La rafle du Vel d’Hiv - Proposition d’activité pédagogique EHNE - Chambre Noire / Shoah : mises au point

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[(Dans le cadre de notre partenariat avec l’EHNE, notre collègue Emmanuel Menetrey vous propose une activité pédagogique liée à l’une des photos de la série « La Chambre noire de l’Histoire », « Paris, Vel d’hiv, 16 juillet 1942 » de Laurent Joly :

Proposition d’activité pédagogique à destination des classes de 3ème

Chambre noire
Shoah : mises au point

Objectifs généraux :
→ permettre aux élèves d’approcher la notion de critique d’un document en réfléchissant au statut et à la fonction de l’image en tant que source
→ permettre aux élèves de saisir l’enjeu du croisement des sources
→ décrire et expliquer la complexité d’un événement historique

Déroulement de l’activité :
Le choix ici retenu a été de ne pas privilégier une situation d’apprentissage plutôt qu’une autre. Ce travail peut être mené en cours dialogué mais aussi, pour tout ou partie, par le biais d’exercices écrits réalisés en autonomie.
Il peut prendre aussi la forme d’une enquête collective, organisée en groupes, confrontant le cliché et sa description aux travaux historiques, témoignages et sources qui permettent d’en mener la critique.

Introduction
 Projection et description de la photographie du Vel’d’Hiv’ (https://ehne.fr/fr/encyclopedie/th%C3%A9matiques/guerres-traces-m%C3%A9moires/shoah-mises-au-point/paris-vel-d%E2%80%99hiv-16-juillet-1942) pour description sans commentaires, ni indications.

Dans l’idéal, les élèves ont à lors disposition ordinateurs ou tablettes pour détailler au mieux leur description première de l’image et mener le travail de mise en contexte.

a) Sur ce cliché, qu’est-ce qui suggère le déroulement d’une opération concertée, organisée ?
Il y a un convoi de bus et de fourgons : ces véhicules sont stationnés devant un bâtiment commun : un point de rassemblement (?)

b) Quelle autorité semble conduire cette opération ?
On constate la présence des forces de l’ordre (uniformes) : plusieurs de leurs représentants sont le long de la façade du bâtiment, un autre membre déambule sur le trottoir d’en face.

c) Qui et que voit-on d’autre sur le cliché ?
Des personnes sont regroupées sur le trottoir, le long de la façade du bâtiment.
Trois badauds, dont un cycliste passent dans la rue..Une voiture est garée sur le trottoir opposé à celui où stationnent bus et fourgons.
Dans les véhicules, on distingue un sac,un oreiller/édredon. Sur le trottoir, des valises.

-Mise en contexte local

a) L’objectif est d’abord de localiser la prise de vue. Afin de guider cette recherche, un premier élément d’identification est fourni par l’enseignant.e : la photographie a été prise à Paris, dans la journée du 16 juillet 1942, en début d’après-midi (une courte averse a eu lieu vers 14h sur Paris). Son auteur est inconnu. Elle était destinée à paraître dans un journal français collaborationniste, Paris-Midi.
C’est un cliché lié à la rafle du Vélodrome d’Hiver (dite « du Vel’ d’Hiv’)

b) Grâce à une rapide recherche, les élèves identifient le lieu précis de réalisation du cliché.
Le Vel’ d’Hiv’ se situait rue Nélaton, dans le 15ème arrondissement de Paris.

c) Grâce à une rapide recherche, les élèves proposent une définition du terme « rafle » afin d’éclairer les circonstances dans lesquelles ce cliché a été pris.
Une rafle est une « arrestation massive de personnes « . Cela confirme la description du cliché : on distingue des policiers et des « personnes » sur le trottoir, notamment des silhouettes de femmes et d’enfants.

-Mise en contexte général. On s’appuie sur les pré-requis des élèves ou, à défaut, sur de rapides recherches en ligne.

a) En juillet 1942, qui exerce le pouvoir sur le territoire français, voire à Paris ?
Les élèves remobilisent ici les éléments de contexte territorial et politique vus depuis le début du chapitre « la France défaite et occupée ».
Après l’invasion du territoire français par l’armée allemande et la signature d’un armistice le 22 juin 1940 , la France est morcelée (Paris est en zone occupée). Le régime de l’État français (dit également « régime de Vichy ») est né par les actes constitutionnels des 10 et 11 juillet 1940. Ce régime est dirigé par P. Pétain qui, le 30 octobre 1940, a annoncé à la population française, sa décision d’« entre[r] […] dans la voie de la collaboration « 

Problématique :
De façon générale, que cette photographie peut-elle nous dire des motivations et des modalités de la politique de collaboration de l’État français ?
Plus précisément, dans quelle mesure l’ordre qui paraît caractériser le moment qu’elle fixe reflète-t-il la réalité des événements qui se déroulent alors ?

