Christian Guéry est bien connu des cinéphiles, il a écrit Justices à l’écran et Les avocats au cinéma (PUF, Coll. Questions judiciaires, 2007 et 2010) et, déjà avec Alexandra Fabbri, Les hommes de loi (in Rémi Fontanel (dir.), Biopic, de la réalité à la fiction, Cinémaction n° 139, 2011). Avec Simenon et la Justice, les deux magistrats frappent à nouveau fort. Simenon connaît aussi la justice car, à 16 ans, il travaille à la Gazette de Liège et suit les cours - au sens propre et figuré - du Palais de Justice. Sous le pseudo de Georges Sim ou de Monsieur Le Coq, il assassine ou encense de sa plume incisive les hommes de loi. À 19 ans, il part à Paris pour écrire sur le monde judiciaire.
Le présent ouvrage est divisé en trois parties. La première partie, Le personnel judiciaire, rime avec classe sociale. Les magistrats, les juges d’instruction, quasiment tous les parquetiers, sont des bourgeois ou des aristocrates imbus, aux portraits peu flatteurs. Le juge Coméliau qu’affronte souvent Maigret (Maigret et les témoins récalcitrants, Maigret et le corps sans tête, Une confidence de Maigret) comme beau-frère un homme politique en vue. Quelle justice attendre d’hommes de la moyenne ou haute bourgeoisie (Maigret hésite, la folle de Maigret, Maigret et les vieillards, Maigret et le voleur paresseux) éloignés des gens qui ne sont pas de leur milieu ? Maigret s’entend cependant avec des juges d’instruction d’origine modeste : le juge Ancelin (La patience de Maigret), le juge Diem (La chambre bleue). Les magistrats sont souvent portés sur le sexe (Touriste de bananes, La maison du juge, Un crime au Gabon). Le procureur de la République, quelle que soit son origine, est un pur bourgeois, arriviste et dépourvu d’humanité (Maigret et le clochard, Maigret et le voleur paresseux, Maigret et le marchand de vin, Les inconnus dans la maison). Le président de la Cour d’assises est partial (Cour d’assises) et applique la loi à la lettre (Maigret aux assises). Les avocats peuvent être célèbres (Les inconnus dans la maison, En cas de malheur), d’office et obscurs (La colère de Maigret), fats (Lettre à mon juge), détestables, physiquement et moralement (La vérité sur bébé Donge L’amie de Madame Maigret, En cas de malheur), alcooliques (Le confessionnal, Un nouveau dans la ville, Maigret chez le ministre).
Le criminel est la seconde partie. Maigret confesse dans Les mémoires de Maigret ne s’intéresser qu’aux tueurs non professionnels. Le processus du passage à l’acte criminel le motive (Cécile est morte, La cage de verre, Trois crimes de mes amis). Le motif peut être l’humiliation (Le petit homme d’Arkangelsk, Dimanche, Au bout du rouleau, L’assassin), le besoin de reconnaissance (Crime impuni, Le passage de la ligne), la culpabilité (La mort de Belle, La fuite de monsieur Monde, Les demoiselles de Concarneau, Les complices), l’impossibilité de communication (L’horloger d’Everton), la folie (Lettre à mon juge, Les fantômes du chapelier, Maigret a peur, Les trois crimes de mes amis, Le temps d’Anaïs), finissant souvent à l’asile (L’homme qui regardait passer les trains, L’évadé).
La troisième partie, Le jugement, pose trois questions. 1) Maigret juge-t-il ? La réponse est dans Maigret et le clochard : « - Je ne pense jamais Monsieur le juge, et quelqu’un avait répliqué un jour : - il s’imbibe ». Maigret pratique la technique de l’éponge (L’inspecteur cadavre, La pipe de Maigret). Il interroge, fréquente les lieux fréquentés par la victime, se met dans la peau du coupable, gonfle lentement comme une éponge. Maigret peut ne pas déférer les personnes qu’il sait coupables mais qui mourront d’elles-mêmes (Liberty Bar, Pietr le Letton, La colère de Maigret). 2) Maigret policier ou détective ? La question est d’importance car le policier est lié par la procédure et doit rendre compte à sa hiérarchie. L’enquêteur, lui, aide à titre officieux, est libre de ses faits et gestes et peut agir aux limites de la légalité (L’affaire Saint Fiacre, Maigret à New-York, Maigret à Vichy). 3) Justice impossible ? L’idée générale de l’œuvre de Simenon est que la justice ne peut juger les hommes car elle n’a qu’une vision parcellaire de la vie du criminel présumé ou avéré et donc de la vérité. La conclusion appartient à Petit Louis, condamné à 20 ans de travaux forcés pour un meurtre qu’il n’a pas commis dans Cour d’assises. Le président lui demande s’il a quelque chose à ajouter. « Non, monsieur le président », répondit-il. Et il dit cela de telle sorte qu’à ce moment les rôles étaient renversés, que c’étaient eux tous, les magistrats, les jurés, les journalistes, les belles spectatrices et spectateurs, tous, y compris les avocats, qui éprouvaient soudain quelque chose d’urgent à faire (...) parce qu’il n’y en avait pas un qui eut des raisons d’en être fier ».
Un livre dense et documenté pour cinéphiles, juristes, lecteurs de Simenon, mais aussi historiens par son analyse de la société, par des magistrats fins connaisseurs d’une œuvre policière surabondante.
Voir en ligne sur le site de l’éditeur
© Albert Montagne pour Historiens & Géographes - Tous droits réservés. 02/09/2017.