Guillaume Vial, Les signares ont une histoire. Des femmes noires et d’influence (Gorée et St-Louis du Sénégal, XVIIIe-XIXe s.) (Hémisphères, 2019) Un compte-rendu du café histoire de Troyes organisé le 12.02.2020 par l’APHG Champagne-Ardennes

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Par Marine Poirson et Vincent Magne. [1]

Pour son deuxième café-histoire troyen, le 12 février 2020, la régionale de Champagne-Ardenne a eu le plaisir d’écouter Guillaume Vial, Professeur au lycée Chrétien de Troyes, membre et webmestre de la SFHOM (Société Française d’Histoire des Outre-Mers) et qui vient de publier Femmes d’influence. Les signares de Saint-Louis du Sénégal et de Gorée. XVIIIe -XIXe siècle. Étude critique d’une identité métisse. [2]

Au début de son intervention, très riche, Guillaume Vial s’est attaché à replacer les signares dans un contexte historique et historiographique large, en se demandant si ces femmes avaient une histoire. Le point de départ de cette réflexion a été la regrettable formule de l’ancien président Nicolas Sarkozy, lors de son discours de Dakar rédigé par Henri Guaino, en 2007 : « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire »

Pourtant l’Afrique a une histoire. Une bibliographie dense et renouvelée existe (dans les parutions les plus récentes, L’Atlas historique de l’Afrique [3] ; on renverra aussi à l’entretien de François-Xavier Fauvelle paru dans numéro 448 de la revue Historiens&Géographes). Les Africaines également ont une histoire. Or l’histoire moderne de l’Afrique et surtout de la côte sénégalaise et du golfe de Guinée ne semble pas porter beaucoup d’attention à ces signares. Il y a eu pendant longtemps, confusion entre signares et métisses, confusion née des mythes de la beauté des métisses : certaines signares l’ont été, mais pas toutes. Il y eut également des femmes africaines noires qui ont été des signares.

L’histoire des signares, qu’il ne faut pas confondre également avec les Luso-africains et les Eurafricains, a malgré tout son origine avec l’installation des premiers Européens sur la côte occidentale de l’Afrique.

« Negresse de qualité de l’Isle S.t Louis dans le Sénégal, Accompagnée de son Esclave » ©Gallica

Les Portugais arrivèrent au milieu du XVe siècle, et notamment au niveau du fleuve Sénégal vers 1444 pour atteindre la Sierra Leone en 1460. L’archipel situé à l’Ouest du Cap vert était important, car, pendant longtemps, les Portugais ne s’installèrent pas réellement sur la côte, mais sur ces îles qui leur servaient de base. Ils s’installèrent également au niveau de la Côte de l’or, où ils construisirent le fort Saint Georges de la Mine. Les Portugais ne s’étaient donc pas installés rapidement sur le continent. Cependant, ils utilisèrent des renégats, des personnes condamnées, emmenées sur leurs navires de découvertes, pour aller sur le continent. Soit ils périssaient rapidement, soit ils faisaient souche. Dans ce dernier cas, ils servaient d’intermédiaire entre les sociétés africaines et les Portugais présents pour pratiquer différents types de commerce.

Ils donnèrent naissance à une culture luso-africaine. On note l’apparition de dames, les « Senhoras », qui s’affirmaient dans les réseaux commerciaux par leurs connaissances dans les différents réseaux de commerce qui irriguaient l’Afrique occidentale. Il y eut donc la naissance d’un métissage physique entre ces Européens et ces Africaines. Il y avait des particularités parmi ces Luso-africains, notamment une communauté juive sur la côte au sud de l’actuel Dakar. Ils nourrissaient une culture diffuse nourrissant d’autres formes de métissage, dont les signares qui tirent de ces Luso-africains leur nom : « senhoras » : les dames.

Une première colonisation française commença au milieu du XIXe siècle avec le gouverneur Faidherbe autour du fleuve Sénégal. Cependant, les Européens s’installèrent sur de petites îles situées sur le littoral et développaient des comptoirs. Les premiers à développer ces comptoirs furent les Portugais à la fin du XVIe siècle. Avec leur arrivée en 1444, il leur fallut 140 ans pour installer un site commercial pérenne sur la côte africaine (Guinée Bissau). Les Hollandais s’installèrent dans les années 1620 dans le site nommé Gorée (signifiant la bonne rade en néerlandais). Les Anglais prirent leur place, le duché de Courlande développa un comptoir en 1651 dans l’estuaire de la Gambie. Il s’agit de l’origine de la colonie de la Gambie. Les Français arrivèrent en 1638 dans la vallée du fleuve Sénégal. Ils créèrent un comptoir à Saint-Louis en 1659 et s’installèrent à Gorée en 1677 (à la place des Hollandais). Ces installations successives entraînent la naissance d’autres mondes métisses.

Qui sont dès lors réellement les signares ? C’est un groupe de femmes noires et métisses, à la sociabilité spécifique, qui ont vécu dans les comptoirs coloniaux de Gorée et de Saint-Louis du Sénégal, pour l’essentiel entre 1750 et 1850. La fondation de la ville de Dakar vers 1840-1850, où on y voyait des signares acheter des terrains et des bâtiments, transforme leur mode de vie et amène leur déclin.

« La signare de Gorée avec ses esclaves » ©Gallica

Leur existence s’explique d’abord dans le contexte de la Traite. Un traitant faisait du commerce. Il était en deçà des négociants. Ce terme caractérise aussi un commerce particulier : celui des êtres humains. La zone sénégalaise fut concernée par ce commerce. Il y a assez peu d’éléments pour savoir si les signares participèrent à la traite négrière. Il semblerait qu’elles n’y aient pas participé, à défaut de source à ce sujet. Cependant, elles possédaient des esclaves. Certaines signares avaient été elles-mêmes des esclaves. C’était un esclavage africain, local, présent partout dans l’Afrique de l’Ouest. On parle de « captifs de cases ». Il ressemblait plus au servage médiéval qu’à l’esclavage tel qu’il existait dans les plantations du « Nouveau monde ».