La rafle du Vel’d’Hiv’ : l’ordre apparent d’un crime manifeste

Les titres de l’activité, des parties et sous-parties sont spécifiés dans la suite de cette présentation. Ils pourront bien sûr être mis en évidence, voire définis par les élèves, selon des modalités diverses, au gré des choix pédagogiques de chacun.e, lors de la mise en œuvre de l’activité. Il en est de même pour les titres donnés aux supports documentaires.

I Une opération policière organisée et fondée sur des motivations précises
1) Une action planifiée

Comment le cliché, croisé à d’autres sources, permet-il de mettre en évidence cette planification ?

Sources documentaires :
 Circulaire n°173-42 du 13 juillet 1942 (https://www.memorialdelashoah.org/commemoration-de-la-rafle-du-vel-dhiv-du-16-et-17-juillet-1942.html)
La lecture de ce texte pouvant se révéler quelque peu aride et fastidieuse, les pages à consulter pourront être pré-sélectionnées afin de faciliter le prélèvement d’informations.
 Liste (partielle) des adresses des centres primaires de rassemblement

-Comment expliquer la présence de bus et de fourgons ?
La présence de véhicules (« Des autobus seront mis à votre disposition », p.2) s’explique par le fait que la rafle concernait tous les arrondissements parisiens et à des communes de proche banlieue (p. 2, 4, 6, 7, 8 et 9). Le nombre de véhicules est stipulé (p.8) et des conditions de sécurité définies (p.3)

-Qui sont, précisément, les policiers présents sur le cliché ?
Il s’agit vraisemblablement de forces dépendant de la Police Municipale de Paris. La circulaire qui organise les arrestations émane de l’état-major de sa Direction au sein de la Préfecture de Police. Elle est adressée aux commissaires, évoque, en plus des policiers municipaux, la présence de personnels des Renseignements Généraux, de la Police Judiciaire (p. 2), de l’École Pratique (policiers en formation, p.4, 5 et 6) ainsi que des gendarmes (p.7).
Le texte définit aussi la composition des « équipes spéciales d’arrestation » (p. 2, 4 et 5). Leurs horaires de travail sont précisées (p.6 et7)

-Qui sont, précisément, les personnes regroupées le long de la façade ?
Cette circulaire stipule que « les autorités occupantes ont décidé l’arrestation et le rassemblement d’un certain nombre de juifs étrangers » (p.1) La circulaire précise les nationalités concernées (p.1) et leur nombre fixé à près de 27 400 (p.9).

-Pourquoi sont-elles rassemblées devant le Vélodrome d’Hiver ?
 Est-ce la première étape de leur parcours ?

Le texte indique le Vélodrome d’Hiver (à l’origine une enceinte sportive) comme un des lieux de rassemblement des personnes arrêtées, à l’exception des individus ou familles n’ayant pas d’enfants de moins de 16 ans (p.2). On regroupe donc au Vel’ d’Hiv’ les familles avec enfants et adolescents de moins de 16 ans. Elles ont été arrêtées sur la base de fiches spécialement constituées (p.2). Les personnes arrêtées ont d’abord été regroupées, depuis leur domicile, dans des « centres de rassemblement » institués dans chaque arrondissement ou circonscription de banlieue concernés. Munies de bagages (p. 3), elles ont ensuite été dirigées vers le Vel’ d’Hiv’, enceinte sportive de grande capacité.

-Comment établir que ces prescriptions ont été suivies ?
Source documentaire :
Fichier « Témoignages »+ correction

2) Dans les rouages de la rafle : l’impulsion allemande, la réponse française

-Retour à la photographie initiale. On conduit ici les élèves à s’intéresser à ceux qu’on ne voit pas : les représentants des autorités d’occupation.
Comment expliquer cette absence ?
Source documentaire :
Fichier « L’impulsion allemande, la réponse française »+ correction

3) Une meurtrière mise en œuvre : l’exemple des enfants

-sur le cliché, faire observer la silhouette blanche, à droite de la porte elle-même située à droite du porche. On distingue une petite fille, vraisemblablement porteuse de l’étoile jaune (faire le cas échéant une information ou un rappel à ce titre)
Source documentaire :
Fichier « Une meurtrière mise en œuvre : l’exemple des enfants »+correction

Transition : Exemple qui amène à continuer à élargir l’analyse en croisant la photo à d‘autres sources pour révéler d’autres réalités de la rafle, moins apparentes, voire absentes du cliché.

