier ou celui de recrutements locaux sur liste d’aptitude ? Ces mesures signeraient la fin d’un concours national qui garantit encore, en 2023, un niveau homogène des enseignants et des cours dans toutes nos académies.
Que ceux qui préconisent sans avoir jamais enseigné fassent l’effort de se représenter ce que permettent concrètement, pour les enseignants, ces mois de préparation qui précèdent l’entrée dans le métier : passer les concours de l’enseignement, c’est se perfectionner dans les disciplines que nous transmettons, consolider des méthodes et des acquis essentiels à la qualité de notre enseignement ; c’est savoir analyser de manière efficace un sujet, le problématiser, concevoir un plan de cours ou un plan de dissertation qui est logiquement construit, argumenté, expliquer efficacement des documents … C’est aussi être capable de mieux répondre aux questions de nos classes, ce qui construit notre légitime autorité et notre crédibilité aux yeux de nos élèves. Nous tenons aux questions de concours qui accroissent les capacités de lecture et de raisonnement, édifient le socle de notre assise professionnelle ; les programmes régulièrement renouvelés ne sont pas pensés pour ennuyer les étudiants mais pour précisément les aider à l’acquisition des matériaux qu’il leur faudra intelligemment transmettre, de longues années durant.
Au-delà de quelques constats partagés – ainsi sur les défauts de conception de la deuxième année de Master MEEF plongeant les étudiants dans le désarroi -, l’APHG ne saurait donc soutenir la remise en question du CAPES esquissée dans ce rapport : quand les conditions d’exercice se dégradent sensiblement au fil des années, quand des collègues aussi excellents que chevronnés cherchent à quitter les classes, quand les revalorisations salariales promises tardent et ne suffisent même pas à compenser l’actuelle inflation, il est un tantinet simpliste de faire du concours le principal obstacle au recrutement. Aussi réaffirmons-nous, comme nous avons pu le faire lors d’une audition à l’Assemblée nationale le 16 mai dernier, notre attachement à ce concours national comprenant deux écrits d’admissibilité avant les épreuves orales d’admission. Déjà scientifiquement allégé dans sa nouvelle mouture, une dénaturation ou la suppression du Capes ne ferait qu’amplifier les inégalités qui minent notre système d’enseignement. Quant à susciter davantage de vocations professorales, puisque certaines disciplines manquent de candidats, pourquoi ne pas en revenir à un système comparable à celui des IPES qui a longtemps fait ses preuves ?

Des nouvelles de la ruche APHG

Dans le sillage de la relance initiée sous la présidence de Franck Collard, que je salue amicalement tout en le remerciant pour son investissement et les nombreux combats menés durant ses six années de présidence de l’association, l’APHG poursuit sa joyeuse mue avec un bureau fortement renouvelé, soudé par une forte amitié, très engagé sur le front de nos multiples chantiers auprès de nombreux partenaires et interlocuteurs. Que ces quelques pages fournissent l’occasion de remercier Céline Delorge, Marc Charbonnier, Max Auriol et Brice Boussari, les membres sortants du bureau que nous remercions pour leur implication sans faille au service de l’association, mais aussi tous les membres du bureau national et du conseil de gestion, au périmètre récemment accru.

Le travail ne manque pas et je crois que nous pouvons être fiers de ce que nous accomplissons collectivement, dans le cadre national comme dans nos régionales et nos ateliers où chacun peut apporter sa pierre. Soyons-en conscients : qu’il s’agisse du nombre de nos adhérents, des multiples évènements proposés partout en France ou encore du grand nombre de ressources scientifiques et pédagogiques originales que nous produisons, notre association n’a, au sein du monde enseignant, nul équivalent. Parallèlement à une formation continue souvent étiolée faute de moyens, l’APHG s’emploie à la réassurance intellectuelle et professionnelle des collègues dont le quotidien connaît bien des vicissitudes. Continuons donc à faire connaître notre revue, à annoncer nos journées d’étude et leurs actes régulièrement publiés chez Bréal, à propager le programme du Café virtuel de l’association comme les nouvelles capsules du dispositif « Fenêtres sur cours ». Présentons partout et sans relâche le prix Samuel Paty pour perpétuer la mémoire de notre collègue assassiné par un islamiste le 16 octobre 2020 tout en renforçant la cohésion de nos classes à l’occasion d’un projet collaboratif en EMC ; obstinons-nous à élargir et entretenir ces précieux lieux d’échange, ces temps de rencontre où des collègues venus du primaire au supérieur se côtoient, sans verticalité ni hiérarchie et dans une ambiance chaleureuse, autour de nos disciplines. Continuons à être imaginatifs, à créer de nouveaux supports et dispositifs d’entraide. Le dernier en date, « l’Opération coup de pouce », pour nos adhérents admissibles à l’agrégation interne d’histoire-géographie, a si bien fait ses preuves – merci aux collègues, anciens membres du jury ou formateurs, historiens ou géographes de formation, qui ont accepté de participer à ces précieux moments - que nous ne pouvons que le reconduire dès la préparation des écrits.

Dynamique, solidaire et conviviale, c’est l’APHG que nous contribuons toutes et tous à renforcer chaque jour, avec votre soutien. Ces qualificatifs sont aussi ceux qui caractérisent la régionale qui organise, du 24 au 27 octobre prochain, les agoras de Lille, autour du thème « Patrimoine en Nord » : celles-ci s’annonçant particulièrement stimulantes, nous espérons nous y retrouver très nombreux pour apprendre, réfléchir et festoyer ensemble sous les majestueuses lumières des cieux flamands !

Lille, le 21 mai 2023

Sommaire en ligne du n° 462 de la revue Historiens & Géographes

© Les services de la Rédaction d’Historiens & Géographes - Tous droits réservés. Mai 2023. Mise en ligne le 23 juin 2023.

Notes

[1Présidente nationale de l’Association des Professeurs d’Histoire et de Géographie – APHG, Professeure d’histoire en khâgne au Lycée Louis-le-Grand (Paris).

[2Nous reprenons ici le titre de la tribune publiée par l’atelier LP de l’association, en ligne depuis le 5 mai 2023 sur notre site : https://www.aphg.fr/Reforme-du-LP-un-grand-bond-en-arriere