Les sources sur les signares sont variées et somme tout nombreuses : des représentations, de nombreux récits de voyageurs, des archives d’état civil, etc.

Parmi ces sources, il faut mentionner un témoin particulier l’Abbé Boilat, né au Sénégal en 1814, métisse et fils de signare. Son père était un officier français de marine. Ses parents décédèrent assez rapidement. Il fut accueilli et envoyé en France avec un groupe de Sénégalais par la religieuse Anne-Marie Javouhey. Il y fit des études au séminaire et devint prêtre, au Sénégal entre 1843 et 1855. De son séjour, il tira des dessins et des notes publiés dans Esquisses sénégalaises en 1853.

Les signares se caractérisaient par une sociabilité particulière, qui s’institutionnalisa au fur et à mesure. Il s’agissait d’une organisation en classes d’âge hiérarchisées : de vieilles signares établies, les jeunes signares et des aspirantes signares. Parmi ces dernières, il y avait les rapareilles, des captives de case. Elles servaient de faire valoir aux signares : souvent c’était des captives de case portant des tissus et des bijoux précieux, montrant la richesse de ces signares. Ces compagnies organisaient des fêtes régulières, des folgares et des mariages. Ces mariages étaient principalement des « mariages à la mode du pays ». Il y avait trois types de mariages. Il y avait des mariages durables des Européens installés ou des métisses qui se mettaient en ménage avec des femmes métisses ou des femmes noires. Ces mariages étaient des « faux mariages à la mode du pays » parce que s’ils avaient pu, ces personnes auraient convolé jusqu’à un prêtre, mais faute de prêtre, ils avaient contracté un mariage à la mode du pays. Lorsque les prêtres arrivèrent, à partir de 1817, un certain nombre de ces unions durables furent transformées en mariage. Avec le code civil de 1830, il y eut des régularisations du mariage civil. Les signares étaient particulièrement connues pour les autres mariages « à la mode du pays ». L’Européen qui arrivait, se mettait en ménage avec une signare et contractait « un mariage à la mode du pays » était surtout un haut cadre des compagnies de commerce. Ces Européens qui appartenaient à l’encadrement des comptoirs permettaient aux signares d’avoir un accès privilégié, en principe prohibé, à des marchandises européennes. Ils apportaient à celles-ci une protection dans le comptoir ou dans leurs activités commerciales. En échange, la signare qui s’était mise en ménage avec un Européen mettait des moyens importants à disposition : elle pouvait louer des bâtiments, ses captifs de case qui étaient spécialisés dans différentes tâches (domesticité, traitants, marins, charpentiers, etc). Elle apportait aussi des connaissances sur les langues, les coutumes locales, sur les manières éventuellement de se protéger contre les dangers du climat, les réseaux marchands et les réseaux de pouvoir sur la terre ferme. Cela permettait aux Européens de connaître les bons interlocuteurs. La mortalité des Européens était importante. Lorsque l’Européen survivait, il repartait en métropole. Il s’agissait donc d’un mariage temporaire. Il y avait alors une cérémonie où la signare allait sur la plage, versait du sable. Cela lui permettait de se remarier « à la mode du pays », quelques temps après, avec un autre Européen, en prenant le nom à chaque fois du nouvel arrivant.

Intérieur de signare

La fortune des signares est le fait pour l’essentiel du commerce de produits précieux : or, cuir, gomme arabique…

Ce qui provoqua leur déclin fut le changement de comportement des Français. À partir de 1817, ils se réinstallèrent à Saint-Louis et à Gorée, il s’agit d’une période pré-coloniale, anticipant la colonisation qui s’établit après. Les Français sortaient de leurs comptoirs et tentèrent notamment des expériences agricoles. Cette prise en main des territoires africains entrainait l’application du Code civil de 1830, l’arrivée de prêtres, une scolarisation, la libéralisation du commerce (contribuant à la fortune des signares pendant un temps, puis leur ruine). Une crise au milieu du XIXe siècle les appauvrit. Le commerce de la gomme s’effondra. Leurs esclaves disparurent avec l’abolition de l’esclavage en 1848. Les signares disparurent du devant de la scène... et du champ de vision des Européens.

Apparut ainsi une vision fantasmée (puisqu’on ne les voyait plus). De plus, dans la concurrence avec les Britanniques, le fait qu’elles étaient pendant un temps des alliés des Anglais, l’anglophobie les mit à l’écart. Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, le développement d’un racisme scientifique qui s’incarnait dans le docteur Béranger-Féraud. Celui-ci affirmait que les métisses devaient disparaître. À l’époque, le terme employé n’était pas métisse, mais mulâtre. Ce terme vient du portugais « mulato » qui vient lui-même de mulet : animal hybride réputé stérile. Béranger-Féraud affirmait donc que la communauté métisse allait s’étioler progressivement. Elles disparurent jusqu’aux années 1960, avec Senghor qui parlait des signares dans ces poèmes. Cette période est également celle où le métisse redevient un élément positif. Actuellement, se développe parallèlement une vision négative liée à une vision négative à l’Occident, aux Français (lié à l’anticolonialisme de la France-Afrique), la « ré-islamisation », le mythe de la maison des esclaves.

INFORMATIONS COMPLÉMENTAIRES

  • Le diaporama utilisé pour la présentation figure en ligne, merci à notre conférencier !

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