II Au-delà de la photographie : imprécisions, marges de manœuvre et chaos organisationnel

1) Errements administratifs

Source documentaire :
Fichier « Errements administratifs » + correction

2) Mises en œuvre contrastées : fuites, marges de manœuvre et contrastes spatiaux

Source documentaire :
Fichier « Mises en œuvre contrastées » + correction

3) Derrière les murs : l’enfer du Vel’ d’Hiv’

On pourra utilement rappeler ici la fonction première du Vel’ d’Hiv’ et dès lors éclairer le choix de ce lieu par les autorités françaises.
Source documentaire :
Fichier « Derrière les murs » + correction

III Un crime manifeste (à l’échelle française et européenne)

1) Une opération inédite ?

Source documentaire :
Fichier « Une opération inédite » + correction

On pourra aussi s’appuyer sur :
 des clichés commentés de la « rafle du billet vert » (https://www.memorialdelashoah.org/98-photos-inedites-sur-la-rafle-du-billet-vert.html) ;
 un exemplaire de convocation (https://webdoc.france24.com/rafle-billet-vert/ ) ;

Sur la rafle du XIème arrondissement, on pourra consulter https://www.memorialdelashoah.org/20-aout-1941-rafle-de-paris.html

Replacer la rafle du Vel’ d’Hiv’ dans le temps plus long des persécutions antisémites menées par l’occupant et Vichy pourra éventuellement amener à remonter jusqu’aux premières décisions prises en la matière, dès 1940.

2) Un symbole...
Source documentaire :
Fichier « Un symbole de la politique meurtrière de Vichy »+correction

3) … et une exception
Sources documentaires :
Fichiers « L’exceptionnalité criminelle de Vichy » (rappel :« Une meurtrière mise en œuvre : l’exemple des enfants ») + correction

Conclusion :
L’unique photographie à ce jour connue de la rafle du Vel’d’Hiv’ a, d’abord en raison de cette caractéristique, pris la valeur d’un symbole : celui d’un régime de Vichy qui, par pur cynisme politique et volonté de toute-puissance technocratique, s’est volontairement et activement enferré dans la politique collaborationniste la plus meurtrière en mobilisant de multiples ressources humaines, matérielles et logistiques. Cette image est en elle-même un manifeste de la politique criminelle de Vichy.
La prise de vue, réalisée au service d’une journal collaborationniste, avait incontestablement pour rôle de manifester, au sens de rendre visible, voire de proclamer, cette orientation. Bus urbains, fourgons et uniformes de police présents au cœur d’une rue parisienne débarrassée de toute présence allemande devaient présenter à l’opinion cette action comme la preuve d’un régime actif et souverain face aux autorités d’occupation.
Pour en souligner le propos fut portée au verso de ce véritable cliché de propagande la légende suivante : « De bonne heure hier matin, des juifs étrangers furent priés par les force de police de monter en autobus… Ils partaient vers un nouveau destin : le travail sans doute » accompagné d ela mention « Photo Paris-Midi).
Celui-ci est pourtant biffé de rouge et recouvert du tampon « Gesperrt - interdit », que la censure allemande y apposa dès le 17 juillet 1942.
Ce manifeste n’est donc jamais paru. Cette image emblématique n’a jamais été diffusée sous la forme qui lui avait été destinée.
Parmi les multiples aspects de l’événement que cette photo ne peut nous révéler figure en effet la nette désapprobation qu’exprima la population parisienne face à cette vague d’arrestations. Ce sentiment fut signalé par les Renseignements Généraux dès le 17 juillet,
L’ordre bien réel de l’organisation des opérations, traduit par le cliché, n’épuise donc pas la complexité de la rafle. Au-delà des consignes, circulaires, réunions et ordres donnés, le croisement des sources permet de révéler aussi réseaux de solidarité, marges de manœuvres, errements de la mise en œuvre. L’ordre policier, apparu aux yeux des victimes et des témoins, ne fut en partie qu’apparent.
Inscrite dans le temps plus long de la collaboration, et plus spécifiquement des persécutions antisémites, de 1940 à 1944, cette gigantesque opération policière n’en pris pas moins les contours d’un crime autant symbolique dans ses motivations et ses attendus qu’exceptionnel par sa gravité.

Vous retrouverez cette proposition d’activité pédagogique en classe de 3ème ci-dessous :

Vous trouverez les ressources mentionnées dans cette proposition d’activité pédagogique en classe de 3ème en pièces-jointes ci-dessous :

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