La République Le vade-mecum de l’Historien-Géographe

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Par Bruno Benoit [1]

La République a une histoire et en France, son histoire est originale. Le mot vient de Res Publica qui signifie la Chose Publique. La première République instaurée remonte à l’époque romaine.
Cette République est entre les mains des patriciens qui contrôlent le pouvoir aux dépens de la plèbe. Elle est donc porteuse de forte inégalité sociales et politiques. La République n’est pas alors fondée comme la démocratie sur la règle majoritaire, sur le respect de l’Egalité et de la Liberté. C’est pour cela que des révoltes populaires secouent la République romaine qui cherche à calmer le peuple par du pain et des jeux.

Après Rome, il faut attendre longtemps avant de revoir une République installée en tant que régime politique. A Venise, au Moyen-Âge, elle est oligarchique, car gouvernée par les plus riches. Il en va de même avec la République de Genève à l’époque moderne. Dans tous ces exemples, la république n’est alors qu’un régime politique marginal, car elle ne concerne que des populations très faibles en nombre et ne tient pas compte du peuple, formé de sujets qui n’ont que des devoirs, mais aucun droit.

L’Angleterre avec sa Glorious Revolution en 1688, puis les Etats-Unis d’Amérique avec la Déclaration d’Indépendance en 1776 font émerger cette notion de souveraineté du peuple, mais le grand moment de la citoyenneté est la Révolution française de 1789 avec la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, la prise de parole dans les clubs politiques, l’expression politique lors de manifestations et, bien sûr, l’exercice du vote.

La France est le premier Etat à mettre en place, pour 28 millions d’habitants, une République, le 22 septembre 1792. Cette première République française (1792-1804) cherche à faire table rase du passé monarchique et expérimente une forme politique fondée sur une constitution, des élections et la séparation des pouvoirs. Cette République est loin d’être une démocratie parfaite, car il y a des citoyens passifs et actifs, seuls ces derniers ayant le droit de vote, mais elle est aussi à un moment terroriste (1793-1794) et à un autre césariste (1799-1804). Quand en 1793 est mise en place une sorte de suffrage universel, les femmes et les domestiques en sont écartés, car on craint qu’ils ne votent comme leurs maîtres ou leurs maris. D’où certains penseurs, comme Babeuf, réclament l’Egalité parfaite et la République des Égaux, mais là l’utopie l’emporte sur la réalité. La France révolutionnaire exporte l’idée républicaine avec la guerre et il se forme, sous le Directoire, à la fin du XVIIIe siècle, des Républiques sœurs en Europe, telles la République batave, helvétique, romaine ou encore parthénopéenne.

Il faut attendre 1848 pour revoir la République. mais alors quelle République ? Celle qui donne le pouvoir au peuple ou celle qui gouverne pour le peuple ? Celle d’un monde nouveau ou la République conservatrice ? Cette République, deuxième du nom, est d’abord sociale en instaurant le suffrage universel masculin, les ateliers nationaux et en supprimant l’esclavage, mais dès juin 1848 elle devient réactionnaire. Le 2 décembre 1851, elle perd sa dimension républicaine après le coup d’Etat de Louis-Napoléon Bonaparte. Cet échec est dû au fait que les Français qui veulent une République sociale, celle où l’Egalité serait plus grande et la Liberté plus réelle, n’ont ni le pouvoir économique, ni la force militaire et, qui plus est, sont divisés et font peur aux partisans de l’ordre qui s’organisent, répriment les manifestations de rue et remettent le peuple au travail.

Ce n’est pas avec l’instauration de la IIIe République en 1870 que la France devient républicaine, mais c’est avec la mise en place à partir des années 1880 des lois scolaires, du service militaire, des premières lois sociales et du respect des grandes libertés. La République en triomphant de ses ennemis - les royalistes, l’Eglise catholique, les nationalistes, les antidreyfusards - se renforce. La loi de séparation des églises et de l’Etat en 1905 lui donne son caractère laïc. La guerre de 1914-1918 avec Verdun finit de l’installer dans le cœur des Français, pas encore de tous, comme le montrent la journée du 6 février 1934, l’action des ligues et surtout la mise en place à Vichy de l’Etat français en juillet 1940 après la défaite.

En France, la résistance est faite par des républicains au nom de la liberté face à l’occupation, de l’égalité face à l’inégalité des races des nazis et de la fraternité des hommes face à la violence de la guerre. C’est pour cela que la République n’est pas proclamée par le général de Gaulle à la Libération, puisque pour De Gaulle elle n’a jamais cessé d’exister. Elle se démocratise davantage en accordant le droit de vote aux femmes en 1944. L’année 1946 donne à la IVe République sa constitution, mais son instabilité et les problèmes liés à la décolonisation ont raison d’elle en mai 1958 avec le retour au pouvoir du général de Gaulle. En septembre 1958, la nouvelle constitution voulue par le Général de Gaulle, fonde la Ve République qui instaure un régime démocratique stable avec un président de la République élu au suffrage universel en 1962. Depuis cette date, Gauche et Droite alternent à la tête de cette République.
Si la République en France semble aujourd’hui être acceptée par tous les partis, elle a accumulé au cours de ses cinq expériences une mémoire riche de symboles. Il y a les symboles fondateurs - la prise de la Bastille, les trois couleurs ou la Marseillaise -, les symboles construits - le 14 juillet, Marianne et la devise républicaine -, les symboles souvenirs - le calendrier républicain, la guillotine, le bonnet phrygien - et enfin les symboles récupérés - les commémorations, le Panthéon, et la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.

La République est le régime auquel la France s’identifie le mieux, même si des réformes sont à envisager pour une meilleure gouvernance démocratique.

Bruno Benoit
in Historiens & Géographes n°412, novembre 2010, pp. 148-149. Tous droits réservés.

Notes

[1Président national de l’APHG, Professeur d’Histoire contemporaine à l’Institut d’Etudes Politiques de Lyon.